Dans une tribune adressée à la rédaction d'Outremers360, la CPME Réunion alerte sur une année 2023 « difficile », constatant « de nombreuses entreprises sous tension ». Les raisons : hausse des coûts, essoufflement des investissements, difficultés au recrutement et surtout, les remboursements des dettes bancaires et sociales, notamment les PGE, considérés comme des « bombes à retardement ».
Le syndicat des dirigeants de PME et TPE réunionnaises tire depuis plusieurs mois la sonnette d’alarme sur la situation économique locale. Les signaux faibles convergent vers le diagnostic d’une rentrée et d’une année 2023 difficile.
Pour son Président Gérard Lebon, si les indicateurs macro-économiques laissent à penser que l’économie réunionnaise ne souffre plus des conséquences de la crise COVID, ni de la guerre en Ukraine, de nombreuses entreprises sont sous tension et sont inquiètes pour leur avenir. Les raisons de la crise sont multiples.
En premier lieu, les hausses de coût pèsent de plus en plus sur leur trésorerie et elles s’attendent à une poursuite de sa dégradation à court terme. Une situation d’autant plus dramatique que la plupart d’entre elles ont dû faire des stocks de plusieurs mois (parfois plus de 6 mois) pour être sûres d‘avoir de la matière première, des emballages ou des marchandises. Des stocks qu’elles paient au prix fort : achat comptant qui vient réduire la trésorerie disponible, immobilisation des stocks, coûts de stockage et de logistique…
En parallèle, l’essoufflement de la dynamique d’investissement publique et privée se confirme également malgré des conditions d’accès au financement encore jugées favorables. A cela s'ajoutent les difficultés à recruter dans certains secteurs. Enfin, si l’inflation des prix reste pour l’instant plus faible à La Réunion qu’au niveau national, la pression pour une hausse des salaires continue d’augmenter.
La bombe des PGE
Autre sujet d’inquiétude, les remboursements des dettes bancaires et sociales (plus rarement fiscales) et notamment des prêts garantis par l’État (PGE), qui avaient pour ambition de lisser les conséquences néfastes des mesures sanitaires prises en 2020 et 2021, sont devenues des bombes à retardement pour plusieurs entreprises qui y ont fait appel. Les difficultés de remboursement se multiplient au point de menacer la survie des entreprises et pire, font désormais peser un risque systémique sur l’équilibre des finances publiques, accentuant la frilosité des acteurs financiers.
Si pour une part importante des bénéficiaires de PGE, cet apport financier est venu gonfler une trésorerie saine, pour certains, notamment TPE, cette ligne de vie pourrait les conduire à leur perte à l’heure des premiers remboursements.
Il apparaît en effet, que les entreprises réunionnaises disposaient d'un niveau de trésorerie élevé sur leurs comptes courants à fin 2021. Leurs actifs financiers étaient en progression de 1,8 % par rapport en 2020, après avoir bondi de 33 % en 2020 avec l'octroi de 1,1 milliard d'euros de prêts garantis par l'Etat (PGE), qui se retrouvaient encore en partie sur les comptes courants en 2021.
Mais c’est chez les petites entreprises qui représentent une part non négligeable des bénéficiaires des PGE que la crise s’annonce. S’ajoutant fréquemment à une dette envers la Sécurité Sociale et les Caisses de retraite, les mensualités de remboursement des dettes bancaires peuvent représenter jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires – un montant intenable pour des structures dont la marge brute est parfois inférieure à ce chiffre.
On pourrait croire qu’il suffit de négocier un nouvel échéancier par exemple sur 10 ans. Mais les établissements financiers se montrent réticents et préfèrent conserver la garantie de l’Etat accordée aux PGE plutôt que de la transférer aux entreprises. Sauf que dans ce cas, faute d’un cadre juridique facilitant cette solution, comme le demande la CPME avec insistance, le rééchelonnement est considéré comme un défaut de l'emprunteur. Un défaut qui implique une décote bancaire et rend difficile voire impossible le recours futur à de nouveaux financements.
Résultat : plutôt que de condamner l’avenir, les entrepreneurs vivent des jours difficiles en cherchant des alternatives de financement souvent coûteuses pour couvrir leurs besoins de trésorerie à court terme. D’autant que comme l’a rappelé François Asselin, président national de la CPME, « quand vous êtes en défaut, les assureurs-crédit se désengagent, ce qui fait que vous devez payer tout de suite vos fournisseurs, et ça ne fait qu’aggraver la situation ». Une double peine en quelque sorte.
D’autant qu’il faut se garder de croire que les PGE ont servi à soutenir des entreprises « zombies ». Comme l’a souligné une évaluation de la Cour des Comptes : « Le dispositif a effectivement permis de soutenir des entreprises viables affectées par la crise », a estimé la Cour des comptes. Du moins avant la guerre en Ukraine et ses impacts sur l’inflation.
L’incompréhension du deux poids deux mesures
On comprend dès lors la colère de chefs de TPE-PME qui ont du mal à comprendre que certaines grosses entreprises puissent voir tout ou partie de leurs dettes (y compris bancaires) effacées au motif de la survie de l’emploi. Est-ce là l’expression du respect d’une concurrence saine et loyale ?
Pourquoi dans le cadre d’une procédure de conciliation, une telle grosse entreprise peut bénéficier de l’effacement d’environ 60 % de ses dettes, qui s’élèveraient au total à 130 millions d’euros ? Pourquoi dans ce cas, les banques et l’État sont prêts à consentir de gros efforts. Et pourquoi les fournisseurs locaux, eux, se voient proposer un remboursement sur sept ans.
Pourquoi la TPE doit-elle souffrir des erreurs d’un gros client et si, par la faute de celui-ci, elle se retrouve en difficulté, se voir acculée à la faillite par ses créanciers ou pour des impayés de charges sociales ou de mensualités de crédit ?
Gérard Lebon, Président de la CPME Réunion.