Contexte de la 3ème consultation, évolution du statut, référendum de projet, nationalité... Léa Havard, maître de conférences en droit public à l’Université de Nouvelle-Calédonie, interroge, au regard du droit, le référendum et l’après. Une interview réalisée par nos partenaires de Actu.nc
Actu.nc : Imaginons que le scrutin ait lieu le 12 décembre et que les indépendantistes ne se rendent pas aux urnes. Le scrutin pourrait-il être rendu insincère par leur non-participation ?
Léa Havard : Avant toute chose, il faut rappeler que la sincérité d’un scrutin est garantie lorsque le vote est libre, égal, secret et que les électeurs ont été suffisamment informés des enjeux du scrutin en amont. La question du nombre de votant n’a en revanche pas d’incidence. Donc, concrètement, juridiquement, si une partie de la population refuse d’aller voter, cela ne changera rien au résultat... Même si cela existe pour certains scrutins, comme le référendum d’initiative locale, pour la consultation d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, aucun quorum n’est exigé, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de nombre minimum de personnes devant voter.
Pour le dire autrement, quel que soit le nombre d’électeurs qui se déplaceront aux urnes, le résultat du référendum sera valide. A cet égard, on peut faire le rapprochement avec le référendum constitutionnel de 2000 sur le quinquennat présidentiel. Malgré les presque 70% d’abstention, le résultat du scrutin a été pris en compte et la durée du mandat présidentiel est passée de cinq à sept ans. En revanche, d’un point de vue politique, une forte abstention entraîne un manque de légitimité des résultats. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie où la sortie de l’accord de Nouméa représente un enjeu particulièrement sensible, ce défaut de légitimité poserait nécessairement de nouvelles difficultés politiques.
L’accord de Nouméa disparaîtra-t-il au lendemain du référendum ?
La question de savoir ce qu’il adviendrait des institutions calédoniennes actuelles organisées par l’accord de Nouméa et la loi organique de 1999 au lendemain du référendum a été source d’inquiétude jusqu’à peu. Toutefois, l’État est intervenu pour clarifier les choses. Dans le document sur les conséquences du Oui et du Non, il a clairement affirmé qu’au lendemain du référendum, l’accord de Nouméa et la loi organique de 1999 resteraient en vigueur pendant toute la période de transition et donc jusqu’au référendum de projet.
Le document de l’État sur les conséquences du Oui et du Non, dit bien, noir sur blanc, dans l’hypothèse du Oui, qu’« après la période de transition, l’indépendance mettra fin juridiquement aux effets produits par la loi organique de 1999 et toutes les dispositions spécifiques à la Nouvelle-Calédonie ». Donc ce sera seulement après la période de transition. On ne tombera donc pas dans un vide juridique au lendemain du référendum.
Cela comprend-il les dispositions concernant le corps électoral provincial ?
Cela comprend aussi le corps électoral provincial. Sauf volonté politique de modifier les dispositions qui le prévoient, celui-ci restera donc en vigueur pendant le temps de transition. Ce n’est pas non plus une obligation car n’importe quelle disposition de l’Accord de Nouméa ou de la loi organique de 1999 peut théoriquement toujours être modifiée s’il existe un accord politique en ce sens, maintenant ou pendant la période de transition. Il ne faut jamais oublier qu’on peut toujours faire et défaire le droit.
Quand s’achèvera cette période de transition ?
Elle durera au plus tard jusqu’au 30 juin 2023. Ce qui veut dire qu’elle peut aussi être plus courte.
Quelle forme le dégel pourrait-il alors prendre ?
Dans la perspective de la victoire du Oui, ce serait l’État souverain qui déciderait des contours de sa nationalité. Il pourrait alors très bien décider de maintenir des conditions strictes pour y accéder en conservant un corps électoral restreint, voire théoriquement gelé même si cela aurait peu de sens politiquement, ou mettre en place des dispositions beaucoup plus ouvertes qui ressembleraient au droit commun français. Tout sera possible. Le nouvel État n’aura aucune contrainte.
Dans le cas du Non, il existe une certitude : le droit actuel ne pourra pas rester en l’état. On ne pourra pas conserver un corps électoral gelé. Ce gel du corps électoral, issu de la révision constitutionnelle de 2007, a en effet été justifié par la Cour européenne des droits de l’homme, par le fait que la Nouvelle-Calédonie est inscrite dans un processus transitoire de décolonisation. Cette atteinte au principe du suffrage universel a donc été considérée comme légitime du fait du processus inédit dans lequel la Nouvelle-Calédonie est engagée.
