Comme chaque année, à la veille du lancement du Congrès des maires, la séquence « rencontre des élus d’outre-mer » mobilise les politiques. Ce lundi 17 novembre au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux, les ultramarins ont livré un message d’urgence : montée des eaux, effondrement des sols, cyclones dévastateurs, crise de la biodiversité… Ils demandent des outils juridiques adaptés et des fonds en adéquation avec la situation.
« Les Outre-mer vivent, de façon précurseur mais aussi exacerbée, toutes les crises de notre époque : crises climatiques, géopolitiques, sécuritaires. » C’est David Lisnard, président de l’Association des maires de France, qui a donné ce lundi matin le ton de la journée au Palais des Congrès d’Issy-les-Moulineaux. « Nous assistons à la fin d’un cycle long qui a été le cycle de l’européanisation du monde, et les Outre-mer placent la France au cœur des rivalités des grandes puissances.»
La ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou, elle, s’adressera directement aux maires présents dans la salle. « Si certaines difficultés persistent encore, c’est parce que les Outre-mer restent mal compris. Non pas par mauvaise volonté, mais parce que vos contraintes ne sont pas intégrées là où se décident les politiques publiques. Nous ne réussirons que si nous travaillons en vous tenant à vos côtés. Je veux élargir le cercle. Les Outre-mer doivent être au cœur des arbitrages nationaux : économiques, budgétaires, climatiques et sécuritaires. »
Dans la foulée, la première séquence consacrée aux « Impacts du changement climatique et à la transition écologique » aura permis de prendre conscience de la réalité de certaines communes ultramarines : inondations récurrentes, ravines meurtrières, territoires submergés, espèces au bord de l’extinction... Pour ces élus venus de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de Nouvelle-Calédonie ou des Antilles, le changement climatique n’est pas un concept abstrait mais bel et bien un enchaînement de catastrophes qui oblige certains habitants à envisager de quitter définitivement leurs terres ancestrales.
Une urgence devenue le quotidien
Très vite, les élus dressent des constats dramatiques de leurs territoires respectifs. Venu de Guyane, Michel-Ange Jeremie, maire de Sinnamary et président de l’association des maires, expose une situation préoccupante. « Une partie d’Awala-Yalimapo est devenue inhabitable », explique-t-il en parlant du village côtier amérindien situé à l'extrême nord-ouest de la Guyane. « Les études disent que la zone sera totalement impropre à l’habitat. » Certains habitants doivent envisager de quitter définitivement leurs terres. Un drame territorial qui n’est malheureusement pas un cas isolé. Dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie française, les élus alertent, eux aussi, sur la submersion en cours, avec des atolls dont le niveau de la mer menace directement l’habitabilité. En Nouvelle-Calédonie, Wilfried Weiss, maire de Koumac, dans la province Nord, raconte des littoraux rongés, des routes qui s’affaissent, des sols instables dont les fractures trahissent chaque saison une perte invisible. « Certaines espèces endémiques ne subsistent plus qu’à trois individus. Trois. Nous sommes à la frontière de l’irréversible. » À La Réunion, Ericka Bareigts, maire de Saint-Denis, évoque les ravines transformées en torrents meurtriers. « Dès que les pluies tombent, toute l’eau se concentre dans les ravines qui traversent Saint-Denis. Les digues ont cédé. En une demi-heure à peine, un quartier entier a été submergé. Et c’était en plein jour. La nuit, on aurait eu des dizaines de morts. Nous n’avons rien pu anticiper, parce que les ravines ne sont plus entretenues depuis des années et qu’aucun budget n’est prévu pour cela. » La densité urbaine multiplie l’impact. « Quand il y a une catastrophe, on se tourne vers nous. Pourtant, beaucoup de ravines appartiennent encore à l’État : nous n’avons ni la compétence ni les moyens d’intervenir », indique encore l’ancienne ministre. À Mayotte, la crise climatique frappe un territoire déjà sous tension. « Le cyclone Chido a détruit les réseaux, les routes, les écoles. Nous sommes toujours dans l’attente de la reconstruction et des moyens promis », indique Madi Madi Souf, maire de Pamandzi et président de l’association des maires.
Partout, la même évidence s’impose : les Outre-mer affrontent de front la crise climatique, dans sa violence la plus brute. Les catastrophes ne sont plus l’exception, elles sont la norme.
De nouvelles méthodes pour un nouveau temps climatique
Après avoir exposé les catastrophes qui touchent leur quotidien, les élus ultramarins ont fait converger leurs témoignages vers une même idée : ils ne peuvent plus faire face seuls. Que ce soit en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte, à La Réunion ou encore en Polynésie française, le sentiment est identique : les communes sont en première ligne mais manquent d’outils, de cadre et de moyens. Le président de l’association des maires de Guyane l’a répété à plusieurs reprises : « Nous avons un vide juridique total pour relocaliser une ville entière. On ne sait pas qui décide, qui pilote, qui finance. Aujourd’hui, l’État se dit incompétent et renvoie les maires vers l’Association nationale des élus du littoral. »
Repenser les méthodes n’est ici pas une vaine pensée mais une nécessité. Les outils actuels ne sont pas toujours adaptés aux réalités ultramarines. « Dans beaucoup de territoires, les stratégies existent, mais elles manquent de cohérence, de données consolidées, et parfois de traduction opérationnelle », a reconnu Frédéric Mortier, de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD). Pour lui, la priorité est double : stabiliser les connaissances mais aussi accélérer la mise en œuvre locale. « Les études sont faites », a indiqué Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin et président de l’association des maires de Guadeloupe. « Pour éviter que Pointe-à-Pitre soit sous l’eau, il faut 2,6 milliards d’euros. Cela représente 37 millions d’euros par an pendant 70 ans. Si on ne commence pas maintenant, ce sera trop tard. » Le message est clair : la France doit programmer l’investissement climatique sur plusieurs décennies, comme l’ont déjà demandé plusieurs élus ultramarins lors d’autres rencontres. « Nous avons un programme opérationnel européen. Pourquoi ne pas en imaginer un spécifiquement dédié à l’adaptation au changement climatique dans les Outre-mer ? Il nous faut un cadre de financement pluriannuel, sur 10, 20 ou 30 ans », informait Ericka Bareigts un peu plus tôt.
En attendant, dans chaque territoire, des solutions se mettent en place. En Nouvelle-Calédonie, une pépinière polyvalente, imaginée avec les coutumiers, les habitants et les opérateurs miniers pour lutter contre l’érosion a vu le jour. À Mayotte, la Protection civile souligne le besoin de pérenniser ce qui a été mis en place dans l’urgence : « Les catastrophes seront de plus en plus fréquentes. Il faut des centres de santé durables, de la formation, des documents de gestion de crise actualisés, une culture du risque partagée. »
Sur ces territoires où les catastrophes frappent simultanément les infrastructures, les habitations et les habitants, les communes sont le premier maillon opérationnel. Mais beaucoup d’élus l’ont encore une fois souligné : ils manquent de personnel, de capacité d’ingénierie, de données et parfois d’accompagnement administratif. Raison pour laquelle ils ont demandé une nouvelle fois une méthodologie et une volonté politique claires face aux réalités climatiques, sociales, géographiques et identitaires de leurs territoires.























