Une semaine après la signature de l’accord de Bougival, Manuel Valls, à la manœuvre depuis de longs mois dans ces négociations, salue le "choix difficile mais courageux" des indépendantistes et des non-indépendantistes en faveur "du compromis" et de la "paix". Création d’un État dans la France et d’une nationalité calédonienne, nouvelle répartition des élus au Congrès, transfert des compétences régaliennes… Le ministre d’État revient, dans un entretien exclusif accordé à notre partenaire Les Nouvelles calédoniennes, sur les points clés de ce texte "très attendu".
Vous avez signé un accord historique à Paris, mais le texte est déjà critiqué en Nouvelle-Calédonie. Quelles sont les chances de le voir aboutir ?
Cet accord était très attendu en Nouvelle-Calédonie car l’économie va très mal et la situation sociale est particulièrement inquiétante. Les difficultés s’accumulent, avec une économie détruite, un secteur de la santé en grande détresse, une jeunesse en manque de repères et une société fracturée qui laissent planer le spectre d’un basculement dans la violence.
Dans ce moment où chacun mesure la gravité de la situation, l’ensemble des délégations indépendantistes et non-indépendantistes ont fait le choix difficile mais courageux du dialogue, du compromis et de la paix. Bien sûr pas à tout prix, pas en reniant leurs positions et leurs convictions, mais en s’appuyant sur la théorie du franchissement – des points de non-retour – formalisée par Jean-Marie Tjibaou en 1988. Pendant six mois, elles ont discuté âprement et dans un moment de vérité, elles ont su dépasser les antagonismes pour se retrouver sur le même texte. Si l’État a pris toute sa place, cet accord nous leur devons.
Il s’appuie donc sur un principe vital qui veut que lorsqu’un compromis est conclu entre Calédoniens de tous bords et de toutes origines, Kanak, Européens, Océaniens, on ne le refuse pas. Il permet de concilier deux aspirations jusqu’ici contradictoires, en s’appuyant sur une organisation institutionnelle inédite, sui generis.
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Qu’impliquerait ce statut inédit ?
Ce texte permet des avancées majeures : la création d’un État de la Nouvelle-Calédonie, l’instauration d’une double nationalité française et calédonienne, une loi organique spéciale, une loi fondamentale propre à la Nouvelle-Calédonie, le transfert de la compétence en matière de relations internationales dans les domaines qui relèvent de ses compétences, la possibilité de transferts de compétences régaliennes et l’ouverture du corps électoral pour les prochaines élections provinciales.
Mais cet accord ne s’arrête pas là. Il comporte aussi un pilier économique et social avec un pacte de refondation économique et financière, un plan stratégique pour la filière nickel, un contrat d’engagements sur les politiques publiques prioritaires. Il est une démonstration que le dialogue, la négociation et la politique au sens le plus noble du terme, peuvent permettre de tracer une voie partagée. Il revient désormais aux Calédoniens de s’en emparer, d’en discuter et de faire leur choix. J’appelle les maires, les autorités coutumières, les associations, les jeunes, la société civile à s’y engager.
Je note qu’il est aujourd’hui défendu par tous ceux qui connaissent et aiment la Nouvelle-Calédonie : Jean-François Merle, Alain Christnacht, Benoît Lombrière, Jean-Jacques Urvoas ou Philippe Gosselin. J’ai été touché par leurs mots. Je pense aussi à ceux de Louis-José Barbançon.
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Qu’en sera-t-il si l’accord est rejeté ?
Le rejet de cet accord serait un saut dans l’inconnu, il entraînerait un retour de l’instabilité, de la défiance, de la radicalisation et de la violence. Et ça, personne ne peut le souhaiter.
Mais si je suis lucide, je refuse le pessimisme. Comme en 1988, ce qui s’impose, c’est le geste, l’idée même de l’accord, le premier depuis 1998. S’ouvre désormais une période d’explications entre Calédoniens, de longues discussions sur la loi organique, puis la loi fondamentale, avec des espaces permettant à chacun de faire valoir ses préoccupations. Certes, ce texte ne résout pas tout et ne fait pas de miracle, mais il permet de sortir d’un statu quo mortifère.
Le président de la République s’est engagé, comme le Premier ministre, le gouvernement, les présidents des deux chambres. Vous connaissez mon implication personnelle. Je ne lâcherai rien. Par-dessus tout, les délégations calédoniennes se sont engagées à défendre le texte en l’état. J’en appelle à la responsabilité de tous et à lutter contre toutes les fausses informations.
Enfin, n’oublions pas que l’instabilité politique nationale fait peser le risque d’un marasme durable et de solutions beaucoup plus dures. Qui peut dire, demain, ce que deviendront certaines idées, comme un projet insensé de repeuplement ou une proposition de loi constitutionnelle d’ouverture du corps électoral imposée sans dialogue ? C’est précisément parce que le contexte est incertain que le rendez-vous de février 2026 prend tout son sens.
