La compagnie polynésienne a fait décoller mardi sa nouvelle liaison Tahiti – Seattle. Un symbole du rebond de l’activité après deux années difficiles. Malgré les bons chiffres d’exploitation de ces derniers mois, Air Tahiti Nui ne prévoit pas un retour à l’équilibre financier pour l’instant. Les aides du Pays et de l’État permettent de tenir, mais le manque de chambres dans l’hôtellerie polynésienne, les fragilités de l’aéroport, et bientôt l’arrivée de Delta Airlines sont autant de défis à surmonter. Le PDG Michel Monvoisin a fait le point dans l’Invité de la rédaction de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Départ mardi soir, retour ce mercredi à 19 heures. La première rotation entre Tahiti et Seattle a été lancée hier soir par Air Tahiti Nui (ATN). Avant d’embarquer dans le vol inaugural, le PDG de la compagnie, Michel Monvoisin était l’Invité de la rédaction de Radio 1 Tahiti. Il a rappelé les raisons qui avaient poussé ATN à lancer cette nouvelle destination qui sera désormais desservie deux fois par semaine.
Seattle, c’est avant tout la base d’Alaska Airlines, membre de l’alliance One World avec American Airlines et « acteur important » de l’aérien nord-américain. ATN et Alaska ont signé des accords de partenariat, qui permettront aux passagers d’utiliser leurs miles sur les deux compagnies et rayonner facilement, au travers de la centaine de destinations d’Alaska Airlines sur le continent américain. ATN, qui s’était lancée seule vers New York et y avait perdu quelques plumes, le sait : « Quand on ouvre une nouvelle route, c’est important d’avoir un allié ».
Seattle, grande ville de l’état de Washington, à un millier de kilomètres au Nord de San Francisco et à moins de 200 kilomètres de Vancouver, au Canada, est donc avant tout un choix « d’opportunité ». Et des opportunités, les passagers devraient en trouver sur place, assure Michel Monvoisin. Grands parcs pour le trekking, lacs et rivières pour les addicts de la pêche, gastronomie – les King crabs ne sont qu’une des spécialités régionales -, sorties culturelles et « musique live » dans la ville berceau de Jimi Hendrix… « Ça va plaire aux Polynésiens », assure le PDG.
Le Japon « inquiète »
Côté business, l’État de Washington, c’est aussi le siège de nombreuses multinationales : Boeing, Amazon, Microsoft, Starbucks, Costco… ATN qui sera la seule compagnie à offrir des vols directs vers le Pacifique sud depuis Seattle, compte bien attirer les nombreux clients aisés de la région. Pourquoi ne pas avoir choisi Chicago, Miami, ou d’autres régions des États-Unis qui donneraient accès à des plus grands bassins de population ? Parce que Seattle, qui reste à moins de 10 heures de vol de Papeete, ne pèsera pas autant sur le programme de vol des quatre Dreamliners de la compagnie et sur ses équipages qu’une destination plus lointaine. ATN, ravi de pouvoir « enfin » utiliser toute sa flotte, ne touche pas aux rotations déjà existantes vers Los Angeles, Paris ou Auckland, et garde toujours la possibilité d’opérer vers le Japon.
La réouverture des liaisons vers Tokyo, prévue pour février, reste toutefois très incertaine, explique Michel Monvoisin qui note que « les planètes ne sont pas alignées » du côté de l’Asie. Redémarrage partiel du marché -le business mais pas encore le « loisir », le Japon mais pas encore la Chine-, effondrement du yen qui pèse sur la rentabilité de la ligne, manque de places dans l’hôtellerie polynésiennes pour les Japonais, qui ont peu ou prou les mêmes goûts que les touristes américains mais réservent généralement plus tard… La réflexion n’est pas terminée, mais il ne serait pas étonnant que la réouverture de la ligne soit encore décalée.
Côté Europe et États-Unis en revanche, les voyants sont au vert. « On a une bonne reprise, parce qu’on n’a pas complètement fermé pendant le Covid, on a maintenu ce lien », explique le PDG qui salue les choix « courageux » du gouvernement dans la gestion de la pandémie. Michel Monvoisin se félicite des bons chiffres de la « haute saison » qui va se terminer fin novembre. « On marche bien sur les classes avant, et ça nous permet de faire des réductions en classe économique. On a mis beaucoup de fréquence, et on a bien marché sur la clientèle VFR (visite de familles et de proches, ndlr) et on a été cet été le premier transporteur de cette clientèle », détaille Michel Monvoisin. « La seule déception, c’est que les fruits de cette performance, ils sont passés dans le carburant ».
