Territoriales 2023 en Polynésie : Les indépendantistes vainqueurs, Moetai Brotherson futur président de la Collectivité

©Radio 1 Tahiti / Capture TNTV

Territoriales 2023 en Polynésie : Les indépendantistes vainqueurs, Moetai Brotherson futur président de la Collectivité

La liste indépendantiste du Tavini Huiraatira, menée par le leader historique Oscar Temaru, a remporté ce dimanche le second tour des élections territoriales en Polynésie française. Le parti va bénéficier d’une large majorité et devrait élire le député Moetai Brotherson à la présidence de la Collectivité d’Outre-mer.

Le temps de l’alternance. Après 10 ans de gouvernance autonomiste, d’abord avec le retour de Gaston Flosse en 2013 puis l’arrivée d’Édouard Fritch en 2014, les indépendantistes signent une victoire historique, après celle des Législatives de juin 2022, et s’octroient 44,32% des suffrages exprimés ce dimanche 30 avril (64 551 voix). Arrivés une première fois au pouvoir en 2004, avec une large coalition, le Tavini Huiraatira d’Oscar Temaru pourra cette fois-ci bénéficier d’une majorité très stable grâce à une prime accordée à la liste arrivée en tête du scrutin, permettant d’éviter l’instabilité politique.

Ainsi, le parti bleu ciel devrait occuper 38 des 57 sièges de l’Assemblée territoriale de Polynésie. Le parti Tapura Huiraatira d’Édouard Fritch s’en sortirai avec 16 sièges (38,53% des suffrages exprimés ce dimanche soir), tandis que le A Here Ia Porinetia de Nuihau Laurey et Nicole Sanquer (17,16% des suffrages) obtiendrai trois sièges.

« C’est une grande joie. On est heureux pour ce peuple qui a exprimé son désir de changement. On a conscience de la responsabilité qui va découler de cette victoire (…), de la responsabilité qui nous incombe », a déclaré sur le plateau de TNTV, Moetai Brotherson, député GDR (Nupes), également président de la Délégation aux Outre-mer. L’élu, représentant une aile plus « moderne » du parti créé en 1977, a capitalisé sur sa personnalité, jugée plus modérée, et sur un programme plus porté sur les thématiques économiques et sociales, devrait sans surprise occuper la présidence de la Polynésie. Il avait en effet annoncé sa candidature avant le début de la campagne officielle.

« Le peuple Ma’ohi est conscient de son droit de souveraineté, qu’il a le droit de propriété sur toutes les ressources de ce pays et que ça fait des années qu’il est trompé. Mais comme dit la chanson, fini ce temps », a réagi, depuis son fief de Faa’a, le président du parti et tête de liste, Oscar Temaru. Le « perchoir » de l’assemblée territoriale devrait revenir au maire de Paea, Antony Geros, numéro 2 du parti. Cette élection aura lieu le 11 mai, avant celle du président du pays, prévue dans la foulée, entre le 12 et le 15 mai.

Outre l’arrivée de Moetai Brotherson à la tête de la Collectivité d’Outre-mer, Eliane Tevahitua devrait être la première femme nommée à la vice-présidente, chargée de la Culture et de l’Enseignement supérieur, comme l’avait annoncé le parti en début de campagne. Ce dimanche, sur le plateau de TNTV, Moetai Brotherson a également dévoilé quelques noms de son futur gouvernement : Vanina Crolas, secrétaire générale du parti qui prendrai le portefeuille de la Fonction publique, Jordy Chan, « un jeune de 29 ans diplômé des Ponts et Chaussées » qui devrait prendre l’Équipement et les Grands travaux, et Ronny Teriipaia, agrégé de langue tahitienne, pressenti à l’Éducation.

Quant à son mandat de député, Moetai Brotherson va naturellement le laisser à sa suppléante, Mereani Reid Arbelot, a-t-il assuré toujours sur TNTV. Une législative partielle avait un temps été évoquée. En ce qui concerne la présidence de la Délégation Outre-mer de l’Assemblée nationale, celle-ci devrait être remise en jeu. Également élus à l’Assemblée territoriales, les députés indépendantistes (GDR, Nupes) Steve Chailloux et Tematai Legayic, garderont leur siège au Palais Bourbon, leur mandat de représentant à l’Assemblée polynésienne ne rentrant pas dans le cadre de la loi sur le non-cumul des mandats.

« Nous ressentons une déception car les Polynésiens sont majoritairement autonomistes alors que l’image de la future assemblée sera indépendantiste » a commenté le président sortant, battu, Édouard Fritch. Autonomiste et proche du parti présidentiel Renaissance, il avait fait alliance avec la liste de Gaston Flosse, éliminé au 1er tour, pour espérer rattraper son retard et inverser la vapeur. « Le rassemblement entre le Tapura et le Amuitahiraa n’a pas suffi », a-t-il constaté. Le parti d’Édouard Fritch a tout de même gagné plus de 18 000 voix entre les deux tours, soit plus que le score de la liste de Gaston Flosse au premier tour (14 773 voix). Le président sortant a appelé de ses vœux à une plateforme autonomiste.

