Un "compromis intelligent", fruit d'un "pari de la confiance" entre forces politiques longtemps irréconciliables: c'est ainsi que Manuel Valls décrit l'accord trouvé samedi à l'aube entre État, indépendantistes et non-indépendantistes calédoniens, après dix jours de tractations sous tension dans un hôtel des Yvelines.
"Il y a eu un véritable saut dans le vide, mais chacun a su se hisser à la hauteur du moment", confie le ministre des Outre-mer. Pour Éric Thiers, conseiller spécial de Matignon qui était à ses côtés, cet accord marque une "volonté partagée d'éviter le chaos, de créer un cadre stable et de redonner foi en l'avenir commun".
Le sommet, ouvert par Emmanuel Macron le 2 juillet à l'Élysée, visait à poser les bases d'un futur statut pour la Nouvelle-Calédonie. Mais à la surprise générale, le chef de l'État évoque, pour la première fois à ce niveau, l'idée d'un "État associé" avec la France parmi les propositions.
Jugée trop clivante, cette notion est rapidement écartée au profit d'expressions plus ouvertes: "statut sui generis" ou "État de Nouvelle-Calédonie". L'objectif: dépasser l'alternative binaire entre indépendance et maintien du statu quo, en explorant une autonomie renforcée au sein de la République.

"Long et pénible"
Pour rappel six délégations calédoniennes participent aux discussions au Hilton de Bougival, un établissement au luxe discret: UC et Palika pour les indépendantistes, Loyalistes et Rassemblement-LR pour les non-indépendantistes, Calédonie ensemble et Éveil océanien au centre.
Mais les premiers jours sont laborieux. "Le démarrage a été long et pénible", souffle une source. Il faut attendre cinq jours, le lundi, pour qu'une première plénière réunisse l'ensemble des acteurs avec l'État, représenté par Manuel Valls, Éric Thiers et Patrice Faure, directeur de cabinet du Président ainsi que Déobal Gobinn conseiller politique et parlementaire de Manuel Valls, et le préfet Rémi Bastille.
"Il a fallu que le ministre tape du poing sur la table" pour relancer les échanges, reprend cette source. Une source proche du dossier se félicite, elle, de "l'alignement total de l'État" dans le dossier alors que depuis l'échec des négociations de Deva, menées en mai près de Nouméa, les loyalistes pariaient sur le président contre son ministre des Outre-mer.
Les ateliers alternent entre politique et économie - nickel, finances publiques, institutions - sans déboucher sur un accord. La lassitude s'installe. Les couloirs du Hilton voient défiler des délégués fatigués, parfois joueurs de ping-pong, parfois en quête de sous-vêtements propres.
Mais les nerfs sont à vif, et les marges de compromis paraissent réduites. Après d'interminables palabres, l'espoir renaît vendredi matin: une nouvelle version du projet d'accord, peaufinée par les négociateurs de l'exécutif, est distribuée. "On est dans le money-time. Soit on signe dans les 24 heures, soit on rentre bredouille", confie un participant aux négociations dans l'après-midi.
Coup de théâtre
Tout se jouera en soirée. Une séance plénière est annoncée pour minuit. À 23h41, l'Élysée envoie une "note aux rédactions" convoquant les photographes... à 23h55. L'invitation est annulée quatre minutes plus tard, puis renvoyée trois minutes après avec un simple "erratum".
Le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), emmené par Emmanuel Tjibaou, organise une longue visio-conférence avec son bureau politique à Nouméa. La tension monte avant une ultime rencontre entre les indépendantistes et l'Etat. À 04h00, c'est toujours l'impasse.
Puis, peu après 06h00, coup de théâtre: les téléphones vibrent, "ça sent bon". Un accord est trouvé. Les traits sont tirés, mais les sourires apparaissent. Un "check" entre le député loyaliste Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou immortalise le moment.

Cet accord vient solder l'échec apparent des discussions menées par Manuel Valls à Deva, où il avait mis sur la table un projet de "souveraineté avec la France" qui avait hérissé les loyalistes.
Le ministre, lui, y voit une "étape". Avec Éric Thiers, il revendique six mois de travail acharné, ponctué de déplacements, de contacts permanents et de recollage patient entre camps opposés. "On a été inventifs dans les formules", conclut-il. "La Constitution nous donne de la souplesse."

Le samedi la séquence à l'Elysée conclut la longue semaine de négociations avec des participants qui ont tous exprimés devant le Président de la République une satisfaction d'avoir pu signé cet accord " pari pour la confiance " pour sortir de l'impasse et travailler pour le territoire. Le Président à quant à lui salué ce chemin inédit, « un modèle de responsabilité», et « l’aboutissement d’un processus entamé depuis 40 ans » en soulignant l’ampleur du chemin parcouru depuis les accords de Matignon (1988) et de Nouméa (1998).
Avec AFP