Il y a 25 ans, à Nouméa, État, indépendantistes et non indépendantistes signaient un nouvel accord, dans la continuité de l’accord de Matignon, offrant 20 ans de plus au processus de décolonisation de l’archipel et 20 ans de plus pour les Calédoniens pour choisir leur destin. Moment clé dans l’Histoire de la Nouvelle-Calédonie, Alain Christnacht a accepté de répondre à nos questions. Récit d’une signature, bilan, débat sur la caducité ou pas de l’accord ou encore, après accord de Nouméa : l'ancien Haut-commissaire se confie.
Alain Christnacht, conseiller d’État et ancien Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie de 1991 à 1994, fut parmi les artisans des accords de Matignon-Oudinot en 1988 et de Nouméa en 1998, repoussant notamment de 20 ans le référendum d’autodétermination et actant le transfert à la Collectivité sui generis de nouvelles compétences. Conseiller Outre-mer de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, il était sur l’archipel ce 5 mai 1998, entouré des signataires, pour conclure cet accord second souffle à la construction du destin commun de l’archipel, débuté 10 ans plus tôt.
Pourriez-vous nous livrer votre récit personnel de la signature de l’accord de Nouméa ? Comment s’est passée cette journée qui fait aujourd’hui date dans l’Histoire de l’archipel ?
Jacques Lafleur tenait fortement la barre. Un jour de négociation à Nouméa je pensais que l’on n’y arriverait pas car les non-indépendantistes avaient soulevé une nouvelle difficulté. Le lendemain, Pierre Frogier venait me dire « Jacques Lafleur veut un accord », et tout fut débloqué.
Les rumeurs colportées par la presse n’ont pas facilité la tâche des négociateurs. Je me souvenais que les discussions conduites par Alain Juppé avaient échoué en partie à cause de la divulgation par le Figaro d’une parole d’un leader indépendantiste qui n’était pas destinée à être rendue publique. Pendant les discussions, un grand journal métro titre : « Ce sera un État autonome ». J’expliquais à une agence qui m’interrogeait ensuite que ce ne serait certainement pas la solution car les indépendantistes ne voulaient pas d’une autonomie et les loyalistes pas d’un État. L’accord n’a pas rangé la Nouvelle-Calédonie dans une catégorie, sinon on ne l’aurait sans doute jamais signé.
A Nouméa, le 5 mai 1998, après les signatures, un journaliste a dit à Lionel Jospin : « La plupart des professeurs de droit sont contre l’accord ». Il a répondu « Il y a deux sortes de juristes, ceux qui ne voient que des problèmes et ceux qui trouvent des solutions ». On va encore avoir besoin de cette seconde catégorie.
Quel bilan faites-vous de l’accord de Nouméa, de sa signature à aujourd’hui ?
Un bilan est en cours par une société indépendante, après celui qui avait déjà été réalisé en 2011.
Je dirais juste que depuis un quart de siècle, la Nouvelle-Calédonie est en paix, les communautés se sont un peu rapprochées, en tout cas se connaissent mieux, de nombreuses infrastructures utiles pour la vie quotidienne et l’économie ont été réalisées, la population calédonienne est mieux formée, l’économie a progressé et la Nouvelle-Calédonie est maintenant reconnue comme un acteur important par les États du Pacifique et les institutions régionales. Ce n’est pas rien.
Maintenant, on voit bien aussi les fragilités : une économie encore trop dépendante du nickel, où la concurrence internationale est sévère, des inégalités fortes dans l’éducation et les niveaux de vie, des finances publiques et sociales structurellement déséquilibrées, une situation politique toujours clivée et potentiellement conflictuelle, qui traduit que la société reste organisée autour de communautés qui se côtoient plus qu’elles ne vivent ensemble.

Je note que tout cela a été possible dans la durée parce que les partis politiques nationaux ont soutenu l’accord depuis son adoption. Ce serait bien de continuer dans cette voie pour rechercher les larges majorités nécessaires pour réviser la Constitution, en ne privilégiant pas un côté de l’hémicycle.
Selon vous, est-il achevé, politiquement et juridiquement ?
Il a été conclu en 1998 « pour 20 ans » mais la première consultation d’autodétermination obligatoire qui pouvait avoir lieu à partir de 2014 n’a été déclenchée par le Congrès qu’en 2018 et les deux autres consultations facultatives ont ensuite été demandées, comme l’accord le permettait. La troisième consultation a ainsi eu lieu en décembre 2021. L’accord prévoit que si la dernière consultation conclut également au rejet de la pleine souveraineté, « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». Ces discussions ont commencé. Nous sommes dans cette dernière phase de l’accord de Nouméa.
Ses orientations étant dans la Constitution, il faudra modifier les articles de la Constitution sur lesquels se fonde la loi organique pour voter une nouvelle organisation institutionnelle. L’actuelle, en attendant, continue de s’appliquer. Il ne peut y avoir de vide juridique. Par conséquent, l’accord de Nouméa n’est pas achevé juridiquement mais, politiquement, il y a l’obligation de trouver un autre accord.
