Le 20 novembre prochain, la compagnie internationale de la Polynésie française, Air Tahiti Nui, fêtera ses 25 ans. En amont, ses équipes organisent des festivités dans chacune des destinations de son réseau, à commencer, mardi soir, par Paris. Pour l’occasion, son PDG Michel Monvoisin a répondu aux questions d’Outremers360. Il évoque l’état actuel de la compagnie, sa réaction face à la concurrence, l’ouverture de sa ligne vers Seattle ou encore les difficultés liées au réceptif en Polynésie ou encore, à l’aéroport international de Tahiti-Faa’a.
Outremers360 : Air Tahiti Nui fête ses 25 ans en ce mois de novembre 2023. Comment se porte-t-elle aujourd’hui ?
Michel Monvoisin : Air Tahiti Nui fête un anniversaire important avec ses 25 ans. On sort d'une crise qui a été quand même violente pour le transport aérien. On se comporte de manière assez dynamique, puisqu' à la sortie de la crise, on a rajouté de la fréquence, on a ouvert une nouvelle route. Il y a beaucoup de concurrence en Polynésie. Je crois que c'est même unique au monde puisqu'on a 40% d'offres en siège en plus. Imaginez 40% d'offres en siège sur Paris-CDG, ce que ça pourrait donner. Malgré tout, on est déterminé à rester... On est toujours leader, et on est déterminé à le rester. On a une équipe dynamique, solide et déterminée à rester la vitrine de la Polynésie, la compagnie du pays. Nous sommes la compagnie du pays, nous sommes l'image du pays. Nous véhiculons la culture du pays, l'accueil polynésien, la tradition polynésienne. Ça, c'est notre ADN. On est déterminé à le garder.
La compagnie a enregistré quand même un chiffre d'affaires en déficit ou en tout cas un déficit très récemment. Est-ce que c’est un relent des années Covid ?
Ça n'a rien à voir avec le Covid, c'est de la surcapacité. Le problème, c'est qu'il y a une offre en sièges, je disais, qui a pris 40 %, et qu'en face, malheureusement, il n'y a pas le réceptif. Il y a un million de sièges vers la Polynésie. En termes de réceptifs, on a de quoi accueillir entre 250 000 et 280 000 touristes. Il y a 50 000 Polynésiens qui voyagent. Faites le décompte. Aujourd'hui, avec l'ensemble des compagnies aériennes, effectivement, dû à la surcapacité, on est en train de se faire la guerre sur les tarifs, surtout en classe économique, avec aujourd'hui, un Los Angeles-Papeete vendu au prix d'un Paris-Nice.
Comment est-ce que la compagnie peut réagir à cette concurrence ?
D'abord, elle se bat sur tous ses marchés. Forcément, à un moment donné sur les prix, tout le monde s'aligne. Aujourd'hui, on remplit bien, on le voit. On a toujours les meilleurs remplissages. La chance qu'on a, c'est que le marché France hexagonal est très porteur. Depuis la reprise COVID, il n'a jamais été aussi porteur. Ce qui fait que grâce à l'ouverture de la route Seattle qui se prolonge sur Paris, on est pratiquement maintenant à un vol par jour sur Paris. On a les fréquences et ça nous amène des niveaux de remplissage.
On a aussi un bon réseau de distribution. Je crois que nos partenaires nous sont restés fidèles. Ils ont vu que pendant la crise COVID, la particularité d'Air Tahiti Nui, c'est qu'on a toujours été présent. On n'a pas abandonné nos passagers. On s'est occupé de nos passagers, que ce soit les Polynésiens ou les touristes, on les a ramenés. Donc, on a la confiance de la distribution. Ça fait 25 ans qu'on travaille avec la distribution. Les tours opérateurs, c'est pratiquement 70 % de notre chiffre d'affaires, en tout cas sur la France. Et même aux États-Unis, ce sont des gens qui nous connaissent depuis longtemps. Et cette relation de confiance fait qu'effectivement, quand il y a le choix, le choix d’Air Tahiti Nui s'impose, en tout cas par rapport à nos partenaires de la distribution.
Vous avez parlé de l'ouverture de Seattle. Comment est-ce qu'elle se porte aujourd'hui cette ligne, sachant que les Polynésiens aiment beaucoup Los Angeles et qu’il y a aussi un enjeu sur le tronçon Paris-Seattle comme c’est le cas pour Paris-Los Angeles ?