On ne bâtit pas de paix durable en rejouant sans fin le même face-à-face.
L’accord peut-il encore évoluer ?
L’essentiel de l’accord est posé. L’architecture politique est définie, elle ne peut pas être remise en cause, je veux être clair et sincère. Il est donc pérenne dans ses principes, mais vivant et évolutif dans sa mise en œuvre à mesure que les responsabilités s’assument et que la confiance se construit.
Il prévoit le transfert à la Nouvelle-Calédonie d’une compétence régalienne majeure, celle des relations internationales. Ce transfert prévoit un engagement de la France à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans ses démarches de reconnaissance internationale. Une fois cette reconnaissance acquise, la Nouvelle-Calédonie pourra signer directement des accords internationaux avec les États qui l’auront reconnue, sans intervention de la France.
Par ailleurs, l’accord organise une transition de la citoyenneté vers une nationalité propre à la Nouvelle-Calédonie. Enfin, l’organisation institutionnelle n’évolue pas à ce stade, notamment pour ce qui concerne les provinces. Les principes restent l’unité du pays et la différenciation possible.
Cet accord peut donc évoluer, non dans sa structure, mais dans son application.
Une réforme constitutionnelle doit être adoptée d’ici la fin de l’année. Ce calendrier peut-il être remis en cause si le gouvernement tombe ?
L’avenir du territoire ne peut pas rester à la merci des calculs de court terme ou des logiques partisanes. Je crois en la responsabilité des groupes politiques, des parlementaires : à Paris comme à Nouméa, tous savent à quel point ce texte est attendu pour refermer, enfin, le cycle de l’instabilité. Tous me l’ont dit. Nous devons tenir ce calendrier. Je sais pouvoir compter sur l’engagement du président du Sénat, Gérard Larcher, et de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.
Le droit à l’autodétermination est peu présent. Un nouveau référendum sur la souveraineté est-il possible ? Le processus de décolonisation est-il achevé ?
Le droit à l’autodétermination reste pleinement reconnu. Il figure dans le préambule du texte et demeure garanti par le droit international.
Cet accord permet de sortir des routines institutionnelles car on ne bâtit pas de paix durable en rejouant sans fin le même face-à-face.
Le texte de l’accord le dit clairement, c’est "une nouvelle étape sur la voie de la décolonisation et de l’émancipation". Il ne clôt donc pas ce processus mais il l’approfondit en le pérennisant tout en se projetant vers l’avenir. Il revient désormais aux institutions calédoniennes et au Congrès de dépasser les affrontements binaires pour ouvrir un débat exigeant. Il reste à réaliser le plus difficile, la décolonisation des cœurs et des esprits.
Personne n’imagine que la Nouvelle-Calédonie puisse exercer seule, du jour au lendemain, des compétences comme la Défense.
Le transfert des compétences régaliennes nécessitera une majorité qualifiée au Congrès. Est-ce une manière de verrouiller l’accès à la souveraineté ?
Présenter ce mécanisme comme un verrou serait une erreur d’analyse, et même une forme de déni vis-à-vis de la volonté démocratique des Calédoniens. Ce n’est ni une entrave ni un refus d’autodétermination, c’est un choix assumé de responsabilité et de maturité politique. Ce droit est là, inscrit noir sur blanc dans l’accord.
Mais un transfert de compétence régalienne ne peut se faire à la légère. Il engage des fondements essentiels de l’État, ce qui implique un niveau d’exigence plus élevé qu’une majorité simple. Une telle décision doit reposer sur un accord large, non pour ralentir le processus, mais pour en garantir la légitimité et favoriser l’unité.
L’accord définit les conditions concrètes d’exercice de la souveraineté : une majorité qualifiée de 36 membres sur 56 au Congrès pourra donc initier une demande de transfert d’une compétence régalienne. Cette demande devra ensuite être validée par les Calédoniens. Ce mécanisme permet une avancée progressive, compétence par compétence ou de manière globale, avec la possibilité de maintenir un partage avec l’État français, selon les réalités de chaque domaine. Il s’agit d’une démarche pragmatique : personne n’imagine que la Nouvelle-Calédonie puisse exercer seule, du jour au lendemain, des compétences comme la Défense.
L’accord modifie la composition du Congrès. Pourquoi ? Qu’en est-il des élections provinciales ?
C’est une des concessions de cet accord. L’équilibre politique et démographique a évolué. Il fallait en tenir compte. Il ne vise pas à écraser une sensibilité par une autre, cela n’aurait aucun sens, mais à mieux refléter les réalités actuelles. Le compromis n’est jamais l’addition des volontés, mais leur dépassement. Et c’est ce qui permettra au Congrès, demain, d’être plus crédible.
