En Nouvelle-Calédonie, un centre pour "réparer" les conjoints violents

© Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

En Nouvelle-Calédonie, un centre pour "réparer" les conjoints violents

C'est un centre discret de dix places, au cœur de Nouméa, mais qui porte l'ambition d'accompagner des conjoints violents en attente de jugement à comprendre et désamorcer leur comportement.

Ouvert en novembre 2024 en présence du garde des Sceaux de l'époque Éric Dupond-Moretti, ce centre est le deuxième du genre en Outre-mer alors que la Nouvelle-Calédonie détient le triste record des violences intrafamiliales de l'ensemble des territoires français.

Près de deux tiers des 600 détenus incarcérés au Camp Est, le centre pénitentiaire local, le sont pour ce motif. Si les taux de récidive ne sont pas documentés, tous les spécialistes s'accordent sur le fait qu'ils sont sans doute particulièrement élevés.

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Ce centre, qui permet d'écarter les conjoints du domicile familial, évitant ainsi à la victime de devoir en partir, veut briser "le cycle de violences", souligne Moana, une éducatrice qui a souhaité rester anonyme, comme toutes les personnes citées.

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Après quelques mois de fonctionnement, le centre géré par l'Aravif (association pour la réinsertion des auteurs de violences intrafamiliales) commence à trouver son rythme, malgré les préjugés que reconnaissent certains membres du personnel. “Franchement, au début, j'ai fait la formation avec la rage. Toute ma vie, j'ai vu des tontons cogner leurs femmes. Je me disais ”Je vais aider des gars comme ça?", confie Edmond, un agent. Au contact des résidents, il a néanmoins fini par "comprendre qu'ils ont besoin d'outils pour changer".

Un sentiment partagé par Moana, la seule femme de l'équipe, dont le mari était inquiet. Cette ancienne commerciale, reconvertie dans le social, avait peur de leur agressivité. "Finalement, ils sont souvent plus à l'écoute qu'on ne le pense", constate-t-elle. "Ce sont des hommes, pas des monstres", poursuit Moana. "Ils ont fait des choses graves, mais si on les réduit à ça, on les enferme encore plus. De l'extérieur, on voit des bourreaux, mais ici on voit des hommes paumés, abîmés".

Moana se sent d'autant plus impliquée qu'elle dit faire ce travail "pour ces femmes (...) Si on veut qu'elles soient protégées, il faut que les hommes changent".

 "Se regarder en face" 

Sans rien excuser, les éducateurs soulignent l'importance de la prise de conscience pour des personnes qui, souvent, "ont vécu des violences dans leur enfance, ont été témoins de violences conjugales (...) et entrent dans un mécanisme très répétitif".

C'est le cas d'Aliki, dont l'enfance douloureuse a été marquée par des violences. "Ma vie éclatée m'empêche d'avancer mais je commence à réfléchir à mon parcours depuis petit", témoigne-t-il.

Au fil des entretiens avec le psychiatre et le psychologue, au travers des groupes de parole, il apprend à mettre des mots sur ses émotions et à prendre conscience de la violence qui l'a rongé. "Je ne veux pas qu'ils vivent ce que j'ai vécu", dit-il en parlant de ses enfants.

Son séjour est parfois difficile. Les introspections le ramènent à des événements douloureux mais l'envie de "remettre sa vie en ordre" et ses enfants lui redonnent du courage.

Il apprend à identifier sa colère et à utiliser des outils pour la faire redescendre. L'interdiction d'alcool et l'intervention d'un addictologue aident aussi à contrôler les consommations, quasi systématiquement associées aux violences.

Comme d'autres, Aliki appréhende sa sortie. "J'ai peur de ce qui m'attend dehors", explique-t-il. La peur de ne pas être là pour ses enfants et de ne pas réussir à aimer sa compagne "comme il faut".

Marcel a lui aussi grandi entouré de coups. Il n'avait aucune idée du mal que causaient ses "gifles" appuyées à sa compagne. Un premier passage en prison l'a rendu "encore plus violent", explique-t-il, disant mesurer sa chance d'être accueilli au centre où il s'est réellement "confronté à ses actes pour la première fois".

"Ce n'est pas une punition ici. C'est une chance. Une occasion de se regarder en face", résume un éducateur.

En 2023, 3.184 faits de violences intrafamiliales, dont 70% conjugales, ont été enregistrés en Nouvelle-Calédonie, qui compte environ 270.000 habitants.

Avec AFP