Entre Tahiti et Paris, il est depuis plus de six ans un député avenant, en chemisette fleurie : Moetai Brotherson, élu vendredi président de la Polynésie française, est un indépendantiste résolu mais qui se donne du temps.
Les deux bras ornés de tatouages traditionnels, cet ancien pilier de rugby de 53 ans avait marqué les esprits dès 2017 en introduisant à l'Assemblée nationale, tranquillement, le « lavalava » - pagne traditionnel, jamais vu au Palais bourbon. Cette victoire de 2017 lui a aussi permis d’être le premier indépendantiste polynésien à siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale, dans le groupe GDR.
Auparavant, de 2011 à 2013, il avait participé, avec succès, au combat pour l'inscription de la Polynésie sur la liste de l'ONU des territoires où « le processus de décolonisation n'est pas encore achevé ». A présent, sa nette victoire électorale pourrait placer son camp indépendantiste en position de force face à l'État pour négocier un référendum d'autodétermination du territoire formé de cinq archipels, grand comme l'Europe, à 17 000 km de Paris. Jusqu'ici, Paris refusait de participer aux débats onusiens concernant la Polynésie.
Son programme et sa personnalité plus consensuelle que les cadres historiques de son mouvement ont permis à Moetai Brotherson, positionné à gauche, de séduire une partie de l'électorat autonomiste, majoritaire et jusqu'ici vent debout contre son parti. « L'indépendance ne sera jamais imposée, ce sera un choix que les Polynésiens feront, ou ne feront pas, à l'issue d'un processus d'autodétermination », avait-il assuré en mars à Tahiti Nui Télévision. « Honnêtement, je pense qu'on ne peut pas envisager un référendum avant dix ou quinze ans, mais tout va dépendre des discussions avec l'État », a-t-il ensuite déclaré à l'AFP.
Pour certains adversaires, il se serait présenté comme un modéré pour appliquer, une fois élu, le programme radical de son beau-père Oscar Temaru, 78 ans, qui a présidé la Polynésie française plusieurs fois mais sans majorité stable. « Oscar va continuer sa politique contre la France à l'ONU, Moetai semble vouloir autre chose. Qui est le menteur ? Ils ont gagné en mentant à la population », a ainsi affirmé l'ancien homme fort de la collectivité, Gaston Flosse, 91 ans, allié au président sortant Édouard Fritch au lendemain du second tour, après s’être fâché avec ce dernier en 2014.
« Pourquoi pas nous ? »
Réputé d'humeur toujours égale, Moetai Brotherson - adepte des arts martiaux, de la marche à pieds, de l'apiculture ou du jeu de go - s'affiche connecté à la nature et accessible à tous, comme lors de ses marches matinales quotidiennes. Lui qui a grandi dans l'archipel des Îles-du-Vent puis aux Iles-sous-le-vent se dit « indépendantiste depuis l'âge de 11 ans ». Dans un podcast diffusé en 2020, il racontait son enfance à Tahiti chez ses parents adoptifs - père chauffeur de camion, mère au foyer - puis à Huahine chez ses parents biologiques, infirmier danois et institutrice polynésienne : « Souvent les Polynésiens ont des enfants assez jeunes (...) et confient leur nouveau-né à une grand-mère, une tante, un oncle. Dans mon cas, ça a été la petite sœur de ma grand-mère ».
Une petite enfance merveilleuse, « totalement libre » en bord de mer à Tahiti, avec des gens « simples » qui ne parlaient pas le français mais le tahitien, a-t-il relaté. Puis des années sur un île plus isolée, Huahine, à dévorer les livres, développer une passion pour l'école et de profondes convictions indépendantistes. « Il y a des centaines de peuples sur la planète, la plupart sont indépendants, et pourquoi pas nous ? (...) Qu'est-ce qui s'est passé avant que ce drapeau bleu blanc rouge ne débarque ici ? », se demandait l'enfant quand « le gouverneur » arrivait et les élèves alignés devaient chanter la Marseillaise, a-t-il raconté.
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Devenu étudiant dans une école d'ingénieurs en informatique en région parisienne, confronté à la question « d'où tu viens ? », il s'affirme comme Polynésien, puis travaille comme informaticien dans l’Hexagone, au Japon, en Allemagne et aux États-Unis, avant de rentrer à Tahiti. Ce n'est qu'en 2004 qu'il s'investit dans la vie politique locale, à la première arrivée au pouvoir du parti indépendantiste Tavini Huiraatira, fondé par Oscar Temaru. Une évidence pour ce petit-fils de Jacques Tauraa, qui détient le record de nombre de mandats à la présidence de l'Assemblée de Polynésie. Père de cinq enfants, déjà grand-père, Moetai Brotherson est marié en secondes noces à Teua Temaru, fille d'Oscar Temaru, et ancienne ministre de l'Environnement dans le gouvernement polynésien de Gaston Flosse.
Comme membre du groupe communiste, affilié à la Nupes, il aura exprimé une opposition ferme au gouvernement, sur la question nucléaire ou sur la réforme des retraites. Il est aussi devenu le premier député du Pacifique à présider la délégation aux Outre-mer. Le nouveau président polynésien devrait présenter lundi son gouvernement, annoncé paritaire. Pour cause de cumul de mandats, il quittera son siège de député et sera remplacé par sa suppléante Mereana Reid Arbelot. Quant à la présidence de la délégation aux Outre-mer, elle sera remise au vote.
Avec AFP