Dans un entretien exclusif accordé à la presse quotidienne régionale, auquel Outremers360 a été convié, le chef de l’État a déroulé les enjeux et objectifs de la conférence des Nations unies sur l’océan, qui s’ouvre dimanche à Nice. Entre le traité sur la haute mer, les aires marines protégées -Emmanuel Macron salue au passage la Polynésie française tout en annonçant des moyens pour la Collectivité d'Outre-mer-, ou encore, protection des fonds marins : les sujets seront nombreux et le Président compte sur la mobilisation dans un contexte de « remise en cause des enjeux climatiques ».
« L’enjeu est important. Nos océans sont aujourd'hui directement touchés par le dérèglement climatique » martèle Emmanuel Macron, qui cite le « réchauffement de leur température », « une acidification du milieu », « des mécanismes aussi de pêche illégale et de surpêche qui sont de plus en plus criants » avec « un poisson sur 5 qui est issu de la pêche illégale », la pollution plastique « qui continue de s'accroître », la « destruction des habitats et des récifs coralliens ».
Le chef de l’État déplore aussi, « politiquement », la « remise en cause des enjeux climatiques par certains », alors que « nos océans sont au cœur de la lutte pour réduire les émissions de CO2 et pour protéger la biodiversité. (…) Ils sont à eux seuls la source de 50 % de l'oxygène que nous respirons. C'est le premier puits de stockage carbone. 25 % du CO2 émis par les énergies fossiles est absorbé par nos océans. Et ils stockent 90 % de l'excès de chaleur généré par les gaz à effet de serre ».
D’ailleurs, si des entreprises américaines seront présentes, ainsi que des maires et des gouverneurs, Emmanuel Macron n’a, « à ce stade, aucune garantie d’une présence fédérale », alors que l’administration Trump s’est, dès les premières heures de son retour à la Maison Blanche, désengagé de l’accord de Paris sur le Climat. « Je pense que c'est une erreur historique qui consiste à céder aux facilités du temps et au fond à tout détricoter », regrette le président de la République.
Malgré cette baisse de « mobilisation » planétaire sur le climat -il faut dire éclipsé par les guerres en Ukraine et Gaza ou les soubresauts de la politique américaine-, Emmanuel Macron a réussi à rassembler « une cinquantaine de chefs d'État et de gouvernements » à Nice, tandis qu’une centaine de pays seront représentés, « ce qui fait qu'on a un évènement qui est vraiment une mobilisation et qui, à cet égard, répond à l'objectif dans ce contexte difficile et qui permettra ensuite de décliner un plan d'action », assure le chef de l’État.
Pour sauver cet « espace naturel qui fait vivre plus de 3 milliards de personnes », de ses 300 000 espèces recensées jusqu’ici aux fonds marins, Emmanuel Macron veut s’appuyer sur « une approche scientifique indépendante », sur « les puissances des Lumières, les pays justement qui croient dans la recherche libre et indépendante et qui construisent leur action sur cette base ».
60 ratifications du BBNJ : Emmanuel Macron « confiant »
Premier grand défi de ce rendez-vous : la réussite diplomatique du traité « BBNJ » sur la haute mer, qui a besoin de 60 ratifications pour entrer en vigueur. « Plus des deux tiers de nos océans sont hors de nos zones économiques exclusives » rappelle le chef de l’État. « Ils sont en haute mer qui n'a pas de règle aujourd'hui », notamment contre la pêche illégale et la surpêche. « Nice sera l'occasion justement d'avoir les 60 ratifications, engagements de ratification qui nous permettront de le faire entrer en vigueur en fin d'année », assure Emmanuel Macron.
Pour autant, il y a encore quelques semaines, ni l’Élysée ni l’ambassadeur français des pôles, Olivier Poivre d’Arvor, n’avaient la certitude d’atteindre les 60 engagements de ratifications durant l’UNOC. « On y croit jusqu'au bout » avait pour sa part assuré le ministre chargé de la Francophonie Thani Mohamed-Soilihi, qui annonçait « un guichet » sur place « pour qu'on puisse jusqu'au dernier moment déposer les éléments de ratification ».
Emmanuel Macron, lui, assure avoir l’engagement de la Chine. « Ils seront là au niveau du vice Premier ministre et ils seront à nos côtés, ils sont engagés. J’en ai parlé il y a 8 jours avec le Président Xi Jinping qu’ils sont prêts à avancer et ils ratifient ». « L’objectif » pour Emmanuel Macron, « c’est d’avoir » ces engagements de ratifications, avec « un engagement formel de ratifier avant la fin de l’année ». « Je considère que les dernières heures sont à la mobilisation » insiste le chef de l’État qui donne rendez-vous lundi soir. « Je suis confiant ».
