Avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Philippe Dunoyer : "Plus notre message sera commun, plus les Calédoniens sont susceptibles d’y adhérer"

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Avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie - Philippe Dunoyer : "Plus notre message sera commun, plus les Calédoniens sont susceptibles d’y adhérer"

Après la signature d’un accord à Bougival, les explications des signataires se poursuivent. Pour le cadre de Calédonie ensemble, Philippe Dunoyer, l’équilibre trouvé en région parisienne s’inscrit dans la lignée de celui des accords de Matignon et Nouméa. Entretien par notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.

 

On a longtemps craint un échec de cette séquence de Bougival. Finalement l’accord a été signé in extremis, qu’est-ce qui a fait basculer la décision ?

Je crois d’abord que Bougival ne peut pas être analysé séparément des séquences précédentes, notamment celles de février, mars et mai 2025, qui ont chaque fois donné lieu à des négociations intensives.

Je crois aussi que ces dix jours à Bougival étaient en quelque sorte la réunion de la dernière chance car, à défaut d’accord, le décret de convocation des électeurs pour les provinciales de novembre 2025 aurait dû être pris par le gouvernement. Une dernière chance que, je crois, toutes les délégations ont ressenti avec acuité étant donné le chaos politique, économique, social et sanitaire qui aurait résulté d’un non-accord.

Enfin, il y a la méthode Valls. Un investissement hors norme sur la durée qui témoigne d’abord de son attachement au pays, qui témoigne aussi que le règlement des sujets calédoniens nécessite des hommes politiques d’envergure, à l’instar de Michel Rocard en 1988 ou de Lionel Jospin en 1998.

La petite nation dans la grande nation, c’est un peu la victoire d’un projet que vous défendez de longue date. Quels motifs de satisfaction retenez-vous de cette séquence ?

Nous avons toujours défendu l’idée de faire le pays les uns avec les autres, et non pas les uns contre les autres. C’est pourquoi, de longue date, nous considérons qu’un accord devait se construire en prenant en compte les aspirations à la souveraineté externe, exprimées par les indépendantistes, par exemple par le transfert de la compétence en matière de relations internationales ou la capacité du pays à s’autoorganiser via l’adoption d’une loi fondamentale, sorte de constitution locale.

Dans un même temps, il est nécessaire de répondre au besoin de protection de la France attendu par les non-indépendantistes, particulièrement en ce qui concerne les compétences régaliennes qui doivent continuer à être exercées de manière impartiale, ainsi qu’en ce qui concerne le maintien de la nationalité française.

C’est cet équilibre que nous avons collectivement construit lors des négociations à Bougival. C’est cet équilibre que nous avions proposé en janvier 2024 après des négociations avec les indépendantistes dans le cadre de nos "propositions de convergences entre Calédoniens pour un grand accord". C’est cet équilibre qui avait été construit par nos anciens, dans d’autres contextes, lors des accords de Matignon et de Nouméa.

Y a-t-il des regrets ou des points sur lesquels vous avez dû faire des concessions ?

Notre regret, c’est le caractère indigent du volet économique et financier de l’accord. Nos demandes sont claires et ne sont pas satisfaites. Les 170 milliards d’emprunt effectués par la Nouvelle-Calédonie pour affronter les crises Covid et insurrectionnelle ne sont pas effacés et le financement des investissements structurants sur lesquels l’État s’est officiellement engagé n’est pas du tout garanti.

Il s’agit pour l’engagement présidentiel de la construction d’une unité de production d’énergie électrique décarbonée pour notre industrie métallurgique d’un montant estimé entre 2,5 et 4 milliards d’euros [entre 300 et 480 milliards de francs, NDLR] et, pour l’engagement ministériel, de la construction du nouveau centre pénitentiaire de 600 places d’un montant de 500 millions d’euros [60 milliards CFP, NDLR].

Ces sujets, essentiels, constituent l’angle mort de l’accord de Bougival. Nous le regrettons d’autant plus fort que la République sait être au chevet de ses collectivités ultramarines lorsqu’elles sont sinistrées. Je pense notamment à la loi pour la refondation de Mayotte, qui vient d’être adoptée par le Parlement, et qui prévoit 4,3 milliards d’euros [513 milliards de francs, NDLR] d’aides financières pendant les six prochaines années. Pour autant, le combat sur ces enjeux n’est pas terminé.

À Bougival, pendant quelque temps, l’Eveil océanien et Calédonie ensemble ont été écartés des discussions entre loyalistes et indépendantistes qui ne parvenaient pas à se mettre d’accord. Comment l’avez-vous vécu ?

Personne n’a écarté personne. Chaque formation politique a pu faire des bilatérales avec qui elle voulait, et quand elle voulait, tout au long de ces dix jours. C’est ça aussi la méthode Valls, laisser de la souplesse au process de négociation, à la fois en ce qui concerne les formats et les sujets.

