Débutées mardi, les bilatérales entre le ministre des Outre-mer et les délégations politiques calédoniennes se poursuivent dans un silence quasi absolu. L’objectif de Paris : reprendre le fil du dialogue sur l’avenir institutionnel de l’archipel, rompu depuis fin 2023.
Il est rare qu’un tel embargo soit mis en place dans le cadre d’un rendez-vous politique sur ce dossier aussi sensible. Seules quelques réactions à la sortie d’entretien avec Manuel Valls sont timidement données, essentiellement par Les Loyalistes ou Le Rassemblement-LR. Du côté des indépendantistes, on s’accommode bien de ce silence.
Une rigoureuse « discrétion » pour favoriser « l’esprit de responsabilité et d’écoute », justifiait en début de semaine le Ministère des Outre-mer. Une « bonne méthode » selon Philippe Gomès, chef de file de Calédonie ensemble, parti non indépendantiste de centre-droit, pour qui cette discrétion, plutôt que la « communication intempestive » peut insuffler « une dynamique constructive ».
« On est rentré dans le fond avec le ministre d'État », a dit de son côté Alcide Ponga, président du parti Le Rassemblement-LR, qui a récemment accédé à la présidence du gouvernement calédonien. Pour cette figure kanak de la droite non indépendantiste, il « s’agit surtout de partager un peu comment est-ce qu'on perçoit les choses, poser un peu nos limites, jusqu'où on peut aller ». D’après l’élu, l’État va « essayer de faire une synthèse de tout ça et voir s'il y a un chemin possible ou pas ».
« Notre objectif était d’expliquer le projet qu’on porte avec Le Rassemblement-LR » confie de son côté Gil Brial, élu Les Loyalistes au Congrès calédonien. Le projet en question : celui d’un « fédéralisme interne » dans la République française, impliquant des provinces calédoniennes au pouvoir accru. Manuel Valls « avait besoin de réponses politiques et techniques pour le comprendre », ajoute Gil Brial.
Pour Philippe Gomès, ce projet de « fédéralisme interne » est celui d’une « hyper-provincialisation » qui ne dit pas son nom, quand le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou met en garde contre « une fracture territoriale et ethnique », voire « un apartheid ». Si le parti de Philippe Gomès ne ferme pas la porte à une évolution de la « répartition des pouvoirs entre la collectivité Nouvelle-Calédonie et les provinces », « cette évolution ne peut conduire à une remise en cause de la Nouvelle-Calédonie une et indivisible ».
L’autre divergence, c’est la place de l’accord de Nouméa. Les Loyalistes et Le Rassemblement-LR ont plusieurs fois, depuis le troisième référendum d’indépendance, appelé à la sortie de l’accord de 1998, mettant en avant sa caducité. Or, « l'Accord de Nouméa (…) inscrit au cœur de la Constitution française demeure aujourd'hui la matrice politique qui régit la Nouvelle-Calédonie » a rappelé le député Emmanuel Tjibaou, appelant l’État à « poursuivre dans cette voie ».
Un point de vue partagé par le ministre des Outre-mer, qui avait depuis Matignon piloté plusieurs comités des signataires de l’Accord. « Les accords de Matignon et de Nouméa, avec la perspective du processus de décolonisation sont (…) le socle de nos discussions. Ils sont mon ADN », avait déclaré Manuel Valls à l’Assemblée nationale. « Nous ne devons rien oublier de Michel Rocard et de Lionel Jospin, de Jacques Lafleur et de Jean-Marie Tjibaou ».
Outre écouter les six délégations calédoniennes, l’autre objectif de Paris est de les réunir autour de la même table pour « des négociations plus formelles ». « De notre côté, côté droit de l'échiquier, on est déjà prêt à se mettre tout le monde autour de la table pour discuter, ce qui n'est pas forcément le cas en face » a regretté le président du gouvernement Alcide Ponga.
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« Il va falloir qu'il y ait une suite, qu'on sorte de cette situation et qu'on trouve un chemin de sortie de l'accord de Nouméa. Qu'on puisse dire aux Calédoniens : Voilà comment est-ce que tous ensemble, on entrevoit les choses », a-t-il ajouté. Peu de chances toutefois que ces négociations plus formelles arrivent à l’issue de ces bilatérales. La délégation du FLNKS n’a pas été mandatée par sa base pour aller dans ce sens.
Il faudra donc être patient, et attendre un éventuel déplacement de Manuel Valls à Nouméa pour avancer sur un éventuel accord. Accord d’autant plus urgent que le calendrier est mince, avec des élections provinciales qui doivent avoir lieu fin novembre 2025 au maximum, et que court sur l’archipel la crainte d’un retour de la violence, attisée cette fois par la frustration sociale hors norme créée par les précédentes violences.
« Trouver un accord n’est pas une option, c’est une obligation », martèle Philippe Gomès qui plaide pour un geste à l’égard des indépendantistes. « Si le résultat des référendums d’autodétermination ne peut être nié » et que « le nouvel accord de peut permettre l’accession à une souveraineté pleine et entière de la Nouvelle-Calédonie », Calédonie ensemble appelle à entendre la revendication d’accession à la souveraineté des indépendantistes, « qu’ils perçoivent comme une restauration de leur dignité, comme une nouvelle naissance au monde ».
« Le déclic doit se faire au niveau de l’État » ajoute Philippe Gomes, réclamant « impartialité » et « devoir de réalisme ». Demain, c'est sur le front de l'économie calédonienne que se déplaceront les discussions, à Bercy, avec Amélie de Montchalin en plus de Manuel Valls.