EDITO de Luc Laventure. Nouvelle-Calédonie : Les peurs du lendemain peuvent être conjurées

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EDITO de Luc Laventure. Nouvelle-Calédonie : Les peurs du lendemain peuvent être conjurées

Mai 88, deux communautés se déchirent : c’est une guerre civile. Juin 88, les deux ennemis que l’on croyait irréconciliables, se serrent la main pour un accord historique, depuis appelé Accord de Matignon.

Alors que les indépendantistes ont une nouvelle fois échoué à constituer un gouvernement en Nouvelle-Calédonie ce matin, et que les impératifs politiques approchent à grand pas, la situation du Caillou mérite que l’on s’y attarde un temps.

30 ans après : quelles perspectives ?

Solidarité permanente de l’État, différenciation institutionnelle, retour impossible sur les compétences élargies, prise en compte des paramètres culturels, reconnaissance « des ombres et des lumières » de la colonisation. Depuis 33 ans, on a beaucoup tenté. Pourtant, trop complexe et trop sensible, le « dossier calédonien » brûle les doigts et les lèvres des ministres qui s’y frottent. Tour à tour, les décisions importantes et difficiles à prendre ont été évitées, prorogées, enterrées. Une impréparation que l’actuel locataire de la rue Oudinot tente de combler. Le travail qu’il a engagé sur les conséquences du OUI et du NON permettra aux Calédoniens de savoir ce qu’ils engageront au prochain référendum.

La semaine dernière, se tenait au Sénat une session sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Les sénateurs de tous bords se sont succédé à la tribune ; tous ont partagé leurs inquiétudes, au sujet d’un futur de plus en plus incertain. Une sorte de bilan des Trente Glorieuses qui viennent de s’écouler.

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D’ici la fin 2022, un 3ème référendum sera sans surprise proposé par Paris qui s’en tient au programme initial. Ce scrutin marquera cette fois la fin du pacte trentenaire. Encore en gestation, cette 3ème édition du référendum a déjà son histoire.

Elle est réclamée par les uns qui espèrent, quel qu’en soit le résultat, de boucler la boucle et déclencher avec l’État la suite du processus. Elle est rejetée par d’autres qui veulent épargner au territoire le tranchant du couperet qui ferait définitivement perdre la tête à ces fameux accords de Matignon et de Nouméa. Elle est également redoutée par ceux qui espèrent encore mettre tout le monde autour de la table pour un hypothétique consensus.

Quoi qu’il en soit, chacun devra s’y résigner ; puisqu’il faut bien, ne serait-ce que pour dégager l’horizon, en avoir le cœur net.

La Calédonie présente à la Présidentielle de 2022 ?

Un problème majeur se dessine toutefois à l’horizon : la superposition des calendriers électoraux en Nouvelle-Calédonie et dans l’Hexagone. L’histoire a déjà démontré que l’irruption du calendrier politique calédonien (1988) pouvait provoquer une onde de choc sur le plan national. C’était, il y a plus de 30 ans, lors des tragiques événements de Ghossana. L’actuel exécutif prendra-t-il le risque de faire voter le 3ème référendum en septembre 2022 ? L’instrumentalisation de la situation calédonienne, par des embrasements calculés, lors d’une élection Nationale est élevée.

Qu’aurait-on raté pendant ces années ?

Nos juristes ont déployé leur talent en portant l’OVNI de Michel Rocard jusqu'aux fonts baptismaux constitutionnels. Ce système jusqu’alors inconnu est devenu l’alpha et l’oméga du miracle calédonien. Ils ont réussi cette alchimie unique en France : pousser l’autonomie jusqu’à l’extrême limite… rendant jalouses les régions ultramarines et même de l’Hexagone, qui réclament sans arrêt plus d’air et de décentralisation.

Côté démocratie en 25 ans : 17 gouvernements, 5 mandatures de Provinces siégeant en Assemblées et représentées au Congrès ; le Sénat coutumier et le Conseil Économique et Social ont participé à la spectaculaire mécanique institutionnelle avec une évolution permanente.

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Les crises gouvernementales, comme celle provoquée par le renversement de l’exécutif en début d’année, ont eu pour effet de créer une dynamique pour les Provinces porteuses d’un fort courant d’opinion en faveur de leur renforcement.

