Dans une note publiée par la Revue internationale et stratégique intitulée « Nouvelle-Calédonie : la stratégie indopacifique de la France à l’épreuve de la géopolitique du nickel », Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et directrice de l’Observatoire géopolitique de l’Indopacifique, revient sur l’importance de la Nouvelle-Calédonie pour la France, les difficultés de la filière nickel sur ce territoire, ainsi que sa place dans les ambitions stratégiques de Paris et des autres acteurs régionaux, en particulier de la Chine.
En dépit de la crise socio-économique que traverse actuellement la Nouvelle-Calédonie, la France n’a pas renoncé à faire de ce territoire un instrument de sa stratégie indopacifique. Sans une position océanienne solide, Paris se verrait privé de son statut de deuxième puissance économique mondiale et du potentiel énergétique et minéral d’une immense zone économique exclusive (ZEE). À titre d’exemple, sans la Nouvelle-Calédonie, la ZEE française serait amputée de 1,3 million de kilomètres carrés (et de 4,8 millions supplémentaires sans la Polynésie).
Par ailleurs, le territoire « occupe une position stratégique de premier plan. Ses îles gardent en effet la route maritime entre le Pacifique Nord, où se situent les bases militaires américaines, et l’Antarctique, tout en disposant de frontières maritimes avec l’Australie, les Fidji, les Îles Salomon et le Vanuatu », souligne Marianne Péron-Doise dans son étude.
Dans ce contexte, le secteur du nickel détient une place de choix. La Nouvelle-Calédonie possède en effet 5,5% des réserves mondiales, après l’Indonésie, l’Australie, le Brésil et la Russie, et représente le cinquième producteur mondial. « Ce minerai assurait jusqu’à présent un quart des emplois directs et indirects sur l’île. La filière minière et métallurgique a pu ainsi contribuer à plus de 20% du produit intérieur brut (PIB) local », jusqu’à ce que le marché devienne instable et que les événements de mai 2024 n’affectent encore plus la filière. Koniambo Nickel SAS (KNS) a par exemple dû fermer fin août 2024.
Les producteurs australiens et le secteur minier malgache, axé sur le nickel et le cobalt, rencontrent également des difficultés en raison notamment de l’hégémonie indonésienne. En outre, la Chine, contrôlant 61% de la production de l’Indonésie, pourrait chercher à affaiblir les autres producteurs de nickel pour maintenir sa domination.
« Ainsi, la tentative de proposer deux cotations pour deux sortes de nickel au sein de la bourse des métaux de Londres (London Metal Exchange, LME) a échoué. Un nickel éthique, écologique, produit en Nouvelle-Calédonie, au Canada, en Finlande et en Australie, aurait été proposé au marché mondial », précise la note. Mais le LME, sous la coupe de la Chine par le Hong Kong Stock Exchange (HKEX, bourse de Hong Kong) se serait opposé à l’instauration d’un prix premium de nickel « propre » pour éviter une concurrence avec le nickel indonésien, contrôlé par… Pékin.
« L’avenir du nickel néocalédonien est pour l’heure particulièrement sombre. À part l’État français, on ne voit pas de nouvel investisseur prêt à s’engager », relève Marianne Péron-Doise. « Ceci est d’autant plus paradoxal que la demande mondiale de nickel pour les batteries de véhicules électriques s’accroît, et les besoins en nickel de l’Union européenne pour les secteurs des technologies bas-carbone pourraient être multipliés par seize à l’horizon 2050, le principal pays demandeur restant la Chine, destinataire majeur des exportations de nickel brut néocalédonien depuis 2016 ».
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L’évolution et l’attention internationale suscitées par la situation en Nouvelle-Calédonie démontrent son importance géopolitique, bien au-delà d’une vision française. Elle a des implications économiques et stratégiques déterminantes pour Paris mais aussi pour les voisins du territoire, ce qui exige de définir un projet politique et socio-économique solide pour la Nouvelle-Calédonie.
« Il s’agit non seulement de la cohérence de la stratégie indopacifique française, mais aussi de la résilience des relations et partenariats construits entre ses territoires et la communauté des États riverains du Pacifique Sud, alors que l’emprise politico-économique et informationnelle de la Chine ne cesse de s’étendre dans la région », conclut la chercheuse.
PM