Sur les barrages à Mayotte : « On ne va plus arrêter, on va aller au bout »

©Mayotte Hebdo

Sur les barrages à Mayotte : « On ne va plus arrêter, on va aller au bout »

Une barrière en bambou posée sur un empilement de pneus barre la route de Tsararano, dans le centre de Mayotte. Un écriteau donne le ton : ne passeront que la police, les pompiers, les soignants et, uniquement « le samedi et le dimanche », les services de livraison. Mardi, dans un communiqué, les Forces vives de Mayotte ont fait savoir leurs préoccupations aux annonces de Gérald Darmanin.

T-shirts noirs à l'effigie des Forces vives de Mayotte, barrés du slogan « Ra Hachiri » (« Nous sommes vigilants » en shimaoré, l'une des deux langues de l'île), un groupe d'hommes devise tranquillement en gardant à portée de main leur « planche surprise », une latte de bois bardée de clous destinée à arrêter les conducteurs récalcitrants. 

Quelques habitants en scooter tentent de négocier un passage. L'atmosphère reste détendue alors qu'ailleurs sur l'île, certains barrages ont la réputation d'être plus intransigeants, ou d'opérer à la tête du client. A l'approche de la nuit, quand les risques de caillassage augmentent sur la dizaine de kilomètres de la route menant à Mamoudzou, les demandes se font plus pressantes.

Depuis le 22 janvier, la circulation est largement bloquée sur tout l'archipel de l'océan Indien. Des collectifs de citoyens, réunis sous l'étiquette des Forces vives de Mayotte, ont érigé des barrages pour dire son ras-le-bol de l'immigration sauvage et de l'insécurité. Pour couper le robinet des kwassa-kwassa, ces bateaux de pêche qui déversent les migrants partis des Comores voisines sur les côtes de Mayotte, le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a annoncé une décision « radicale », la fin du droit du sol.

« Jusqu'au bout »

« Il ne sera plus possible de devenir français si on n'est pas soi-même enfant de parents français », a-t-il assuré. Si elle suscite déjà la polémique dans l’Hexagone, la mesure n'a pas convaincu les barragistes. Elle n'a jamais figuré dans leurs listes de revendications, ont rappelé les Forces vives dans un communiqué mardi. 

« Notre revendication principale », la fin du titre de séjour territorialisé spécifique à Mayotte et qui empêche les migrants de se rendre sur un autre territoire, « a été reléguée au second rang », ont-ils déploré, dénonçant « l’instrumentalisation de la question relative à la suppression du droit du sol au moyen d’une réforme constitutionnelle improbable ». Ils refusent que cette suppression du titre de séjour territorialisé soit corrélée à la fin du droit du sol dans l’archipel, ou au projet de loi Mayotte.

Ce mercredi matin, un congrès des Forces vives se tient à Pamandzi pour décider de la suite du mouvement. « Les barrages ne seront pas levés demain, ni cette semaine. Il nous faut des réponses pour éradiquer ce fléau migratoire et cette insécurité », lance Salama Faradji, la référente des Forces vives à Tsararano : « Maintenant on ne va plus s'arrêter, on va aller jusqu'au bout ». « A Mayotte, on demande, on crie, on pleure, on fait grève mais au final, on se fait toujours berner », résume un jeune de 28 ans surnommé Caporal, auto-entrepreneur dans le bâtiment, pour expliquer son intransigeance.

« Plus de vie »

« Quand vous devez faire attention à chacune de vos sorties, que ça devient trop dangereux après la tombée du jour (...) On n'a plus de vie », regrette-t-il. Des discussions ressortent l'impression d'une situation sans issue. L'insécurité, les caillassages permanents et les risques d'agression reviennent en boucle. Pour beaucoup, c'est d'abord là-dessus qu'est attendu Gérald Darmanin. « Sur l'insécurité, il n'a rien dit », regrette Rachma, une infirmière. « Je suis soignante et on se fait tout le temps agresser. On n'est pas libre de nos mouvements. »

Depuis trois semaines, le barrage de l'entrée de Tsararano semble avoir redonné un peu de vie au village. Ses habitants s'y retrouvent le soir sans songer à se barricader. Avec quelques habitants, Caporal a participé depuis novembre à des patrouilles nocturnes pour tenter de canaliser les jeunes du village désœuvrés. « On discute avec eux, on leur demande ce qu'ils font. Parfois, on va toquer chez leurs parents pour leur montrer que leurs enfants traînent la nuit », explique-t-il.

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Le résultat a été radical : pendant les quelques semaines de ces patrouilles, les vols et les agressions ont été quasiment inexistants. Avant de reprendre. Assise le long d'un conteneur servant d'entrepôt, Sinina, qui n'a pas souhaité donner son nom de famille, l'une des « mamans » (surnom donné aux femmes qui organisent les blocages), dit ne plus « y croire », citant les violentes crises de 2011 et de 2018 qui n'ont pas changé le visage de l'île. « On demande juste de vivre dans la dignité », répète-t-elle. 

Ce mercredi matin, les Forces vives de Mayotte ne semblent pas décolérer malgré les annonces dimanche du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Sur Mayotte La 1ère, Said Kambi, un des leaders du mouvement, durcit le ton : « le ministre n’a pas tenu sa promesse de nous répondre dans les 48 heures. Le mouvement continue, et il va même y avoir un renforcement des barrages ».  

« Nous ne voulons pas le conditionnement de la levée des titres de séjour territorialisés par la discussion sur le droit du sol ou la loi Mayotte » a-t-il insisté. « Nous voulons une ordonnance le plus vite possible sur les titres de séjour et l’instauration d’un état d’urgence sécuritaire ». Pour l’heure, le collectif attend donc le courrier, officialisant les annonces de dimanche, et promis par Gérald Darmanin. La levée des barrages et la suite du mouvement sont suspendues à la fois à la réception de ce courrier et à l’issue de ce Congrès.

Avec AFP