Mayotte: "Nous avons besoin de plus de bénévoles"Djadair Houdi, référent du centre d'hébergement du lycée Younoussa Bamana

Djadair Houdi, référent du centre d’hébergement du lycée Younoussa Bamana © Outremers 360

Mayotte: "Nous avons besoin de plus de bénévoles"Djadair Houdi, référent du centre d'hébergement du lycée Younoussa Bamana

Six jours après le passage du cyclone Chido, le gouvernement a déclaré ce mercredi 18 décembre, l'état de « calamité naturelle exceptionnelle » à Mayotte. Si la solidarité et la mobilisation ne faiblissent pas au niveau national pour alerter sur la situation catastrophique que traverse le territoire ; sur place, c’est une tout autre réalité que vivent les habitants. À Mamoudzou, commune chef-lieu où le réseau téléphonique et l’électricité commencent à revenir, l’eau demeure une problématique. Pour certains qui ont tout perdu, c’est dans les centres d’hébergement que la reconstruction commence.

 

Alors que le président de la République, Emmanuel Macron, vient d’arriver sur le territoire de Mayotte en ce jeudi 19 décembre, du côté du lycée Younoussa Bamana, à Mamoudzou, l’atmosphère est fébrile. Les quelques 300 personnes qui sont accueillies depuis samedi dans cet établissement scolaire, devenu centre d’hébergement, n’ont aucune idée de ce qui se passe en dehors de leur zone. En revanche, à 10h, il commence à pleuvoir. Une occasion inespérée de prendre une douche, de laver son linge ou de faire des réserves d’eau. « Ma fille, on veut bien te parler », nous lance l’une des doyennes du centre. « Mais il faut nous laisser faire les réserves d’abord. Dieu sait quand il repleuvra ». Pendant 30 minutes, ce sont des bacs à poubelles, des seaux, des cuvettes qui sont utilisés pour stocker l’eau, en attendant que celle-ci soit rétablie. Une fois l’épisode pluvieux passé, Abachia Marie accepte de nous accorder quelques minutes. Elle, son mari et leurs trois enfants ont tout perdu lors du passage du cyclone Chido. 

Dans le centre d'hébergement, la vie s'organise © Outremers 360

Habitant au cœur de Mamoudzou, dans une rue très animée et commerçante, Abachia Marie est arrivée en fin de journée samedi et est prise en charge depuis. « Le toit s’est littéralement effondré sur nous. J’ai cru notre dernière heure arrivée. Les tôles volaient. J’ai eu peur qu’on ait la tête coupée. Nous nous sommes réfugiés sous le lit des enfants. Quand ça s’est calmé, on nous a dit que ceux qui n’avaient plus de maison pouvaient aller à la mairie. Mon mari est handicapé. J’ai dû le porter jusqu’à l’hôtel de ville. Lorsqu’on est arrivé, il y avait tellement de monde… ». Pour Soifa N., qui est également arrivée avec sa fille samedi en fin de journée, la situation aurait pu finir de manière dramatique. « Je ne réalise toujours pas. Ce matin-là, il faisait beau, il n’y avait pas un nuage, pas de vent… Et puis ça a été l’enfer. Nous étions coincées avec ma fille dans un placard. Ce sont des policiers qui nous ont sorties des décombres. On nous a amenées à la mairie, puis ici ».

Soifa N. a tout perdu et ne réalise pas encore © Outremers 360

Depuis le vendredi 13 décembre, ce sont en effet 500 agents de la municipalité de Mamoudzou qui sont mobilisés pour accompagner les administrés du chef-lieu. « Nous avons 12 000 personnes dont quasiment 80 % d’enfants, rien que dans nos centres d’hébergement. Nous avons besoin de nourriture et d’eau », explique le maire du chef-lieu Ambdilwahedou Soumaila, qui salue néanmoins les aides des particuliers et des entreprises qui arrivent directement dans les centres. Depuis le début de la crise, les agents mobilisés dorment sur site, dans les 21 centres d’hébergement d’urgence. « Nous avons besoin de plus de bénévoles », alerte Djadair Houdi, responsable de la MJC de Mamoudzou, désormais référent du centre d’hébergement du lycée Younoussa Bamana. « Nous avons besoin de draps, de couches, de serviettes, de lingettes, de brosses à dents, mais surtout de bénévoles ». Pour ceux qui le souhaitent, ils peuvent se rendre sur l’un des sites d’hébergement de la mairie de Mamoudzou ou directement à l’hôtel de ville pour se faire connaître. Un numéro d’urgence a également été mis en place : le 0269 66 50 17. 

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À la mairie de Mamoudzou, ceux qui veulent peuvent devenir bénévole © Outremers 360

Surmonter l’horreur pour avancer

 À la question : « Comment allez-vous ? », les réponses sont unanimes : « Nous sommes en vie. » Les inquiétudes persistent néanmoins pour de nombreux habitants qui n’ont toujours pas de nouvelles de leurs proches ou collègues, six jours après la catastrophe. « À Sohoa, Dieu merci, il n’y a pas de morts. Il y a des blessés, mais rien de plus », nous informe Mona Fandi, psychologue clinicienne à la Direction de la Protection de l’Enfance. « En revanche, dans le cadre de la protection de l'enfance, nous avons sous notre responsabilité 2 500 enfants, dont 1 250 placés. Nous avons deux structures qui ont été complètement abîmées. Les enfants ont été relogés rapidement. Malheureusement, on n'a pas accès à toutes les familles d'accueil parce que beaucoup sont dans des zones recluses. Nous avons eu accès à environ 600 enfants. Il nous reste environ 900 enfants à retrouver. Comme on est rationné sur l’essence, on ne peut pas sillonner toute l'île. On n'a pas accès à tous nos collègues. Ça, c'est assez difficile ».