« Des moyens » pour l’aire marine protégée de Polynésie française, la plus vaste au monde
« Le deuxième objectif, c'est de continuer la mobilisation pour la protection de nos aires marines », a-t-il poursuivi, rappelant l’objectif d’atteindre 30% d’aires marines protégées (AMP), contre 8% actuellement. Emmanuel Macron a d’ailleurs salué l’annonce du gouvernement de la Polynésie française, qui a transformé son aire marine gérée en aire marine protégée vendredi soir, dont 20% en « protection stricte ». Soit, avec ses 5 millions de km2, près de la moitié de l’ensemble des ZEE françaises, la plus vaste AMP au monde. « On va donner des moyens à la Polynésie française (…) pour pouvoir protéger tout cela, l’accompagner » a par ailleurs assuré le chef de l’État.
D’autres États devraient aussi annoncer des aires protégées. « Mais on va aussi faire tout un travail pour accroître les protections, y compris les fortes protections, parce que c'est très attendu » a précisé Emmanuel Macron qui, là encore, s’appuie sur « un travail fait avec les scientifiques et les pêcheurs pour, dans certaines zones clairement identifiées, pouvoir avoir une protection forte, et donc ne plus avoir d'activité de chalutage de fonds en particulier qui est si sensible ».
Pêche durable, décarbonation du transport maritime, recherche scientifique, lutte contre la pollution plastique
Le troisième objectif de l’UNOC est de conclure « des engagements sur la pêche durable et donc le contrôle des activités de pêche, la lutte contre la pêche illégale et non répertoriée ». « Et puis, on poursuivra plusieurs actions sur la décarbonation du transport maritime que nous avions initiée au G7 de Biarritz, sur la lutte contre la pollution plastique, avec aussi un plan européen que nous annoncerons avec Ursula Von Der Leyen qui va permettre de financer toutes ces actions et également de renforcer les actions de recherche » a renchéri le Président. Des annonces sont aussi attendues sur le volet scientifique et notamment le lancement de la mission Neptune « qui va permettre de mobiliser les chercheurs du monde entier ».
Exploiter les grands fonds marins : « totalement irresponsable »
Emmanuel Macron souhaite aussi renforcer la protection des grands fonds marins et « accroître la coalition de pays », une trentaine actuellement, « qui s'engageront pour un moratoire sur l'exploitation des grands fonds marins ». Un sujet d’autant plus important que les appétits, sur ces milieux encore inconnus, grandissent, preuve en est avec l’annonce de l’entreprise canadienne TMC qui se dit certaine d’être la première à pouvoir exploiter les fonds marins tapissés de nodules polymétalliques d’ici 2026.
« On doit explorer, comprendre, permettre à nos scientifiques de travailler. Mais on ne peut pas se lancer dans une exploitation des grands fonds marins parce que c'est dangereux pour la biodiversité, parce que c'est criminel pour le carbone qui se libèrerait de telles activités et que c'est un élément de fragilisation de notre action en matière de climat » insiste le chef de l’État, alors que la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie localement, mais aussi la France à l’échelle nationale, ont adopté des moratoires sur l’exploitation des grands fonds marins.
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« On fera tout pour continuer à mobiliser des pays pour que ces opérations ne se lancent pas » a assuré Emmanuel Macron, en évoquant l’entreprise canadienne TMC. « Personne ne connaît les techniques utilisées, c’est le flou complet. (…) On ne connaît pas ce qu’il y a mais on va aller exploiter. On va aller troubler peut-être casser, libérer des puits de carbone irrécupérables parce qu’on sait qu’il y en a dans les grands fonds marins c’est-à-dire faire reculer trois cases pour de l’exploitation dont on ne sait pas ce qu’il y a avec des gens dont on ne connaît pas les techniques. C’est totalement irresponsable ».
Emmanuel Macron, assure, à ce sujet, préférer « financer la recherche », citant le « Mercator Ocean International », organisation intergouvernementale « pour construire le jumeau numérique de l’océan », « qu’on va consolider (…) pour mieux comprendre nos océans ». « On veut connaître, on veut comprendre pour répertorier et préserver. On fera tout pour lutter contre cette prédation et j’espère convaincre le maximum de pays d’aller dans ce sens » a insisté le Président.