DOSSIER [3/5]. Mayotte post-Chido : « Les forêts partent en fumée » : l’alerte de Rachida Omar, la directrice de l’Office national des forêts

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DOSSIER [3/5]. Mayotte post-Chido : « Les forêts partent en fumée » : l’alerte de Rachida Omar, la directrice de l’Office national des forêts

Dix mois après le passage du cyclone Chido sur l’île de Mayotte qui a détruit la grande majorité des écosystèmes naturels, les forêts de l’île sont en proie à une autre menace, tout aussi dévastatrice : des feux de végétation incontrôlables causés par la culture sur brûlis. Rachida Omar, directrice de l’agence mahoraise de l’Office national des forêts alerte sur une pratique très dangereuse. Elle rappelle qu’il faut près de 10 ans pour qu’une forêt se régénère et que les écosystèmes mahorais, riches de ses espèces endémiques, constituent le patrimoine l’île. Troisième épisode de notre dossier consacré à la reconstruction environnementale de Mayotte.
 


Marion Durand : Dix mois après le passage du cyclone Chido, comment vont les écosystèmes mahorais ?

Rachida Omar : Malgré une reprise, les écosystèmes ont été très impactés par le passage du cyclone tropical Chido en décembre dernier. La reprise de la végétation est visible mais peu rapide. On espérait que la régénération naturelle allait prendre le dessus et que les forêts allaient se reconstruire naturellement, sans intervention de l’homme, mais ce n’est pas le cas. La dynamique de reconstruction est lente, les pressions anthropiques sont nombreuses et la destruction est finalement plus rapide que la régénération. Il faut être patient mais plusieurs menaces pèsent sur cette forêt.

Avez-vous une estimation des dégâts causés par le cyclone ?

Nous avons fait un diagnostic après le passage du cyclone, toutes les forêts ont été impactées à des niveaux différents. Dans les massifs du nord, on a observé une perte de 90 % de la couverture végétale. Dans le Sud, ce chiffre est moins élevé, 47%, car les forêts étaient plus éloignées de l’œil du cyclone.

Surveillance avec l'OFB © ONF



Quels sont les menaces qui dégradent aujourd’hui la forêt ?

L’occupation de l’homme principalement. Beaucoup de culture de banane et de manioc se fait actuellement sur les zones détruites par le cyclone et ces cultures s’accompagnent de la pratique du brûlis, qui consiste à mettre le feu au sol pour désherber et libérer de l’espace rapidement pour pratiquer une culture. Mais ces brûlis sont totalement dévastateurs car ils ne sont pas maîtrisés, ils débordent en dehors des zones et progressent très vite en forêt. Ces feux détruisent toutes les jeunes pousses d’espèces naturelles et les graines disponibles au sol, sans quoi la forêt ne pourra pas se régénérer naturellement ! Mayotte brûle, les forêts partent en fumée.

Les brûlis sont-ils plus nombreux depuis le passage de Chido ?

La pratique du brûlis est répandue à Mayotte mais depuis le passage de Chido, ces feux sont de plus en plus nombreux et ils font davantage de dégâts. Il y a beaucoup de matière sèche au sol, des troncs, des branchages, des arbres, etc. C’est une réserve de combustible énorme ! Depuis Chido, les surfaces brûlées ont nettement augmenté. En 2024 on a comptabilisé 60 hectares partis en fumée. Cette année, 165 hectares ont déjà brûlé entre janvier et septembre. Il reste encore trois mois et les brûlis vont perdurer jusqu’aux premières pluies, attendues vers novembre. C’est une grande problématique, la facture va être très élevée et au lieu de se concentrer sur le reboisement, on doit gérer les dégâts de ces incendies.

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Comment lutter contre ces brûlis ?

C’est très compliqué car le brûlis est souvent réalisé par des agriculteurs qui pratiquent une agriculture illégale sur des parcelles qui ne leur appartiennent pas. Nous travaillons énormément sur la sensibilisation et sur la surveillance des forêts mais ce n’est pas facile. On est très inquiet car les ressources permettant la reconstruction des forêts sont déjà limitées, on bénéficie de fonds européens et nationaux, de dons par des mécènes mais les moyens ne sont pas très importants.

Outre les moyens financiers, quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés pour mener à bien le reboisement de la forêt mahoraise ?

Le premier frein est la disponibilité des semences et des graines à planter. Nous avons commandé des plants auprès des pépiniéristes de Mayotte mais les capacités ne sont pas illimitées. Le deuxième problème auquel nous sommes confrontés c’est le temps. Les graines qu’on met en semis maintenant seront prêtes seulement dans un an car avant d’être replanté en forêt, un plant a besoin de plusieurs mois avant d’être apte à survivre en forêt. Il faut compter six à huit mois pour les espèces à croissance rapide et douze mois pour les espèces à croissance lente.

Une fois en forêt, les plants ont encore besoin de temps…

Une fois mis en terre, nous devons prendre soin de ces plants pour qu’ils survivent. Les membres de l’Office national des forets de Mayotte passeront deux fois par an pour procéder à des dégagements autour de ces plants afin d’éliminer les espèces qui apparaissent autour et qui font de la concurrence à nos arbres en leur prenant leur espace et leurs ressources. Sans cette intervention de nos spécialistes, les espèces exotiques envahissantes étouffent les plants. C’est seulement après quatre ou cinq ans d’intervention qu’on peut laisser l’arbre poursuivre seul sa croissance.

Quand allez-vous replanter les premiers arbres ?