La Polynésie manque de chambres d’hôtels
Car concurrence oblige, l’augmentation massive des prix des hydrocarbures n’a pas été entièrement répercutée sur les prix des billets. Et malgré ses « bons chiffres », Air Tahiti Nui ne sera pas à l’équilibre financièrement lors de l’exercice 2022. Certes les aides du Pays -8,1 milliards de francs de subvention votée fin 2021, « le gouvernement a bien joué son rôle d’actionnaires »- et celles de l’État -aide sur les coûts fixe, sur les fermetures administratives et PGE de 7,9 milliards qui a « commencé à être remboursé »- ont conforté la trésorerie de la compagnie, « qui a de quoi tenir ». Mais l’horizon de retour des profits -ATN avait connu plusieurs années d’excédents avant la crise Covid- est encore trouble.
D’autant que plusieurs menaces planent sur l’activité. Michel Monvoisin cite le risque d’une récession américaine, marché plus que jamais capital pour le tourisme polynésien, ou les fragilités de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, dont la modernisation est encore suspendue au combat sur la concession. Il insiste surtout sur le manque de capacités hôtelières de la Polynésie. Le nombre de chambres n’a en effet pas augmenté aussi vite que leur prix, « +30% » en moyenne assure le PDG, l’ISPF parle de +14% sur un an pour les services d’hébergement. « On a un réceptif de 240 à 250 000 touristes », détaille le responsable qui, au Salon Top Résa voilà quelques semaines, « a servi de bureau des pleurs » pour de nombreux tour-opérateurs, friands, comme leurs clients, de la destination, mais qui ont du mal à y trouver de la place, même au long terme.
Le potentiel total de la destination serait de 300 000 passagers par an en comptant les déplacements des Polynésiens. Or, « en siège proposés à la vente, on doit être à 600 000 », toutes compagnies confondues, compte le responsable. Un différentiel jugé intenable sur le long terme. Pour Michel Monvoisin, aucun doute, il « faut encourager la construction de chambres d’hôtel et encourager ceux qui veulent les faire ». Le PDG salue au passage le groupe Wane, qui a rouvert récemment le Hilton de Faa’a, et regrette que ses projets de Moorea, « porteurs d’emplois et d’activité pour la Polynésie », « prennent tant de temps » à éclore, contestation oblige. Selon l’ancien président du GIE Tourisme, il faut ouvrir « 400 à 500 chambres de plus » rapidement : « ça permettrait de remplir l’objectif de 280 à 300 000 touristes par an, on pourrait les faire ».
Arrivée de Delta Airlines : juste une « augmentation des fréquences d’Air France »
En attendant ces ouvertures, le nombre de sièges proposés à la vente ne va pas baisser. Bien au contraire : l’arrivée du géant Delta Airlines et de ses trois rotations entre Los Angeles et Papeete, poumon économique d’ATN, a de quoi inquiéter ses concurrents. Pas tous : cette arrivée n’est pas beaucoup plus qu’une « augmentation des fréquences d’Air France », en co-entreprise avec le géant américain, estime Michel Monvoisin. « Ils partagent les charges, ils partagent les recettes et c’est déjà Delta qui vendait la destination en chargeant sur les vols d’Air France », rappelle-t-il.
Le PDG ne s’exprime pas directement sur l’autorisation accordée par le Pays -pour seulement trois mois et demi, entre le 17 décembre et le 25 mars, conformément à la demande « surprenante » de la compagnie- mais suggère que l’escalade dans la guerre des prix pourrait être dangereuse. « On va battre sur les prix, bien sûr, mais une compagnie aérienne, c’est un commerce comme un autre, ça a besoin d’être rentable, note le dirigeant. Et aujourd’hui la rentabilité des compagnies aérienne sur la destination Polynésie n’y est pas ».
Pas question de remettre en cause la mission d’ATN, « bien implanté et concurrentiel sur ses marchés ». « Notre réponse, c’est d’aller de l’avant », comme avec cette ouverture de ligne vers Seattle, assure-t-il. Mais Michel Monvoisin préfère prévenir : si les grandes compagnies comme Delta ou United ont aujourd’hui « des avions à faire tourner » pour « s’acheter des parts de marché », elles se « poseront des questions » une fois que l’Asie aura pleinement ouverte. Air Tahiti Nui sera, elle, « toujours là », précise le PDG.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti