Mayotte, îles Éparses ... La France, confrontée à une souveraineté contestée sur plusieurs de ses territoires et aux ambitions croissantes de la Chine et de la Russie, joue les équilibristes dans l'océan Indien, où Emmanuel Macron entame lundi une tournée de cinq jours.
Le chef de l'État, fidèle à sa stratégie indopacifique, va réaffirmer les ambitions françaises de puissance régionale tout comme une volonté de coopération renforcée avec les États du sud-ouest de l'océan Indien.
Après des étapes à Mayotte et La Réunion, les deux départements aux avant-postes de la présence française, il se rendra à Madagascar et Maurice. Et participera jeudi à Antanarivo, la capitale malgache, au cinquième sommet de la Commission de l'océan Indien (COI), qui réunit cinq États insulaires (Madagascar, Maurice, Comores, Seychelles, France au titre de La Réunion).
« La France a certes la puissance de feu, mais elle n'est pas forcément en position de force, pas forcément numéro un et en tout cas pas seule. Les compétiteurs sont présents et actifs », résume à l'AFP Christiane Rafidinarivo, chercheuse au centre de recherches politiques Cevipof de Sciences-Po à Paris. Grâce à ses multiples territoires insulaires à travers les océans, la France possède certes le deuxième espace maritime du monde (plus de 10 millions de kilomètres carrés), dont 27% dans l’océan Indien.
Grâce aux îles Éparses (Tromelin, Glorieuses, Juan de Nova, Europa, et Bassas da India), des « confettis » quasi inhabités - sans compter Mayotte au nord - elle contrôle plus de la moitié de la surface du canal du Mozambique, redevenu un carrefour stratégique du transport maritime international. Ajouter à ces territoires, La Réunion -Outre-mer le plus peuplé-, les Kerguelen ou encore, Saint-Paul et Amsterdam, la France s’assure une présence sur une large partie ouest et sud de l’océan Indien.
« Accès aux ressources »
Elle dispose aussi de moyens militaires, dont une base navale à La Réunion, et économiques conséquents par rapport aux pays riverains. Mais Madagascar revendique la souveraineté sur les Éparses tout comme les Comores sur Mayotte, qui s'en est détaché lors de leur indépendance en 1975 pour rester française. L'île Maurice réclame de son côté Tromelin au nord de La Réunion.
« La France est dans une situation un peu plus contrainte qu'il n'y paraît », explique Denys-Sacha Robin, spécialiste en droit international de la mer à l'université Paris-Nanterre. « Ces demandes de rétrocession, c'est un enjeu d'identité nationale, un enjeu d'accès aux ressources et puis c'est un moyen de pression pour obtenir autre chose » de Paris, en matière d'immigration ou de sécurité.
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Le canal du Mozambique renferme d'importantes réserves en hydrocarbures - au point qu'on le qualifie parfois de « nouvelle mer du Nord » - et halieutiques. Le rôle de la France y est désormais disputé par la Chine, qui investit massivement dans la zone, notamment à travers le développement de ports, et dispose d'une importante flotte de pêche. États-Unis, Russie et Inde y renforcent aussi leur présence.Russes et Chinois y ont également mené des exercices militaires avec l'Afrique du sud.
« Épine dans le pied »
La Russie, après avoir tenté en vain d'adhérer à la COI en 2020, a apporté son soutien à Madagascar dans sa revendication sur les îles Éparses, tout comme aux Comores, dont elle s'est rapprochée, pour Mayotte. « Le statut de Mayotte est extraordinairement instable. C'est une épine dans le pied de la France », estime Bertrand Badie, spécaliste de relations internationales à Sciences Po.
Les Comores s'opposent aussi à son intégration à la COI*, réclamée par les élus mahorais. Face à ces résistances, Emmanuel Macron devrait s'en tenir à une ligne pragmatique, c'est-à-dire demander une « inclusion » progressive de Mayotte à la COI à travers des programmes de coopération notamment sur la santé.
« Pour la France, il s'agit de consolider des coopérations avec des États pour qu'ils ne deviennent pas hostiles, ne rentrent pas dans d'autres réseaux qui seraient hostiles », note Christiane Rafidinarivo. Mayotte, département le plus pauvre de France, présente d'énormes fragilités, avec une importante pression migratoire en provenance des Comores et le cyclone Chido, le plus dévastateur depuis 90 ans, qui a mis à terre son économie en décembre.
L'océan Indien est « une région du monde dans laquelle la décolonisation n'a jamais été véritablement accomplie. La déstabilisation tient à un fil. Il suffit d'un pouvoir populiste dans l'un des pays », relève Bertrand Badie.
Avec AFP
*C’est un des enjeux de la France dans la région : l’intégration ou l’inclusion de Mayotte au sein de la COI, qui devrait être évoquée, en filigrane, lors du Sommet des chefs d’États de l’organisation régionale, qui aura lieu mercredi à Madagascar en présence d’Emmanuel Macron. Une question qui ne devrait toutefois pas être conclue à l’issue de ce Sommet. « L'enjeu étant d'arriver à progresser pour l'inclusion de Mayotte dans les programmes de la COI » confirme l’Élysée, alors que le département est « largement tenu à l'écart » des programmes de l’organisation régionale.
Mercredi 16 avril, le ministre chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Thani Mohamed-Soilihi, avait tenté d’inscrire cette intégration à la déclaration finale du Conseil interministériel de la COI, instance préparant le Sommet des chefs d’État de l’organisation. Mais le ministre s’est heurté au véto de ses homologues et notamment des Comores, qui revendiquent leur souveraineté sur Mayotte.
« Le président évoquera le sujet avec l'objectif de progresser de façon pragmatique et programmatique » insiste l’Élysée. « L'inclusion de Mayotte sur des programmes de la COI, sur des thématiques et des domaines où la coopération s'impose » est nécessaire estime encore la présidence qui cite notamment les crises climatiques ou sanitaires qui « n’ont pas de frontières ».
Une certitude, l’inclusion de Mayotte ne devrait pas intervenir lors de ce Sommet. Quid de la suite ? Les Comores prendront la présidence tournante de la COI à la suite de Madagascar, mais l’Élysée n’y voit pas « une mauvaise nouvelle » pour l’intégration de Mayotte. « Au contraire, il faut arriver à convaincre les Comores que l'inclusion de Mayotte, c'est gagnant-gagnant ».
Une tâche d’autant plus complexe que les autres États membres ont tendance à ne pas entrer dans le débat, voire à s’aligner sur la position comorienne. « Ça se fera par de la diplomatie, pas par des déclarations publiques » glisse l’Élysée qui assure que le chef de l’État « est dans une approche de dialogue ferme sur nos intérêts et sur l'objectif d’intégration de Mayotte, et on le fait de façon constructive ».