De son côté, le A Here Ia Porinetia s’est satisfait de son entrée dans l’échiquier politique polynésien, entamée en 2022 lors des Législatives. Le parti de Nuihau Laurey et Nicole Sanquer s’en sort ce dimanche soir avec près de 25 000 voix, soit 7 000 voix en plus par rapport au premier tour. Pour se démarquer de l’alliance entre Édouard Fritch et Gaston Flosse, le parti avait misé sur la candidature de l’ancienne députée Nicole Sanquer à la présidence de la Polynésie. « On souhaite travailler, faire en sorte que cette mandature serve à quelque chose (…) On sera une opposition constructive mais vigilante », a déclaré Nuihau Laurey ce dimanche soir. Pas de poste au gouvernement a toutefois répondu ce dernier, alors que Moetai Brotherson s’est dit ouvert à un portefeuille pour « la minorité ».

Paris « prend acte »

Il va sans dire que l’arrivée des indépendantistes aux affaires en Polynésie va changer les relations avec Paris, même si Moetai Brotherson incarne une ligne plus modérée, avec des échanges plus fluides avec l’État. Mais dans un contexte de discussions institutionnelles sur la Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes kanak, proches des indépendantistes polynésiens, peuvent désormais compter sur des alliés bien installés dans l’autre Collectivité du Pacifique. Les deux territoires sont par ailleurs inscrits sur la liste onusienne des territoires à décoloniser, et les indépendantistes polynésiens espèrent désormais que Paris participe aux débats à l’ONU concernant leur territoire, comme le gouvernement le fait pour la Nouvelle-Calédonie.

Pour l’heure, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a félicité Oscar Temaru et Moetai Brotherson. « Les Polynésiens ont voté pour le changement. Le Gouvernement prend acte de ce choix démocratique. Nous travaillerons avec la majorité nouvellement élue avec engagement et rigueur, pour continuer d’améliorer le quotidien de nos concitoyens Polynésiens », a-t-il ajouté, remerciant Édouard Fritch « avec qui nous avons toujours entretenu un dialogue sincère et constructif ». « Un avenir nouveau s’offre aux Polynésiens, dans cette région du monde qui aspire à la paix et au respect » a réagi de son côté Fabien Roussel, député GDR et membre du parti communiste français. « Félicitations à la Polynésie » a aussi tweeté Jean-Luc Mélenchon. « Une nouvelle époque commence. Exigeante de respect mutuel, d'esprit de raison et de compromis ».

Du point de vue de la cartographie électorale, le parti indépendantiste s’est surtout imposé dans les îles et communes peuplées de Polynésie. Sans surprise, le parti d’Oscar Temaru est arrivé largement en tête dans son bastion de Faa’a, qu’il administre depuis 1983. Il s’est aussi imposé à Paea, Papara, Teva I Uta, Taiarapu Est et Ouest, Hitiaa O Te Ra et Mahina sur l’île de Tahiti, à Moorea-Maiao (île de Moorea), à Tumaraa, Taputapuatea et Uturoa sur l’île de Raiatea, ou encore sur l’île de Tahaa. Surtout, le parti bleu ciel s’impose une 3ème fois depuis juin 2022 à Papeete. Signe d’une tendance de fond dans la capitale de la Collectivité d’Outre-mer, à confirmer ou pas pour les lointaines municipales de 2026.  

De son côté, le parti d’Édouard Fritch se garde les voix des îles Marquises et plusieurs îles éloignées des Tuamotu-Gambier et des Australes, même si l’issue du second tour est plus clairsemée et que certaines îles comme Rangiroa, Manihi, Rimatara ou Tatakoto ont voté indépendantistes. Édouard Fritch sauve aussi son fief, la commune de Pirae, ainsi que les communes-îles de Bora Bora et Huahine, et les villes de Arue et Punaauia. Cette dernière, la 2ème ville la plus peuplée de Polynésie après Faa’a, qui avait hissé les indépendantistes en tête au 1er tour de ces territoriales, et aux 2nd tour des Législatives de 2022. L’avance du Tapura Huiraatira dans cette ville importante pour les autonomistes est toutefois très mince, puisque seulement 8 voix séparent les deux partis.

Enfin, sur le front de la mobilisation, 69,96% des quelque 210 000 électeurs polynésiens se sont rendus aux urnes ce dimanche. C’est neuf points de plus qu'au premier tour, et trois points de plus par rapport au second tour de 2018 (66,82%). Les résultats définitifs seront proclamés ce lundi à 12h30 à Papeete par le Haut-commissaire de la République, représentant de l’État en Polynésie.

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