À quelques heures de son départ pour La Réunion, sa première visite Outre-mer depuis son arrivée à Matignon, la Première ministre a accepté de répondre aux questions d’Outremers360. Elle y évoque les sujets qui seront abordés durant sa visite, et assure vouloir « prendre le temps d’échanger avec nos concitoyens ultramarins », estimant que « les attentes des habitants de La Réunion et des territoires ultramarins sont nombreuses ». Son déplacement s’inscrit notamment dans sa feuille de route des 100 jours visant à « améliorer rapidement et concrètement la vie quotidienne » et à quelques semaines du Comité interministériel aux Outre-mer.
Outremers360 : Vous vous rendez à La Réunion ce 11 mai. Il s’agira de votre première visite en Outre-mer : comment l’appréhendez-vous dans un contexte sensible pour votre gouvernement ?
Élisabeth Borne : Cela faisait plusieurs mois que je souhaitais me rendre dans les Outre-mer. Je suis donc très heureuse que cette visite se concrétise ici à La Réunion et que je puisse passer trois jours sur place. Je pourrai ainsi prendre le temps d’échanger avec nos concitoyens ultramarins et avec les acteurs politiques, économiques et associatifs de l’île.
Quant au contexte politique national que vous évoquez, il n’interdit pas de se déplacer, au contraire, il invite même à plus de rencontres et plus d’échanges avec les Français. Le dialogue est le seul chemin pour apaiser et recréer de la cohésion nationale. Bien sûr, nous ne serons jamais tous d’accord mais notre devoir en tant que dirigeant politique est d’expliquer en responsabilité les décisions que nous prenons et de les assumer même quand elles sont impopulaires. Mais c’est aussi d’entendre les inquiétudes des Français, d’être capable de reconnaître ce qui ne fonctionne pas suffisamment bien et, en conséquence, d’agir pour que nos concitoyens voient mieux les effets de notre action.
Je sais que les attentes des habitants de La Réunion et des territoires ultramarins sont nombreuses, d’ailleurs elles ne sont pas toutes identiques, chaque territoire a ses spécificités et je suis très attentive à ce que l’État en tienne compte. C’est l’objet de cette visite : écouter mais aussi nous inspirer de ce qui fonctionne bien. J’irai par exemple visiter des exploitations agricoles, qui participent à bâtir l’autonomie alimentaire de l’île, mais aussi une exploitation de vanille, production historique issue d’un savoir-faire traditionnel qui fait de la vanille réunionnaise une fierté nationale !
En Outre-mer, et à La Réunion, des mobilisations ont également eu lieu. Quelle réponse donnez-vous aux Réunionnais qui s’inquiètent de leurs retraites, de leurs pensions, parmi les plus basses de France ?
Les Réunionnais ont des pensions de retraites plus faibles qu’en métropole, c’est un fait. Ces inégalités ont bien été prises en compte dans la réforme des retraites qui vient d’être adoptée, j’y ai été particulièrement vigilante. Trois mesures d’accompagnement permettent de tenir compte de la situation des plus fragiles et des plus modestes. La première est le maintien à 67 ans de l’âge d’annulation de la décote, ce qui est un élément très important pour les personnes qui ont eu des carrières hachées et n’ont pas tous leurs trimestres à l’âge de départ à la retraite. La deuxième est la revalorisation du minimum de pension, qui concerne la moitié des retraités réunionnais du régime général et qui s’appliquera dès le versement de la pension de septembre. Ceux qui ont travaillé toute leur carrière auront cent euros de plus par mois. Ceux qui ont travaillé moins que les trimestres requis auront une revalorisation proportionnelle. La troisième concerne l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées), un dispositif de solidarité qui est soumis à un principe de récupération sur la succession, ce qui conduit certains de nos concitoyens à ne pas solliciter cette aide pour éviter à leurs héritiers d’avoir à la rembourser. La réforme des retraites a permis de relever le seuil de 39 000 euros à 100 000 euros à partir duquel s’applique cette récupération. Et pour les départements d’outre-mer, ce seuil a été porté à 150 000 euros.
L’agriculture est un sujet important sur l’île : quelles réponses comptez-vous apporter aux Réunionnais sur ce sujet ?
L’agriculture à la Réunion bénéficie de nombreux microclimats qui lui permettent d’être diversifiée et d’avoir des productions très variées. Renforcer l’autonomie alimentaire de La Réunion est une priorité pour mon Gouvernement. Nous avons aujourd’hui des objectifs de développement à horizon 2030 qui sont clairs et des leviers de travail bien identifiés (sur le foncier, l’attractivité, etc.).
