Lors de la session « Migration et emploi » des Journées d’études des outre-mer (ARUM) qui se sont tenues les 14 et 15 novembre au CESE, à Paris, Jean-Christophe Gay, agrégé de géographie et professeur à l'Université Côte d’Azur, spécialiste des discontinuités spatiales, du tourisme et des Outre-mer, auteur de La France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes, aux éditions Armand Colin, a exploré, avec Pauline Jezequel, doctorante en géographie et Laura Schuft, maîtresse de conférences à l’Université Côte d’Azur, la question des migrations océaniennes en France haxagonale, soulignant la complexité des liens centre-périphérie*.
Une migration récente
Il n'existe pas d'étude globale sur les mobilités des Océaniens. Quelques données issues de l'Institut national de la statistique en 2006 montrent toutefois que l'arrivée de natifs de la Polynésie française dans l'Hexagone a véritablement décollé à partir des années 1960, notamment en lien avec la création du Centre d'expérimentation du Pacifique, CEP. Avant 1960, seules quelques dizaines arrivaient chaque année. Leur nombre a progressivement augmenté pour s’accélérer au mitan des années 1990.
Alors que les Antillais se concentrent principalement en Île-de-France, notamment dans les départements de la petite couronne et certains arrondissements parisiens, la répartition des Océaniens en France hexagonale révèle des concentrations distinctes selon les origines. Le Var se distingue comme le département où leur présence est la plus marquée, notamment en raison de la base navale de Toulon et du régiment de Fréjus, attirant principalement des Polynésiens et des Calédoniens. Suivent d'autres départements comme le Finistère, la Gironde, la Haute-Garonne, et l’Hérault.
En revanche, les Wallisiens et Futuniens ont une distribution différente. Arrivés après la fin du protectorat en 1961, les premiers d'entre eux ont été installés dans des casernes de l'Ouest de la France, notamment au Mans et à Vannes. Cette implantation initiale explique leur forte présence actuelle dans cette région, contrairement aux Polynésiens plus concentrés dans le sud-est.
L’analyse fine, menée à l’échelle des IRIS (les plus petites unités spatiales statistiques en France, en dessous du niveau communal), identifie environ 550 zones où résident au moins dix natifs d’Océanie. Ces populations se concentrent principalement autour de grands pôles universitaires comme Toulouse, Bordeaux-Talence et Montpellier, ainsi que dans des villes de garnison telles que Fréjus, Agen, Tarbes et Castel-Sarrazin, mettant en évidence le rôle clé des infrastructures militaires et universitaires dans leur installation.
L'engagement militaire : entre tradition et opportunité professionnelle
Parmi les personnes interrogées lors des enquêtes menées en Polynésie française, 43 % de celles ayant des enfants DANS l'Hexagone indiquent que ces derniers servent dans l’armée. Selon des données fournies par le Ministère de la Défense, 8% des militaires engagés sont originaires des Outre-mer. Cet engagement, particulièrement marqué chez les Océaniens, trouve ses racines dans une longue tradition historique, remontant à la participation aux conflits au sein des bataillons français. Cet attrait pour l’armée est également lié à la valorisation culturelle de l’image du guerrier dans la société polynésienne, tout en représentant une opportunité d'insertion professionnelle pour les jeunes à la sortie des dispositifs de formation.
L’exemple de Brest
Brest, bien connue pour son port militaire, attire un nombre croissant de Polynésiens, mais aussi de Calédoniens, notamment des Kanak, ainsi que quelques Wallisiens et Futuniens. Cette présence s'explique par la proximité avec l’Arsenal, avec une majorité de ces populations s’installant dans des quartiers populaires ou de classe moyenne, à la fois mixtes et accueillants. L'attractivité de la ville s’illustre notamment par la séparation entre la ville civile et militaire, témoignant de l’ancrage historique de Brest en tant qu’arsenal avant d’être une ville à part entière. En parallèle, la communauté polynésienne y développe des activités culturelles et sociales dynamiques, notamment à travers des associations. La ville de Brest voit ainsi s'épanouir des initiatives comme des studios de danse polynésienne.
Etranger en son pays
La mobilité des Océaniens vers l'Hexagone, en particulier des Wallisiens, est motivée par des raisons diverses, allant au-delà des seules considérations économiques. Environ 1% de la population wallisienne évolue dans des clubs de rugby en France, avec une trentaine de joueurs dans l’élite du rugby français (Top 14 et Pro D2) en 2018-2019. En parallèle, des facteurs sociaux, culturels et professionnels, comme l'engagement dans les forces armées ou la formation en police, influencent également cette dynamique migratoire.
Pour certains, la mobilité est temporaire, motivée par la recherche de meilleures opportunités avant un éventuel retour. Récemment, les tensions politiques en Nouvelle-Calédonie ont entraîné des départs massifs, bien que les chiffres exacts demeurent incertains et nécessitent une étude approfondie pour éviter toute surinterprétation. Ces migrations sont souvent marquées par un statut administratif particulier, où les Océaniens, bien qu'ayant la nationalité française, se sentent parfois étrangers dans leur propre pays.
*En géographie, la notion de centre et de périphérie, formalisée par Alain Reynaud dans les années 1980, désigne un rapport d'inégalité et de domination entre deux espaces, où le centre est un lieu de concentration socio-économique, culturel et politique qui exerce une influence et un pouvoir, tandis que la périphérie dépend de ce centre, profitant parfois de ses retombées mais souvent dominée et peu réciproque dans les échanges.
EG