Dix mois après le passage du cyclone Chido à Mayotte, les cultures reprennent et beaucoup d’exploitations ont retrouvé une partie de leur production. Partout sur le territoire, les agriculteurs ont durement travaillé pour produire rapidement de quoi nourrir la population mahoraise mais la facture reste élevée : 300 millions d’euros de dégâts et de perte pour le secteur agricole. Malgré une grande solidarité entre les exploitants et de la part des acteurs locaux, certaines filières comment les cultures arboricoles ou la vanille mettront des années à se relever. Outremers360 consacre cette semaine un dossier spécial sur la reconstruction environnementale de Mayotte.
Les premiers légumes sortent de terre, la végétation reprend peu à peu sa place et les milliers de nouvelles pousses teintent de vert les champs encore marqués par la catastrophe. À Mayotte, si les agriculteurs commencent à retrouver le sourire, c’est parce qu’ils sont passés par des heures sombres. Les taules grisâtres, déchets par centaine et bout de fils électriques qui pendent encore sur certaines exploitations prouvent que Chido n’est pas loin.
Le samedi 14 décembre 2024, l’île aux parfums est balayée par un cyclone tropical causant d’énormes dégâts matériels et humains. Quarante personnes perdent la vie selon le décompte officiel mais le nombre de victime reste difficile à évaluer. Les blessés se comptent par milliers. Les bâtiments et infrastructures sont pour beaucoup rasés, le reste est totalement détruit par les vents soufflant à 200 km/heure.
Les exploitations agricoles ne font pas exception, en quelques heures, les agriculteurs perdent tout. Selon la Chambre de l'agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte (CAPAM), la facture s’élève à 300 millions d’euros de dégâts et de perte pour le secteur agricole. Les pertes liées à la production grimpent à 154,2 millions d’euros et les pertes de fonds — incluant les coûts de replantation pour les cultures pérennes (cocotiers, citronniers, orangers, etc.) et les infrastructures agricoles détruites — sont estimées à 142,1 millions d’euros. « La totalité des serres et des cultures ont été détruites. 40 % des poules pondeuses, 80 % des volailles de chairs sont mortes et la plupart des bâtiments ont été détruits », complète la Direction régionale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte.
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« On devait démonter ce qu’on a mis des années à construire »
80 % de la végétation a été détruite par le passage du cyclone mais aujourd’hui les cultures reprennent et beaucoup d’exploitations ont retrouvé une partie de leur production. C’est grâce au travail acharné des agriculteurs pendant dix mois et à la solidarité exceptionnelle qui s’est rapidement mise en place. « Les semaines qui ont suivi le cyclone ont été très éprouvantes psychologiquement pour les exploitants », se souvient Laurent Guichaoua, maraîcher à Combani et président de l’Union des coopératives agricoles de Mayotte. « On avait un gros travail de nettoyage et de démontage, ça a duré trois mois. C’était difficile et ingrat car on devait démonter ce qu’on avait mis des années à construire. » Mais pour l’aider dans cette tâche douloureuse moralement et physiquement, l’exploitant a pu bénéficier gratuitement de l’aide de quatre intérimaires mis à disposition par l’agence locale d’intérim Alomayjob. « Cette aide qui a consisté à la mise à disposition de travailleurs très rapidement suite au cyclone a pour moi été l’action de l’Etat la plus rapide et la plus utile », juge Laurent Guichaoua. Comme lui, une quarantaine d’agriculteurs mahorais ont pu compter sur ces hommes et ces femmes venus prêter main-forte. « Ils ont démonté les serres, dégagés les routes, tronçonnés les arbres », précise-t-il. Cette initiative, financée par la Direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Mayotte a permis aux agriculteurs d’avancer plus rapidement dans la reconstruction de leur exploitation. Des initiatives solidaires comme celle-ci, il y en a eu d’autres. La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA) ont par exemple envoyé du matériel d’urgence, notamment des tronçonneuses pour déblayer les champs et les routes.

1 700 € versés à chacun des éleveurs
De son côté, l’Abattoir de volailles de Mayotte a décidé de maintenir le salaire de ses éleveurs pour leur permettre de se relever. « On ne voulait abandonner personne, au bout de la crise il ne fallait pas avoir perdu quelqu’un », raconte Elhad-Dine Harouna, le président d’AVM. Dès le mois suivant le cyclone, l’entreprise a versé 1 700 € à chacun de ses adhérents et fait venir d’importante quantité de taule pour remplacer les toits. « On a engagé tous les financements nécessaires pour que les agriculteurs restent à flot. On a ensuite fait un gros travail de communication pour expliquer aux politiques la stratégie que nous avions prise et la manière dont on avait besoin d’être aidé », détaille-t-il.
Le département a ainsi octroyé une aide de 380 000 € à l’abattoir ce qui a permis de rembourser les taules et le matériel achetés. « Il reste 160 000 qui n’ont pas été pris en charge, on fera le bilan global à la fin de l’année, si l’abattoir peut supporter cette dépense sans la faire peser sur les éleveurs, on le fera », assure Elhad-Dine Harouna. Aujourd’hui, aucun éleveur n’a abandonné son exploitation. « Notre richesse c’est ça, tout le monde a travaillé pour sauver la filière, les éleveurs venaient aussi nous donner un coup de main le week-end quand ils pouvaient, ils s’entraidaient mutuellement. C’est le plus important ! »
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« La reprise est aujourd’hui réelle mais varie selon les filières », observe Sophie Dupille, secrétaire générale de l’Association interprofessionnelle de Mayotte (AIM) qui accompagne les structures agricoles. L’association observe une reprise de 50 % de la production au sein de sa coopérative de fruits et de légumes. « Les serres n’ont pas encore été reconstruites mais la culture en plein champ est quant à elle bien repartie », ajoute Sophie Dupille.
« On observe une reprise d’activité et de reconstruction extrêmement volontariste à Mayotte. Il reste beaucoup de travail à réaliser et les cicatrices du cyclone sont toujours visibles mais l’agriculture apparaît pour beaucoup comme un secteur le plus engagé en termes de reconstruction », remarque Jacques Andrieu, directeur de l’Office de développement de l'économie agricole d’outre-mer qui note la résilience des agriculteurs mahorais. « Nous nous sommes rendus sur place en avril, nous avons rencontré de nombreux exploitants et nous sommes impressionnés par leur positivisme. Nous n’avons pas entendu de discours défaitiste. On nous disait ‘nous allons remonter la pente, on n’a pas le choix, on retrouvera le niveau de production que nous avions avant Chido’ », raconte le directeur de l’Odeadom.