Juste avant la saison de pluie, nous replanterons les plants que nous avons commandés avant le cyclone car l’ONF lance des programmes de reboisement chaque année, indépendamment des catastrophes naturelles. On programme actuellement le reboisement pour 2026 et 2027. Les projets de reboisement s’envisagent sur du long terme. Une forêt à besoin de dix ans pour se régénérer.
C’est pour cela que les incendies nous inquiètent particulièrement car ils détruisent les nouvelles pousses. Le grand programme de reboisement de l’année dernière est déjà parti en fumée !

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Quelles sont les espèces que vous replantez ?

On privilégie les espèces indigènes c’est-à-dire des espèces naturellement présentes dans le milieu. Pour la campagne de reboisement de 2025-2026, qui commence bientôt, 24 000 plants seront mis en terre dans la forêt domaniale de Voundzé, dans la commune de Dembéni au centre Est de l’île. Cela représente 15 hectares de forêt. Dans la forêt de Mont Combani-Parcelle Majimbini, à Tsingoni, au centre de l’île, nous allons reboiser une surface de neuf hectares grâce à 16 200 plants. Sur ces deux sites, ce sont des espèces d’arbres en essences indigènes : le Mjilandzé, le Badamier, le Manguier forestier, le Tsimati Maota, le Barabaï…

Mayotte abrite une faune et une flore très riche. Entre l’intérieur du territoire et l’aire marine protégée, une incroyable diversité d’espèces peuplent l’île. Que reste-t-il de cette biodiversité exceptionnelle ?

La destruction des habitats est le principal problème pour la faune car de nombreuses espèces vivent au niveau de la cime des arbres. Les roussettes ont disparu du territoire après le cyclone, elles ont rejoint les îles voisines car elles n’avaient ni habitat ni ressources alimentaires. Pour les populations de maquis, nous ne savons pas encore dans quel état elles se trouvent, il sera difficile d’établir un bilan car nous n’avons pas de chiffre sur les populations avant le passage de Chido. Nous manquons de données pour de nombreuses espèces.
Concernant la flore, il sera difficile de reconstituer les habitats tels qu’ils étaient, nous allons reboiser mais il est certain que les forêts ne seront pas identiques à ce qu’elles étaient auparavant. Il y a aura donc forcément une perte de la biodiversité, c’est une conséquence inéluctable.

L’absence de données antérieures au cyclone est-elle problématique ?

C’est un vrai problème, on manque de chiffre sur lesquels s’appuyer pour évaluer réellement l’impact du cyclone. Il est nécessaire de mettre en place des suivis scientifiques pour mieux connaître notre milieu afin de mieux anticiper et programmer la reconstruction.

Est-ce difficile de se projeter dans l’avenir ?

On avance pas à pas avec les ressources que nous avons. Il y a eu une réelle mobilisation après le passage du cyclone, nous avons reçu beaucoup de dons de la part de mécènes mais est-ce qu’on aura ces aides financières dans deux ou trois ans ? On ne le sait pas. Le temps nécessaire pour reconstruire une forêt est de dix ans, aura-t-on les moyens dans quelques années ? On l’espère.
On est en train de mettre en place un observatoire des forêts de Mayotte pour pouvoir aller plus loin, chiffrer précisément ce que l’on doit faire pour pouvoir négocier des enveloppes pour la reconstruction.

La nature reprend © CAPAM


Lutter contre les espèces exotiques envahissantes est aussi une mission importante post-chido. Ont-elles proliféré au lendemain du cyclone ?

Oui, elles se sont développées et ont pris de la place dans la nature. Il y a aussi des espèces locales qui deviennent incontrôlables. C’est un vrai problème car le milieu est fragilisé, les espèces exotiques envahissantes ont une croissance plus rapide que les espèces endémiques donc elles prennent le dessus et colonisent le milieu au détriment des espèces locales qu’on souhaiterait voir repeupler les forêts de Mayotte. Le cyclone a tout dévasté, la nature a horreur du vide donc ces espèces envahissantes ont colonisé des milieux naturels à nu. Le risque majeur est de perdre la diversité génétique que nous avions sur l’île.

Mayotte et les Comores font partie du point chaud de biodiversité de l’ouest de l’océan Indien. Un des autres enjeux est la protection des espèces endémiques, celles qui existent uniquement sur le territoire. C’est le cas pour plusieurs animaux mais aussi pour des végétaux. Les espèces endémiques sont-elles en danger depuis le passage du cyclone ?

C’est en effet un vrai enjeu car c’est ce qui fait la richesse de Mayotte, les espèces endémiques participe au patrimoine de l’île. Si on perd ces espèces endémiques, elles ne seront présentes nulle part ailleurs et certaines vont disparaître de la surface du globe. Notre travail est donc essentiel. On essaye de cibler toutes les espèces et d’avoir le maximum d’espèces différentes dans nos plans de reboisement. Mais il est vrai que les pressions anthropiques et les espèces exotiques envahissantes compliquent la tâche. Nous sommes très inquiets quant à l’avenir de certaines espèces indigènes.

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Les roussettes qui ont déserté Mayotte sont-elles revenues ?

Depuis cet été, les roussettes ont l’air d’être revenue. Je les observe de mon jardin et elles sont là, c’est rassurant. Ce ne sera sans doute pas comme avant mais on va tout faire pour permettre à ces espèces de retrouver leur habitat.

Comment se préparer pour faire face à de futurs événements climatiques extrêmes ?

Il est selon moi essentiel de mettre en place une banque de graines et de semences afin de pouvoir conserver la diversité génétique des espèces de Mayotte. C’est un projet en cours, il est porté par le Conservatoire botanique de Mascarin (CBDM). Cette banque de graines nous permettrait d’avoir rapidement des ressources végétales au lendemain d’un cyclone comme Chido. Il me paraît aussi important de préparer les professionnels à agir en amont d’événements climatiques extrêmes pour protéger le matériel et leur site.

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