Concernant les élections provinciales, il faut rappeler une exigence démocratique de fond : il n’est pas soutenable, sur la durée, d’exclure des électeurs des assemblées qui prennent des décisions les concernant, notamment sur le plan fiscal. Aucune juridiction, nationale ou internationale, ne saurait admettre une telle situation indéfiniment. Aujourd’hui, cet accord existe et il rend cette évolution possible et légitime.
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La jeunesse calédonienne semble absente du texte. Pourquoi ?
C’est tout l’inverse car ce sont les jeunes qui vivent le plus intensément les fractures, les blocages, les violences. Ce sont eux qui doutent, qui se sentent écartés, et qui, trop souvent, choisissent de partir. Cet accord leur apporte une réponse concrète, à travers une feuille de route centrée sur l’emploi, la formation, l’éducation et l’émancipation.
La consultation prévue en février 2026 s’appuiera sur les règles de l’accord de Nouméa, avec une mise à jour des listes électorales. Cela permettra alors d’intégrer les jeunes atteignant 18 ans, assurant ainsi que cette nouvelle génération pourra prendre part à cette décision majeure.
Le climat demeure tendu. Les renforts de forces de l’ordre seront-ils maintenus dans les mois à venir ?
Oui. Et les forces de l’ordre resteront aussi longtemps que nécessaire, sous l’autorité du haut-commissaire, pour protéger la population, sécuriser le territoire, garantir les conditions du dialogue politique et faire respecter l’État de droit.
Il y a des menaces. Elles sont réelles. Elles ne disparaissent pas avec une signature. Nous ne tolérerons ni la violence, ni les intimidations, ni les logiques de chantage. Ceux qui veulent construire l’avenir doivent pouvoir le faire sans peur.
Économie : "Désendetter sans réformer, ce serait repousser le problème" ![]() Quel soutien l’État apportera-t-il à la relance du nickel en province Nord ? Le redressement ne pourra reposer ni sur la seule injection de fonds publics, ni sur une logique de rente. Il suppose une transformation en profondeur. L’État accompagnera cette relance, mais pas à n’importe quelles conditions. Il mobilisera de l’expertise, apportera un soutien ciblé à l’investissement, et contribuera à créer les conditions d’une filière compétitive, décarbonée, résiliente. Un plan stratégique pour la filière nickel sera ainsi élaboré, en concertation étroite avec l’ensemble des parties prenantes. Il visera à bâtir une vision commune, à préserver les retombées environnementales et sociales et à garantir un équilibre économique pour la valorisation de cette ressource clé, essentielle à la fois pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie et pour la souveraineté industrielle française et européenne. L’accord qui permet la stabilité est une bonne nouvelle pour tous les investisseurs potentiels. Le prêt garanti par l’État est-il maintenu ? De nouvelles conditions seront-elles posées ? Oui, l’État poursuit son engagement massif. En 2024 et 2025, près de 3 milliards d’euros (358 milliards de francs) ont été mobilisés pour soutenir la Nouvelle-Calédonie. Ce soutien se prolonge en 2025, mais il doit désormais s’inscrire dans une logique de responsabilité et de réforme. La loi de finances pour 2025 prévoit ainsi, en plus des financements de droit commun, un soutien exceptionnel de plus de 200 millions d’euros (2,4 milliards de francs) en subventions, un prêt garanti par l’État d’un milliard d’euros (120 milliards de francs), ainsi qu’un appui spécifique à la filière nickel d’au moins 300 millions d’euros (3,57 milliards de francs). Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a engagé l’élaboration d’un plan de réformes : c’est un premier pas. Cet effort doit être poursuivi, consolidé et accompagné, notamment par l’appui technique de la mission interministérielle que le Premier ministre a placée à mes côtés. L’accord politique prévoit enfin la conclusion d’un Pacte de refondation économique et financière entre l’État et la Nouvelle-Calédonie. Ce pacte fixera des ambitions partagées et des engagements réciproques, avec pour objectif le rétablissement durable des équilibres budgétaires, de la trajectoire de dette et de l’attractivité du territoire. Il déterminera les cibles à atteindre à court, moyen et long termes en matière de croissance, d’emploi et de finances publiques, ainsi que les moyens mobilisés par l’État et la Nouvelle-Calédonie pour y parvenir. L’État s’engagera-t-il à désendetter la Nouvelle-Calédonie ? Désendetter sans réformer, ce serait repousser le problème. Le désendettement pourra prendre plusieurs formes : allègement progressif du stock de dette garanti par l’État, voire conversion partielle en subventions, sur le modèle des contrats de désendettement et de développement — à condition que les objectifs fixés soient effectivement atteints. Mais cette trajectoire ne pourra réussir qu’en parallèle d’un effort de réforme : assainissement des finances publiques locales, redressement des comptes sociaux, réforme de la fiscalité et relance ciblée de l’économie autour de secteurs stratégiques comme l’autosuffisance alimentaire et énergétique, le tourisme ou l’économie bleue. C’est tout le sens du Pacte de refondation économique et financière évoqué plus tôt. |
Par Les Nouvelles Calédoniennes