La clientèle polynésienne, il ne faut pas oublier, est importante pour nous. Mais on n'est que 280 000 habitants, donc elle ne remplit pas les avions. Elle fait entre 20 à 25% du remplissage d'un avion. Aujourd'hui, par contre, effectivement, c'est une clientèle qui est friande de destination. Les voyageurs polynésiens aiment les États-Unis. Mais on n'a pas ouvert les portes à Seattle que pour les Polynésiens, puisqu'il est évident qu'à ce moment-là, les remplissages seraient faibles. Pour nous, l'ouverture de Seattle, c'était d'aller capter la clientèle du Nord-Ouest des États-Unis, parce qu'avec l'arrivée de la concurrence, on se l'était faite un peu siphonner. Là, on est allé la récupérer, puisque le vol direct, c'est toujours préférable à un vol en transit via Los Angeles ou San Francisco. C'était ça le premier objectif.
C'était d'offrir aussi, il ne faut pas oublier que l'État de Washington, c'est le troisième État le plus riche des États-Unis, en PIB par habitant, et puis c'est des gens qui voyagent beaucoup l'hiver. Or, c'est quand même en hiver aujourd'hui, et je reviens problème de réceptifs, c'est quand même sur cette basse saison qu’on a le plus de disponibilité sur les chambres. Pour nous, c'était une clientèle à aller capter. Et cette clientèle-là, mine de rien, je sais que beaucoup de gens aiment critiquer la route Seattle, mais en un an, on a quand même transporté 16 000 touristes. On aurait pu en faire le double, honnêtement. On avait la demande pour en faire le double. Le problème, ça a été le réceptif. Effectivement, on n'a pas trouvé les chambres, donc il y a eu des annulations.
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En outre, c'est quand même souvent une clientèle aisée, qui peut se décider beaucoup plus tardivement. Et c'est pour ça qu'on a prolongé les Papeete-Seattle jusqu’à Paris, par rapport à cette perte de vente qu'on avait en raison du réceptif. Et je répète : le marché France hexagonal est très porteur. Donc, le passager qui fait Papeete-Paris, qui passe par Seattle ou Los Angeles, pour lui, il ne s'en rend même pas compte : Il réserve un Papeete-Paris et il découvre au moment de l'embarquement que ça passe par Seattle plutôt que Los Angeles. Ça a été un bon complément, ce qui fait que l'addition de la clientèle qui va à Seattle, donc les locaux, plus celle de Seattle qui vient en Polynésie, plus celle qui va à Paris, en ce moment, remplit nos vols. Les vols sur le Papeete-Seattle-Paris se remplissent.
Vous avez parlé du réceptif. Il y a aussi la problématique de l'aéroport de Tahiti-Faa’a. Est-ce que les compagnies telles que la vôtre sont approchées au niveau de l'élaboration du nouvel appel d'offre. Quel est votre regard à ce sujet ?
Bien sûr, on est consulté, mais c'est notre cauchemar, l'aéroport. Le problème, ce n'est pas d'être consulté. On est consulté, mais on l'a été auparavant. L’objectif, c'est qu'enfin, ça aboutisse. On passe de recours en recours. Le dernier appel d'offres a été annulé par voie de Justice. On n'est pas naïfs, un nouvel appel d'offres va être lancé et le temps qu'il soit lancé, que les soumissionnaires répondent, que les dossiers soient instruits, que la concession soit attribuée et que le nouveau concessionnaire se mette en place et que le chantier démarre : on sera déjà fin 2025. S'il n'y a pas de nouveau recours, parce qu'on n'est pas à l'abri de nouveaux recours non plus.
Donc j'espère cette fois-ci que l'État va vraiment faire les choses proprement avec un cahier des charges qui soit incontestable, parce que ça devient un stress. La demande est forte, l'aéroport n'est plus du tout au niveau de l'accueil polynésien. On a des engorgements de partout, à l'embarquement, au débarquement, c'est engorgé. Il n'y a plus de place sur les parkings externes pour les voitures comme les parkings pour les avions. Il n'y a plus de place. Aujourd'hui, l'aéroport, même sur le domestique, ils ne peuvent plus accueillir un avion de plus. Donc aller parler d'aller ouvrir des routes avec de nouveaux avions ou de nouvelles compagnies, aujourd'hui, c'est impossible.
Il y a eu des aléas météorologiques et on a peur parce qu'on va rentrer dans le phénomène El Niño. Quand la partie nord de l'aéroport est sous l'eau, c'est deux places de parking en moins. Avec l'afflux, avec les nouvelles compagnies aériennes et l'augmentation des fréquences, ça va poser des problèmes. C'est arrivé dernièrement : Air New Zealand a fait demi-tour, pas parce que l'aéroport a été fermé, mais parce que les deux parkings étaient inondés. Aujourd'hui, on a des niveaux de stress sur l'aéroport qui sont importants. C'est vrai que j'ai parlé du réceptif, mais le plus gros frein aujourd'hui en Polynésie, c'est l'aéroport. Le plus gros frein à la croissance touristique, c'est vraiment l'aéroport. Il faut vraiment que quelque chose soit fait dans des délais acceptables. J'espère que ça ne va pas prendre dix ans.