Le 17 mai 2013, les indépendantistes polynésiens du Tavini Huira’atira obtenaient la réinscription de la Polynésie française sur la liste des territoires à décoloniser de l’ONU. Une victoire pour les défenseurs de l’indépendance qui, 10 ans après, revêt une résonance particulière.
Un combat de longue haleine, une lutte d’endurance comme Oscar Temaru, leader indépendantiste historique de la Polynésie, sait les mener. Dès les années 80, il milite sans succès avec ses alliés indépendantistes kanak, et notamment Jean-Marie Tjibaou, pour obtenir cette réinscription. À l’époque, la Polynésie est toujours le terrain des essais français, de plus en plus contestés, et la Nouvelle-Calédonie est le théâtre de vives violences communautaires, entre Mélanésiens et populations européennes.
« On a réussi la réinscription de la Nouvelle-Calédonie en 1986 », raconte Oscar Temaru en 2021 à nos partenaires de TNTV. « Nous sommes partis à New York pour demander la réinscription de nos deux pays, c’était ça notre stratégie. Mais au dernier moment, Jean-Marie me dit : « Oscar, j’ai peur que la France utilise son droit de veto. On va pousser la Nouvelle-Calédonie d’abord et l’année prochaine on reviendra pour la Polynésie ». Bon… On sait ce qui est arrivé à Jean-Marie… ». En 1989, le leader indépendantiste kanak et Yeiwéné Yeiwéné étaient assassinés.
Arrivé au pouvoir non sans surprise en 2004, Oscar Temaru n’avait jamais abandonné son intention de réinscrire la Polynésie sur cette liste. Réinscrire car de 1946 à 1947, tous les territoires d’Outre-mer, alors colonies, y figuraient avant de devenir départements et territoires d’Outre-mer. Le 18 août 2011, l’Assemblée de Polynésie vote par 30 voix la résolution demandant la réinscription de la Polynésie sur la liste de l’ONU des pays à décoloniser. Cette précieuse résolution en poche, Oscar Temaru, alors président de la Collectivité d'Outre-mer, reprend activement la campagne de lobbying auprès des Nations unies et du Comité spécial chargé des questions de décolonisation (C24).
« Les pays membres du comité des 24, et surtout les pays de la région, avaient des positions assez divergentes, difficiles », se rappelle encore Oscar Temaru. Plus précisément, « Fidji, Kiribati, la Micronésie, les Marshall, Nauru, les Salomon, le Timor oriental, Tonga, Tuvalu et le Vanuatu, réunis à Fidji, signent une résolution appuyant la réinscription », le 2 septembre 2012. Le 6 septembre, le Comité central du Conseil œcuménique des Églises (COE) demande à son tour la réinscription de la Polynésie sur la liste de l’ONU.
« Mais il fallait qu’un pays prenne le dossier en main et c’est le Premier ministre des îles Salomon qui a décidé de porter ce dossier-là au niveau du Secrétariat, du 4e comité, et ensuite de l’Assemblée générale ». Dans le détail, c’est le 7 février 2013, que les îles Salomon, Tuvalu et Nauru déposent la résolution sur la réinscription de la Polynésie sur la liste des territoires non autonomes au secrétariat général des Nations Unies. Le 13 mai 2013, la réinscription est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale et le 17 mai, la Polynésie française est réinscrite par consensus général, sur la liste des pays à décoloniser de l’ONU.
« La France, qui s’est opposée à la résolution et n’a pas participé à la session, est battue » rappelle l’Université de la Nouvelle-Calédonie, alors que dans un communiqué, le Ministère des Affaires étrangères dénonce une « ingérence flagrante, une absence complète de respect pour les choix démocratiques des Polynésiens, un détournement des objectifs que les Nations unies se sont fixés en matière de décolonisation ».
Localement, les années 2011 à 2013 marquent le dernier mandat d’Oscar Temaru à la présidence de la Polynésie. Un mandat de vives contestations politiques et sociales, durant lesquelles sont reprochées au leader indépendantistes ses déplacements à New York pour obtenir la réinscription. En face, aucun opposant ne se risque à un énième renversement de gouvernement, et pour cause, les élections territoriales arrivent au premier trimestre 2013 et dans ce contexte économique difficile, il valait mieux être dans l'opposition. Entre 2011 et 2013, la Collectivité se relève lentement de la crise des « subprimes », ayant fait chuter la fréquentation touristique.
Début mai 2013, l’ancien président Gaston Flosse et son parti font un retour en force à l’Assemblée territoriale. Le 16 mai 2013, l’Assemblée vote un « vœu » s’opposant à la démarche de réinscription par 46 voix autonomistes. Un courrier est même envoyé au président de l’Assemblée générale de l’ONU pour demander le report de l’examen de la résolution, en vain. Ironie du sort ou hasard du calendrier, la réinscription de la Polynésie, le 17 mai 2013 à New York, a lieu quelques heures avant que Gaston Flosse ne retrouve son fauteuil de président. Et même si Oscar Temaru perd les Territoriales, cette réinscription à la saveur d'une victoire bien plus symbolique et importante pour son combat entamé en 1977.
Ce 17 mai 2023, pour les 10 ans de la réinscription, le parti indépendantiste veut naturellement marquer les esprits. Une marche, suivie d’un rassemblement, est organisée ce mercredi. L’heure est d’autant plus à la fête pour les indépendantistes qui ont remporté les élections territoriales, obtenant 38 sièges à l’Assemblée locale. Le parti, son leader historique et le nouveau président Moetai Brotherson, espèrent ainsi faire changer de position l’État, qui a toujours refusé de participer aux débats concernant la Polynésie française, contrairement à la Nouvelle-Calédonie.