Mais ici, comme en métropole, l’agriculture est aussi confrontée au défi du changement climatique : elle subit des événements extrêmes, comme la sécheresse ou même les cyclones. C’est pour lutter contre ce phénomène que le président de la République a lancé le plan eau. Ce dernier se décline dans tous les territoires y compris à La Réunion avec des projets d’ampleur pour renforcer notre résilience, comme le projet MEREN qui vise à mettre en œuvre un aménagement hydraulique que j’aurai l’occasion de découvrir à Salazie.
Le thème de la souveraineté alimentaire est devenu un leitmotiv pour votre gouvernement, dans un contexte d’inflation globale et de tensions sur l’approvisionnement. Ce thème est encore plus important dans les Outre-mer, où les prix sont structurellement plus élevés que l’Hexagone, ou l’importation représente une part importante dans l’alimentaire. Comment comptez-vous soutenir, développer la souveraineté alimentaire de ces territoires ?
A la suite de la guerre en Ukraine, le Gouvernement a débloqué des aides d’urgence exceptionnelles pour aider les agriculteurs à compenser les surcoûts liés notamment à la hausse des prix de l’énergie et aux arrêts des exportations depuis l’Ukraine, en métropole et dans les Outre-mer. Mais nous devons aller plus loin et renforcer notre souveraineté alimentaire à plus long terme.
Lire aussi : À La Réunion, Élisabeth Borne au contact de la population, sur le logement, l’agriculture et l’emploi
Pour La Réunion, cela ne signifie pas l’autarcie complète car nous continuerons évidemment à importer une partie des produits ! Nous mettons en œuvre notamment un des engagements de campagne du président de la République : le déploiement d’un plan d’autonomie alimentaire par les filières dans chaque territoire ultramarin pour donner plus de moyens de produire et pour préserver le foncier agricole. En la matière, La Réunion est déjà en avance et la production sur l’île couvre bien les besoins de ses habitants.
L’une des priorités de votre déplacement est le logement : quelles réponses comptez-vous apporter aux Réunionnais sur ce sujet ?
Le logement est un défi à La Réunion. La population augmente et pourrait atteindre d’ici moins d’une génération plus d’un million d’habitants. C’est une chance pour le développement de l’île. Mais je sais que les Réunionnais sont inquiets concernant leur capacité à se loger : le foncier est de plus en plus rare, compte tenu du relief important et de la nécessité de préserver le littoral, et la demande de logement social continue d’augmenter.
Le Plan logement Outre-mer 2019-2022 a relancé la construction de logements sociaux à La Réunion et dans les autres territoires d’Outre-mer. Nous devons également mieux prendre en compte le vieillissement de la population qui fait émerger de nouveaux besoins et diriger prioritairement l’effort vers l'augmentation de l'offre de logements sociaux adaptés et le développement des logements-foyers, pour les personnes âgées ou handicapées. Cela passe par la construction de logements neufs mais aussi par la réhabilitation du parc social ou privé.
Pour aller dans ce sens, nous avons ouvert en février l’APL foyer outre-mer, qui bénéficiera aux résidents de tous les foyers logements (les personnes âgées, handicapées et les résidences sociales), ce qui n’était pas le cas auparavant.
Le Plan logement Outre-mer a été prolongé en 2023 pour répondre à tous ces défis. Il comprend 33 mesures pour la Réunion, afin d’intensifier nos efforts, en lien avec les élus locaux, dont la mobilisation est essentielle car ils connaissent les besoins de leur territoire. Le renforcement de la territorialisation de la politique du logement en Outre-mer est indispensable, notamment pour mieux répartir l’offre de logements à loyer modéré sur le territoire et pour lutter contre l’habitat insalubre.
Vous vous êtes fixé 100 jours pour une feuille de route et renouer les liens avec les Français, au lendemain de la réforme des retraites. Comment cette feuille de route se traduit-elle pour les Outre-mer, et pour La Réunion particulièrement ?
Tout au long de mon déplacement, j’aurai l’occasion de m’exprimer sur l’emploi, l’insertion professionnelle, la transition écologique, le logement ou encore sur les violences intra-familiales, qui sont au cœur de la feuille de route gouvernementale que j’ai présentée au mois d’avril.
Cette feuille de route a l’ambition d’améliorer rapidement et concrètement la vie quotidienne de nos concitoyens dans l’Hexagone comme dans les Outre-mer. Pour répondre plus efficacement aux réalités ultramarines, je réunirai prochainement le Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), qui contient de nombreuses mesures adaptées aux enjeux et aux attentes des ultramarins. Ce CIOM sera la traduction opérationnelle pour les Outre-mer de notre feuille de route nationale.