Mais à partir du moment où un statut plus pérenne pour la Calédonie au sein de la République aura été adopté, il faudra forcément supprimer le gel du corps électoral spécial et le rendre de nouveau plus ouvert. Car il pose problème au sein de la France. Sauf à modifier la Constitution, le gel du corps électoral porte en effet atteinte aux principes constitutionnels d’universalité et d’égalité du suffrage car il a pour effet de créer un traitement différencié des personnes qui ont toutes la nationalité française. Certains nationaux ont le droit de voter en Calédonie, d’autres non.
Les hommes politiques auraient-ils le pouvoir à l’issue du 3e référendum d’ « inverser » le droit et de redessiner les contours du corps électoral provincial, sans attendre la modification de statut ?
Oui, le principe du droit est qu’on peut tout faire et tout défaire. Ce qui va conditionner cette possibilité de changement, c’est l’existence d’une volonté et de décisions politiques pour la mettre en œuvre. En l’occurrence, imaginons que la réponse soit Non et que la période de transition se mette en place. Si au cours de ces 18 mois, on veut déjà dégeler le corps électoral provincial, juridiquement, rien ne l’empêche, mais cela impliquera de réviser l’article 77 de la Constitution et la loi organique de 1999, ce qui nécessite un consensus politique fort, ne serait-ce qu’au niveau national (pour une révision constitutionnelle, 3/5e des membres du Parlement réunis en congrès doivent y être favorables).
Pour ce qui est du référendum de projet, quel sera le corps électoral qui y participera ?
Personne n’a la réponse pour l’heure à cette question. Car pour l’instant, il n’y a jamais eu de mention à ce sujet dans les communiqués et documents de l’État. On sait que l’idée sera d’organiser ce dernier référendum pour que la population adhère au projet qui ressortira de la période de transition. Par ailleurs, il n’est précisé nulle part quel corps électoral sera invité à adhérer à ce projet. Là encore, théoriquement, tout est possible. On pourrait dire que c’est le corps électoral provincial, le corps électoral de la consultation, ou le corps électoral général. Ou bien, 4e option, on pourrait imaginer la création d’une nouvelle liste électorale avec des électeurs spécialement identifiés pour ce scrutin.
Pour mettre en place ce corps électoral, faudra-t-il modifier la Constitution ?
Le référendum de projet n’est mentionné nulle part dans l’Accord de Nouméa ou le titre XIII de la Constitution qui traite de la Nouvelle-Calédonie. Il ressort uniquement de déclarations politiques. Juridiquement, il faudrait voir sur quelle base juridique l’État organiserait ce référendum de projet. La réponse apportée à un référendum est-elle forcément binaire, oui ou non ? Pas forcément. Pourquoi ? car tout dépend de la question. Le principe même du référendum est de consulter directement le peuple.
En revanche, aucune forme particulière n’est imposée quant à la question posée et donc quant aux réponses qui peuvent être apportées. Pour le dire autrement, la façon dont on pose la question importe peu du moment qu’elle est suffisamment claire. Tout est possible. En témoigne le référendum d’autodétermination de Porto Rico de 2021 qui se déroulait en deux étapes. La première question était de savoir si les électeurs souhaitaient conserver le statut de l’île tel qu’il était. La réponse était alors binaire : oui ou non. Mais si l’électeur répondait « non », il pouvait alors voter pour l’une des 3 déclinaisons possibles de projets. Ce système a l’avantage d’être plus constructif qu’avec une simple question fermée.
De la même façon, lorsque les Calédoniens voteront lors du référendum de projet qui mettra fin à la période de transition, ils pourraient ainsi être amenés à dire oui ou non à un projet commun résultat d’un consensus politique, ou encore devoir faire un choix entre plusieurs projets qui entreraient en concurrence.
Si le 3e référendum n’a pas lieu le 12 décembre, serait-il possible d’aller directement au référendum de projet, comme le souhaite par exemple le parti le Rassemblement-Les Républicains ?
