Santé mentale: à Mayotte, le cyclone Chido "a amplifié les traumatismes"

© Terra Psy

Santé mentale: à Mayotte, le cyclone Chido "a amplifié les traumatismes"

À Mayotte, les besoins en santé mentale explosent depuis le cyclone Chido, qui a aggravé des troubles déjà très répandus sur l'île. Avant même la catastrophe, les syndromes dépressifs touchaient deux fois plus de Mahorais que d'habitants de l'Hexagone.


" À chaque coup de vent, je me réveillais": Leïla, 25 ans, n'a pas dormi pendant des semaines après le passage du cyclone en décembre. Cette habitante d'un quartier informel de Doujani, au sud de Mamoudzou, était seule avec sa nièce dans sa case en tôle quand les rafales à plus de 230 km/h ont frappé l'archipel. "On a perdu la maison. On s'est allongées par terre en attendant que ça s'arrête", décrit-elle, les cheveux tirés dans un foulard orange, un piercing au nez.

Les semaines qui ont suivi n'ont pas permis de retrouver un cadre de vie serein. "On a dormi dehors pendant plusieurs semaines avant de pouvoir reconstruire la maison. Heureusement, on avait à manger. Je me disais qu'il fallait être forte. Mais ça a été vraiment difficile", raconte-t-elle, la voix encore retenue.

À Mayotte, les troubles psychiques sont déjà bien plus fréquents qu'en France hexagonale. En 2019, l'Insee estimait que 20% des Mahorais était concernés par un syndrome dépressif, soit deux fois plus que pour la population française. "Le cyclone a amplifié les traumatismes. Après chaque orage, les gens ne parlent que de ça", observe Yannis Boulekrouche, coordinateur de l'association Terra Psy, présente à Mayotte depuis janvier.

L'organisation intervient dans les établissements scolaires, les entreprises et les collectivités et son travail est colossal.
"On a vu environ 2.800 élèves, en petits groupes. Et ce n'était pas prévu, mais plusieurs enseignants ont couru derrière les psychologues pour leur parler", précise Yannis Boulekrouche.
Mais face à la demande croissante, les moyens manquent. "Il n'y a que 11 psychologues de l'Education nationale pour 110.000 enfants", relève-t-il. Et selon l'Insee, on comptait quatre psychiatres pour 100.000 habitants à Mayotte en 2023, contre environ 23 pour 100.000 dans l'Hexagone.

Le recours à un suivi psychologique reste par ailleurs "très stigmatisé", souligne Hilda Halidani, psychologue du travail à Mayotte. La souffrance psychique est souvent interprétée dans un cadre traditionnel ou religieux et liée à la sorcellerie et aux "djinns", des esprits invisibles issus de la tradition islamique et présents dans les représentations locales. "Les conditions de vie et d'habitat souvent précaires, l'insécurité prégnante, la situation administrative irrégulière d'une partie de la population peuvent expliquer l'ampleur de certains troubles", note aussi l'Insee, qui relève la fréquence des troubles du sommeil et de l'appétit.

Des structures débordées

Ramia, qui souhaite rester anonyme, confie ainsi avoir perdu l'appétit. "J'ai terminé l'école en 2023. Mais je n'ai pas de papiers, donc je ne peux rien faire", dit la jeune femme, qui occupe ses journées en faisant le ménage, dans un environnement où elle se sent "de trop".
Ramia est arrivée seule à Mayotte à huit ans pour "avoir une vie meilleure". Elle a été hébergée chez son oncle mais ne s'est jamais sentie à sa place. "Je réfléchis beaucoup, je deviens très mince à cause de ça parce que je ne travaille pas, je n'aime pas rester à la maison", explique-t-elle. Elle pense souvent à rejoindre ses parents, restés à Anjouan (Comores).

Pour beaucoup d'habitants, la priorité après le cyclone a été de retrouver un logement. "Certains n'ont toujours pas de toit. Ils louent ou sont hébergés chez des proches", constate Hilda Halidani. "Et les difficultés financières s'aggravent."
Depuis plusieurs mois, les demandes de soutien psychologique explosent, notamment en entreprise. "Beaucoup demandent des permanences psychologiques et les salariés sont nombreux à vouloir parler", souligne-t-elle.

Dans ce contexte, un "cluster santé mentale" vient d'être mis en place à Mayotte. Il réunit associations, Agence régionale de santé (ARS), rectorat, mais aussi le conseil cadial, l'institution religieuse musulmane, pour élaborer des programmes de santé mentale adaptés. "Il y a beaucoup de pédagogie à faire. Le conseil cadial fait notamment le lien avec les foundis (considérés comme des guérisseurs traditionnels) pour tenter de coordonner les actions", note Yannis Boulekrouche.

Avec AFP