30 % des agriculteurs contraints de trouver un second emploi
La Chambre d’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture de Mayotte confirme cette reprise. « Les productions de bananes et de manioc figurent parmi les plus touchées. À moyen terme, la reprise complète des cultures arboricoles prendra jusqu’à 7 ans, nécessitant un accompagnement technique renforcé des agriculteurs », indique la CAPAM. Mais Kadafi Saïd, son directeur général, précise toutefois que « la culture de la banane est repartie. On commence à voir les premiers régimes. » Certaines cultures mettront davantage de temps à se relever. C’est le cas de la vanille, une filière qui commençait à peine à se développer à Mayotte. « Le secteur est à 90 % de perte », chiffre Kadafi Saïd. L’association Saveur et senteur, qui commercialise la vanille de 48 producteurs mahorais, n’a pu récolter que 150 kg cette année contre 1,5 tonne en 2024 selon les chiffres de l’AIM.
La reprise est-elle suffisante pour faire vivre les agriculteurs ? Pas sûr. Pour faire face, de nombreux exploitants ont été contraints de prendre un second boulot pour s’assurer un revenu le temps de relancer leur activité. « On estime que 30 % des agriculteurs ont pris un autre emploi mais ils gardent en ligne de mire la relance de leur exploitation, cela leur permet de gagner de l’argent pour investir mais aussi pour tenir au quotidien », remarque le directeur de la CAPAM. « On ne sait pas encore si des agriculteurs se sont arrêtés. C’est la grande question. C’était ce qu’on redoutait c’est pour cela qu’on a fait tout notre possible pour qu’ils puissent bénéficier d’aides. »

Une agriculture post-chido ?
« La relance de la production agricole a en effet été considérée comme un enjeu essentiel pour éviter, à court terme, une crise alimentaire sur le territoire et, à plus long terme, l’accroissement de sa dépendance aux importations de produits végétaux et animaux », assure Bastien Chalagiraud, directeur de la DAAF. Pour cela, les agriculteurs ont pu bénéficier d’aides financières de la part de l’Etat : « plus de 20 millions d’euros d’ici décembre dont plus de 13 millions au 31 août », détaille la DAAF.
Mais certains exploitants attendent toujours le versement de leur aides et ont dû se débrouiller sans apport financier. D'autres paysans, qui n'ont pas de numéro de SIRET, ne cotise pas à la MSA (sécurité sociale des agriculteurs) ou pratique une agriculture informelle ne peuvent pas en bénéficier.
La CAPAM précise aussi que deux aides sont toujours en attente : le Fonds de solidarité de l'Union européenne intervenant en cas de catastrophe naturelle majeure (FSUE) ainsi que le Fonds permettant d'indemniser les dégâts matériels causés aux biens non assurés des agriculteurs (FSOM).
Près d’un an après la catastrophe, les acteurs des filières plaident pour une refonte profonde de l’agriculture mahoraise. « Dans le cadre de la reconstruction, une réflexion est-elle lancée sur une agriculture post-cyclone ? », interroge Jacques Andrieu. « Il faudrait réfléchir à une agriculture davantage tournée vers les marchés locaux pour répondre aux besoins de la population et ainsi tendre vers plus de souveraineté alimentaire. » La CAPAM rappelle que l’agriculture est un secteur clé dans l’économie locale puisqu’elle représente 3,6 % du PIB (contre 1,8 % dans l’Hexagone). « Elle participe notamment à la souveraineté alimentaire et à la préservation des paysages et des écosystèmes. »
L’association interprofessionnelle de Mayotte veut quant à elle promouvoir les denrées produites sur l’île. Après avoir créé un label à destination de la restauration collective, l’AIM est sur le point de proposer un second label pour promouvoir les produits locaux. « Nous allons créer une marque territoriale collective qui regroupera tous les producteurs du territoire. Cela permettra de valoriser le travail des agriculteurs sur le terrain et le consommateur pourra identifier clairement ce qui vient de Mayotte ou non », décrit Sophie Dupille. Elle se dit « optimiste » quant à l’avenir des filières agricoles mahoraises car elle craignait elle aussi que ce cyclone destructeur entraîne le départ de nombreux exploitants mais aucune structure agricole membre de l’AIM n’a fermé définitivement. « Tout le monde s’est retroussé les manches au lendemain de Chido, les salariés des structures sont restés et nous n’avons pas eu de départ d’agriculteur », rassure-t-elle. « Aujourd’hui on est confiant, on continue d’aller de l’avant et on poursuit notre projet de souveraineté alimentaire. »