L’accord de Nouméa prévoit bien l’organisation d’un 3e référendum. L’État est juridiquement obligé de l’organiser car le tiers des membres du Congrès en ont fait la demande. La seule solution qui permettrait de ne pas l’organiser serait qu’il existe un accord politique suffisamment large et consensuel pour modifier l’accord de Nouméa, supprimer le 3eréférendum et le remplacer par le référendum de projet. Même si c’est techniquement possible, cette option paraît tout de même très peu probable, voire impossible, politiquement.
Que se passera-t-il juridiquement si le projet soumis au vote est refusé ?
Rien n’a été dit pour l’instant à ce sujet. Si on est actuellement dans un flou total, c’est parce qu’on entre dans une période de transition statutaire. On est en train de passer d’un statut qui existe depuis plus de 30 ans à un nouveau statut dans la France ou à la constitution d’un nouvel État. Donc nécessairement, on ne peut pas avoir tout prévu. C’est la raison pour laquelle il y a ce moment de latence, plein d’incertitudes. Le principal est de ne pas créer de situation de vide juridique et de maintenir le système existant jusqu’au passage à un nouveau système pérenne. Beaucoup des questions qui se posent aujourd’hui n’ont pas de réponses mais elles seront progressivement construites et apportées pendant la période de transition.
Qui aura la nationalité du nouvel État en cas de victoire du Oui ?
Là aussi, c’est une zone de flou car seul le nouvel État pourra répondre à cette question. En cas de victoire du Oui, c’est le nouvel État qui définira les contours de sa nationalité. Il posera ses critères comme il le souhaite pour déterminer qui pourra accéder à sa nationalité. Par exemple, pour être citoyen de Kanaky Nouvelle-Calédonie, il faudra peut-être résider depuis x temps ou être descendant depuis x générations... Cela dépendra des choix faits par ce futur État.
Quid des personnes qui ont aujourd’hui la nationalité française et qui voudraient la conserver, alors même qu’elles rempliraient les critères pour avoir celle du nouvel État ?
Tout d’abord, il faut savoir que l’État français ne peut pas enlever sa nationalité à quelqu’un qui n’en aurait pas une autre. Ainsi, un Français qui ne remplirait pas les conditions pour avoir la nationalité de la Nouvelle-Calédonie, ne se verra pas enlever sa nationalité française. Les cas d’apatridie sont interdits en droit international. En revanche, si une personne qui a la nationalité française obtient également celle d’un autre État, la France peut poser des conditions pour que cette personne conserve la nationalité française et si elle ne les remplit pas, elle peut lui retirer sa nationalité française. Tout comme la Nouvelle-Calédonie devenue souveraine serait seule à pouvoir décider des critères pour avoir sa nationalité, la France est en effet en droit de fixer ses propres conditions pour avoir sa nationalité et pour avoir une double nationalité.
Que savons-nous à ce stade sur la double nationalité qui pourrait s’appliquer en Nouvelle-Calédonie ?
Dans le document de l’État sur les conséquences du Oui, on apprend que la France voudrait réduire le nombre de cas de double nationaux. Le document précise : « Les citoyens calédoniens actuels auraient vocation à se voir intégrés dans la nationalité du nouvel État. Les situations de double nationalité ne pourraient pas être généralisées ». Cela signifie que les citoyens calédoniens devenus nationaux calédoniens auraient vocation à perdre la nationalité française et à avoir uniquement celle du nouvel État.
Selon quels critères ?
Nous n’avons pas encore d’éléments. Quand on regarde ce qui s’est passé dans les cas de décolonisation française, on constate que différents critères peuvent être utilisés et combinés entre eux. Ainsi, l’État français a souvent posé comme condition du maintien de la nationalité française le fait d’élire son domicile en France, comme pour la décolonisation des colonies d’Afrique équatoriale et occidentale.
Pour la décolonisation de l’Algérie, le critère central a été celui du statut civil. Les personnes ayant le statut civil local perdaient leur nationalité française, les personnes ayant le statut civil de droit commun pouvaient la conserver. La filiation peut aussi être un critère mobilisé, comme dans le cas de la décolonisation de Djibouti. La combinaison de ces critères résultera de futures négociations entre la France et l’État en phase de devenir indépendant.
Dans tous les cas, il y a toujours eu une période de transition et les ressortissants concernés par les deux nationalités ont toujours eu du temps, plusieurs mois, pour opter pour la nationalité de leur choix.
Propos recueillis par Béryl Ziegler pour Actu.nc.