En l’espèce, après une première réunion sous la présidence du ministre, les Loyalistes ont souhaité avoir des discussions en vase clos avec les indépendantistes. Il n’y avait aucune raison de s’y opposer ni pour l’État, ni pour nous, si ça favorisait l’émergence d’un consensus, d’autant plus que ce sont ces formations qui portaient les positions les plus radicales. Ça a duré exactement en tout et pour tout une journée, avant que ces échanges n’achoppent, et que reprennent les réunions plénières.

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Plus de référendum couperet, mais des consultations en cas de demande de transfert de compétences… Cet accord nous sort-il de la bipolarité dans laquelle nous avait enfermés l’ADN ?

Je ne pense pas hélas. Nous avions proposé que soit instaurée une période de dix à quinze ans de stabilisation avant de permettre l’éventuel transfert des compétences régaliennes. Notre pays en aurait eu besoin pour se reconstruire économiquement et socialement, sans que des enjeux politiques importants ne viennent perturber ce redressement.

Nous avions aussi proposé qu’un référendum d’autodétermination soit organisé au terme de cette période de stabilisation, soit sur la base d’un projet adopté à la majorité des trois cinquièmes du Congrès, soit, à défaut, la dernière année du dernier mandat, entre un État associé et une Calédonie dans la France. Cette proposition n’a pas été retenue.

Au bout du compte, nous serons contraints probablement d’affronter des consultations d’autodétermination découpées en tranches, puisque chaque transfert de compétence régalienne, après avoir été demandé à la majorité de 36 membres du Congrès et fait l’objet d’un rapport conjoint avec l’État, devra être soumis à l’approbation des Calédoniens. On risque donc de se retrouver, lors de chaque campagne pour les élections provinciales, avec la question du transfert ou pas, pendant le mandat à venir, de telle ou telle compétence régalienne. En conséquence, les débats risquent de se polariser tous les cinq ans, entre indépendantistes et non indépendantistes sur ce sujet.

Considérez-vous que le processus de décolonisation est arrivé à son terme ?

Comme le souligne l’accord, la Nouvelle Calédonie est engagée "dans un processus de décolonisation progressif fondé sur l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple calédonien". Ce processus se poursuit. Il sera arrivé à son terme lorsque la Nouvelle-Calédonie sera retirée de la liste des territoires à décoloniser de l’ONU, ce qui n’est pas le cas au terme de l’accord de Bougival. Le sujet a d’ailleurs été explicitement abordé lors des discussions et chaque délégation en a pris acte.

L’UNI parle de construire ensemble un pays. Ce que les politiques n’ont pas réussi à le faire depuis trente ans. Pensez-vous que la Calédonie puisse relever ce défi ?

Nous avons réussi à bâtir ensemble un pays jusqu’à l’ouverture de la séquence référendaire en 2018 qui a opposé les Calédoniens en les rangeant dans des camps, et contribué à détricoter les fils du destin commun que nous avions noués trente ans durant. C’est pour cette raison d’ailleurs que nous avions proposé, après la première consultation, de construire un référendum de projet rassemblant les Calédoniens au lieu de subir deux nouveaux référendums binaires qui ont été désastreux pour le vivre ensemble, et qui nous ont conduits aux événements du 13-Mai.

L’accord nous appelle à "inscrire le destin commun comme horizon de la société calédonienne". C’est le challenge que le peuple calédonien devra désormais s’atteler à relever.

La recomposition du Congrès au profit de la province Sud va modifier le rapport de force au Congrès. En quoi cela était-il nécessaire et quels en seront les conséquences ?

Nous n’en savons rien. Les dernières élections législatives, alors que le corps électoral était totalement ouvert, ont conduit les indépendantistes à obtenir, au second tour, 10 000 voix de plus que les non-indépendantistes, avec un taux de participation de 71 %, ce qui est très élevé. Je crois qu’en conséquence, sur ce sujet-là plus que jamais, nous devons faire preuve d’humilité.

Quant à la correction effectuée sur les sièges du Congrès attribués aux provinces, elle était nécessaire afin de prendre en compte le fait que la province Sud rassemble aujourd’hui 75 % de la population du pays.

Il va maintenant falloir convaincre la population d’adhérer à un projet qui lui semble flou et ambigu. Comment appréhendez-vous cette campagne ? Et envisagez-vous de la mener avec les autres partenaires signataires ?

Le projet paraît flou et ambigu à la population du pays parce qu’il n’a pas encore été expliqué. Il faut en faire la pédagogie. Nous avons tenu d’ailleurs ce samedi, à l’université, une première réunion d’information citoyenne. Une campagne commune avec les autres formations politiques nous semble nécessaire une fois que les différentes organisations auront validé l’accord. Plus notre message sera commun, plus les Calédoniens sont susceptibles d’y adhérer.

Par Les Nouvelles Calédoniennes