Quelle serait selon vous la meilleure façon de trouver une nouvelle voie, passer à une nouvelle étape ?
La meilleure solution c’est de rechercher un accord. Comme l’a dit le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, il y a eu la décision démocratique par les votes mais en Océanie, spécialement, il vaut mieux rechercher le consensus, surtout quand l’écart des positions est relativement resserré et quand les votes ont été clairement communautaires.
La question des corps électoraux n’est pas la plus facile. Encore faut-il bien la poser. Les corps électoraux restreints sont deux, distincts, et correspondent à des logiques très différentes. Le corps électoral pour l’autodétermination ne peut être constitué de tous les Français inscrits sur les listes électorales de Nouvelle-Calédonie. Ce qui ne serait pas démocratique, ce serait de permettre à des Français de passage de se prononcer sur l’avenir d’un pays auquel ils ne sont attachés que temporairement. Même en dehors de l’accord de Nouméa, la Constitution dispose que les scrutins d’autodétermination ne concernent que « les populations intéressées ».
Le corps électoral pour les élections aux assemblées de province et au Congrès n’a aucune raison d’être le même que celui pour l’autodétermination, car il s’agit cette fois de voter pour des assemblées qui prennent des décisions intéressant la vie quotidienne. Ce sont les accords de Matignon qui ont inventé la limitation du corps électoral pour les élections locales. Certains des signataires de ces accords paraissent curieusement l’avoir oublié.
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Le texte 2 des accords de Matignon dit en effet que les électeurs et électrices qui voteront au référendum de 1988 et leurs descendants seront seuls autorisés à participer jusqu’en 1998 « aux scrutins qui détermineront cet avenir : élections aux conseils de province et scrutin d’autodétermination ». Cette restriction, pourtant formellement prévue par les accords, n’a pas été mise en œuvre entre 1988 et 1998 parce que le Président Mitterrand n’avait pas souhaité modifier la Constitution, ce qui aurait été nécessaire pour la permettre.
Puisqu’une telle restriction avait été acceptée dans les accords signés de 1988, le principe d’une restriction du corps électoral pour les mêmes élections a été retenu sans difficulté pour l’accord de Nouméa, avec, toutefois, le problème d’interprétation sur le « gel », que le pouvoir constituant a souverainement tranché en 2007, après consultation des partenaires par le Président Chirac. Ce corps électoral restreint pour des élections locales ne peut pas ne pas évoluer après 25 ans. C’est une obligation juridique au regard des conventions internationales et une exigence démocratique compte tenu des compétences de ces assemblées.
Pour le reste, au lieu de diaboliser l’accord de Nouméa, il serait raisonnable de rechercher une solution qui prenne en compte ses acquis et ses difficultés d’application pour changer ce qui doit l’être et conserver ce qui peut continuer de faire consensus. Et aussi se garder des solutions abstraites détruisant l’unité nécessaire du pays et également de la tentation de judiciariser la vie politique calédonienne, dès lors que la revendication indépendantiste, corollaire du droit à l’autodétermination, demeure évidemment légitime.
Si c’était à refaire, que changeriez-vous ? Avez-vous des regrets sur des éléments de l’accord qui n’ont pas pu aller à leurs termes ou être appliqués ? Ou sur une méthode ?
Les signataires des deux accords de 1988 et 1998 espéraient que la communauté kanak et les autres – en Nouvelle-Calédonie, les communautés sont une donnée et leur opposer le refus par la République du communautarisme un non-sens – se retrouveraient sur l’avenir du pays à une large majorité, pour le maintien dans la République ou une forme d’indépendance. Cela n’a pas été le cas. Les votes sont restés essentiellement communautaires.
Peut-être aurait-il fallu encourager dans l’accord de Nouméa la recherche de projets permettant d’éviter un vote binaire aux consultations ? Les consultations ont été clivantes. Il était cependant difficile de ne pas poser à la fin de l’accord de Nouméa une question que les accords de Matignon avaient prévu de soumettre à consultation dès 1998.
Bien sûr, il aurait aussi fallu être plus clair sur les modalités de la restriction du corps électoral pour les élections aux assemblées de provinces et au congrès. L’ambiguïté ne résulte pas d’une dissimulation mais d’un angle mort des discussions.
Certaines politiques ne sont pas assez coordonnées entre les provinces. L’accord aurait pu mettre en place des dispositifs de coordination. Pour l’avenir, ce serait une dangereuse illusion politique et économique de penser que le Sud pourrait devenir une Singapour, îlot de richesses face au Nord et aux Îles Loyauté, les deux provinces à majorité kanak ne participant plus obligatoirement aux décisions concernant l’ensemble du pays.
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