La Nouvelle-Calédonie n’a pas failli sur le volet de ses paramètres sociaux les plus immédiats, notamment en matière de formation professionnelle et d’emploi local, qu’une législation sur-mesure protège soigneusement. Pour en assurer la pérennité dans le Nord et aux Îles, l’outil - pas seulement budgétaire - a été le rééquilibrage, clé de répartition fiscale inégalitaire destinée à donner aux Provinces les moyens d’assumer leurs compétences et de développer leur environnement industriel et humain. Adepte avant l’heure de la théorie du ruissellement, la Calédonie compte bien toucher un jour les dividendes de son entrée dans le grand bain de la mondialisation. Un bémol sur le plan économique : sa dépendance à un nickel qui n’a pas tenu ses promesses de diversification persiste.

Alors pourquoi s’alarmer ?

À quelques encablures de la ligne d’arrivée, il ne faut sans doute pas se formaliser des tensions d'aujourd'hui. Comme les « coups d’ouest », la Nouvelle-Calédonie connaît les « coups de menton ». On dit même que c’est sur le Caillou qu’ils ont été inventés. En revanche, ce qui constitue un vrai danger, c’est le manque de visibilité des lendemains avec une guerre des postures, qui semble couper court à tous essais de dialogue.

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C’est ici que le bât blesse. On aurait inventé et mis en branle un appareil institutionnel et administratif unique. Mais pendant ce temps, la société calédonienne à bout de nerfs est toujours à la recherche de son plus petit dénominateur commun qui la persuaderait que toutes ces années n'ont pas été vaines. C’est un peu comme si on avait glissé sous le tapis la poussière du quotidien, celle qui s’accumule et finit par provoquer des allergies.

Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur, une poignée de main factice ?

Finalement, la disparition de Jean-Marie Tjibaou et de Jacques Lafleur a laissé les Calédoniens bien orphelins. Certains diraient que les héritiers (auto)désignés n’ont pas su devenir des successeurs. Quelques motifs d’espoirs subsistent. Ils se matérialisent surtout par les initiatives de la société civile calédonienne. Ces acteurs des milieux économiques, culturels, religieux, spirituels et coutumiers ont démontré à plusieurs reprises qu’ils savaient être de formidables vecteurs du vivre-ensemble. C’est d’elle que vient l’évolution de la classe politique « loyaliste ».

Cette dernière a porté au Congrès et dans les Provinces des responsables politiques, plus jeunes, plus en lien avec leur époque, d’origines plus diverses. Elle a amené également des femmes aux responsabilités qui portent aujourd’hui les espoirs de leurs camps.

La mobilisation de la société civile a aussi fait bouger les lignes chez les indépendantistes. En questionnant le rôle et le poids de la Coutume, les associations ont commencé à libérer la parole des femmes et des jeunes. Le développement d’acteurs économiques Kanak a aussi donné les clés à la population mélanésienne pour s’insérer pleinement dans le XXIème siècle. 

Est-ce donc dans la société civile que se trouvent les vrais successeurs de Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ? S’il est encore trop tôt pour apporter une réponse à cette question, nul doute que les Calédoniens, lorsqu’ils s’éloignent des impératifs politiques qui les divisent, savent se retrouver autour de valeurs simples, communément partagées.

Bizarrement, le meilleur exemple de ce constat se trouvait aux portes de Paris, le samedi 8 mai 2021. À l’initiative du collectif culturel Festin Comm’un, plusieurs dizaines de Calédoniens se sont retrouvés dans les bois ensoleillés du Parc de Vincennes pour célébrer le rite sacré de la Coutume. Une Coutume d’accueil, au cours de laquelle tous les responsables d’associations participant à l’organisation de cet événement, ont souligné le plaisir qu’ils avaient à se retrouver. Kanak, Wallisiens, Polynésiens, Caldoches, Européens …

 « Nous sommes rassemblés ici aujourd’hui pour parler de ce qui nous rassemble. On sait qu’au pays, il est difficile de se parler. Mais nous, on le fait ici parce qu’on le peut. Les prochains mois vont être difficiles, mais il ne faut pas oublier ce qui nous unit. Notre envie de vivre en paix ensemble, qu’importe les projets politiques. Ce qui nous unit, c’est notre amour commun pour notre terre. C’est ce qui nous lie et c’est plus fort que tout ! » clamait un responsable du collectif culturel Festin Comm’un.

Une façon de montrer que les peurs du lendemain peuvent être conjurées : il y a quelques années, la peur d’une technologie intrusive pouvait faire craindre un éloignement des coutumes ancestrales. Le samedi 8, on a assisté à une démonstration contraire, c’est la nouvelle « application » technologique qui a permis à la Coutume d’être célébrée… et aux Calédoniens de se retrouver !

Luc Laventure