Un rapport de l’Institut de recherche stratégique de l'École militaire (Irsem) publié à la mi-septembre (« Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien », par Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer), note que Pékin surveille de très près l’évolution de la situation en Nouvelle-Calédonie, et qu’il est dans son intérêt « d’encourager des mouvements indépendantistes, pour récupérer des parts de marché ou fragiliser de potentiels adversaires ». Dans la zone indopacifique, l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont également des cibles stratégiques pour la Chine.
À la veille du troisième référendum sur l'autodétermination prévu le 12 décembre 2021 en Nouvelle-Calédonie, « l’Empire du Milieu » est en alerte, car une victoire du oui pourrait lui donner un avantage décisif dans la région, d’après l’Irsem. « S’il y a eu des soupçons d’ingérence chinoise dans le référendum de 2018 sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, et si Pékin suit de près la progression du camp indépendantiste confirmée par le référendum de 2020, c’est parce qu’une Nouvelle-Calédonie indépendante serait de facto sous influence chinoise et présenterait au moins deux intérêts majeurs pour le Parti-État », notent les auteurs du rapport.
« D’abord, elle ‘deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise’, tout en isolant l’Australie ‘puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva’ (respectivement capitales de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, des îles Salomon, du Vanuatu et des îles Fidji, ndlr). Ensuite, elle assurerait également à la Chine un approvisionnement en matières premières, notamment en nickel. Pékin a donc plusieurs raisons d’encourager l’indépendance de ce territoire, tout en entretenant des relations avec l’élite politique et économique locale », ajoutent-ils.
Citant l’analyste en relations internationales Bastien Vandendyck (« La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique »), le rapport pointe par exemple le rôle de l’Association d’amitié sino-calédonienne.
« On notera que sa présidente, Karine Shan Sei Fan, est une ancienne du cabinet du leader indépendantiste (Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, ndlr), dont les deux derniers directeurs de cabinet sont d’éminents membres » de cette association. « D’une manière générale, la ‘diaspora [chinoise] et les associations qui la représentent, pour certaines, sont extrêmement proches de certains élus indépendantistes’ », souligne le texte.
Cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande
« Les études de cas prennent la forme de cercles concentriques », expliquent les auteurs. Ainsi, Taïwan et Hong Kong représentent le premier front de la « guerre politique » de Pékin : ce sont des avant-postes et des terrains d’entraînement des opérations chinoises, qui peuvent ensuite être affinées et appliquées à d’autres cibles dans le monde. « La première étape de l’élargissement du cercle des opérations chinoises a porté sur l’Australie et la Nouvelle-Zélande », affirment-ils.
Exemple, la Chine a été un facteur décisif de la croissance australienne pendant une trentaine d’années, avant que les Australiens prennent « conscience que la Chine n’est pas (qu’) une opportunité mais (aussi) une menace », dans les domaines économique, politique (« entre 2014 et 2016, le parti libéral et le Labor auraient reçu plus de 5,5 millions de dollars d’individus et d’entreprises en lien avec la Chine »), technologique, médiatique et du renseignement.
Dans la région indopacifique, les opérations de Pékin sont également dirigées vers la Nouvelle-Zélande (recrutement de chercheurs, influence médiatique et ingérence électorale notamment) où, comme en Australie, existe une forte diaspora chinoise par rapport à la population locale dans son ensemble, dont « un nombre considérable d’immigrants récents ayant de la famille et des liens étroits avec la Chine ». « Ils sont dans ce que Pékin voit comme sa sphère d’influence, parce que leurs économies sont très dépendantes de la Chine, qu’ils attirent un grand nombre d’étudiants chinois et enfin, jusqu’à récemment, pour leur relative dérégulation sur le financement des partis politiques ».
Pour aller plus loin
► Le site et le rapport de l’Irsem
PM