Tous les matins commencent avec une réunion avec les équipes  à la mairie de Mamoudzou © Outremers 360

Pas ou peu d’essence, aucune nouvelle sur la façon dont les stocks d’eau ou de vivres vont être acheminés : c’est ce que reprochent les riverains rencontrés dans les quartiers où la toiture en béton a tenu. « Tous les matins, je pars à 7h pour aller chercher de l’eau », raconte Miki Madi, depuis les hauteurs de Mtapéré, à Mamoudzou. « C’est très difficile à trouver, mais si on doit attendre qu’on nous vienne en aide, il ne se passera rien, nous le savons. J’ai deux enfants en bas âge. Je ne peux pas attendre. Pendant ce temps, tous les soirs, on attend le bruit des marteaux et des tôles des bidonvilles qui se reconstruisent. Comme si nous n’avions rien appris, rien compris… ». Dans ces quartiers où les logements informels dominaient et où il y a quelques jours encore, il ne restait plus rien, désormais des abris de fortune s’élèvent. « Le bruit des marteaux nous bercent tôt le matin jusqu’à tard le soir », ironise doucement le père de famille de 3 enfants. « Mardi, ils sont venus prendre les tôles qui étaient près de chez moi. Ils avaient l’air gênés mais déterminés. L’un d’eux m’a dit : ‘ma femme accouche dans quelques jours. Je n’ai pas le choix’. Je n’ai pu qu’acquiescer ». 

À Mayotte, tous ne sont malheureusement pas logés à la même enseigne. « Moi, j’ai eu de la chance », confirme Mona Fandi. « J’habite dans le centre de l’île, à Sohoa. Ma maison n’a pas bougé. On était en état de choc, mais la solidarité s’est mise en place assez vite. Ceux qui avaient à manger ont partagé. Ceux qui avaient à boire aussi. Les gens sont très inquiets, mais on relativise : on fait plutôt confiance à ce qui nous est dit, au rationnement qui va arriver aux vivres ». Pendant ce temps, si les dégâts matériels sont officiellement établis, le bilan humain, lui, semble toujours compliqué à communiquer. « Les services n'ont pas encore pu faire le tour de l'ensemble des villages qui composent Mamoudzou »reconnaît le maire de Mamoudzou. « L’enjeu pour nous, c'est aussi d’accéder rapidement à ces bidonvilles qui sont totalement rasés. Nous sommes quasiment certains qu'il y a beaucoup de personnes ensevelies. Nous espérons naturellement, même si cela fait plusieurs jours, retrouver des survivants, mais c'est un travail de professionnels. En tant que ville, nous nous n’étions pas outillés pour cela ». Ce sont 1500 personnels civils et militaires qui étaient attendus d’ici ce jeudi pour venir en renfort sur le territoire de Mayotte. 

Coupés du monde et des autres

Difficile dans ces conditions de se projeter pour le moment. « Quand mes proches m'appellent, j'ai l'impression qu'on ne vit pas du tout la même chose », explique très surprise Mona Fandi. « Oui, on a vécu une catastrophe mais non, on ne boit pas l'eau de la rivière, comme j'ai pu l'entendre. On essaye de garder le sourire. On est ensemble. Mes proches ont du mal à le croire. Je me demande ce qu'ils voient... ».  Au fil des jours, le réseau téléphonique commence à revenir petit à petit sur le territoire, permettant ainsi aux uns et aux autres de se donner des nouvelles. À ce jour, trois barges sont fonctionnelles, permettant enfin la connexion entre la Petite et la Grande Terre, pour tous. Entre 70 % et 75 % du réseau routier départemental et national est dégagé, tandis que seul 20 % du réseau téléphonique mobile est disponible. « On a eu l’impression de ne voir que Mamoudzou et la Petite Terre, mais il faut bien comprendre que nous sommes coupés de tout », rappelle Ambdilwahedou Soumaila, maire de Mamoudzou. « Vous avez un peu de réseau au centre-ville, mais déjà à Passamainty, c’est compliqué, alors qu’on est encore sur la commune. Les autres communes sont totalement coupées ». Le réseau Internet d’Orange devrait être rétabli d’ici la fin de la semaine. En attendant, les routes dégagées permettent le déplacement des habitants. « Hier, nous avons tenu une réunion avec le président du Syndicat intercommunal de collecte et de traitement des déchets pour la question de la gestion des déchets », informe le maire du chef-lieu. « Nous avons mobilisé d’autres élus, le recteur, le Secrétaire général de la préfecture pour préparer un certain nombre de sujets, notamment la question des déchets. Encore une fois, il nous faut à tout prix éviter un problème de santé publique ». Parmi les autres sujets de préoccupation : la prochaine rentrée scolaire, qui devrait avoir lieu dans trois semaines. « On doit l'anticiper et naturellement faire en sorte que les professeurs et les enfants puissent revenir, même en situation dégradée », martèle Ambdilwahedou Soumaila. « On essaie tant bien que mal de voir les maires qui arrivent à se déplacer jusqu'à Mamoudzou. On essaie d'être en contact, mais il faut le reconnaître, c'est extrêmement difficile ».

Aux problèmes d’eau, de vivres, d’électricité et de connexion va donc s’ajouter celui du manque de carburants dans les prochains jours, si rien n’est fait. La grogne commence déjà à se faire entendre.

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Abby Said Adinani