Une délégation guyanaise se rend à Paris la semaine prochaine pour rencontrer le Ministère de la Culture. L’objectif est clair : l’association Moliko Alet+po, présidée par Corinne Toka Devilliers, déposera un dossier afin d’obtenir le rapatriement des restes humains de Kali'na, actuellement conservés au Musée de l’Homme. Ces ossements, exposés à Paris à la fin du XIXe siècle, appartiennent à la communauté autochtone guyanaise. Focus grâce à l’interview de Corinne Toka Devilliers, par nos partenaires de Radio Péyi.
L’année dernière, une loi a été adoptée pour permettre la restitution des restes humains appartenant à des collections publiques. Cependant, cette législation ne concerne que les demandes provenant de pays étrangers, laissant de côté les territoires d’outre-mer. Ce point est central dans la bataille de l’association, qui tente de faire valoir les droits des peuples autochtones de Guyane.
Corinne Toka Devilliers explique : « Le gouvernement se cache derrière des lois, puisque c’est vraiment l’appropriation de l’État. Il y a ce qu’on appelle l’inaliénabilité des biens, donc il faut une loi. Mais il y a aussi ce passé colonial qui est très douloureux pour les peuples qui l’ont subi. Réveiller ce passé colonial qui n’est pas très glorieux, c’est remettre en question toute l’histoire de la France. » Elle poursuit en soulignant que cette demande de restitution ne porte pas sur des objets, mais sur des restes humains, et qu’il est crucial de distinguer les deux : « Comment peut-on avoir cette mainmise sur des êtres humains qui sont devenus des objets à leurs yeux ? »
Des résistances politiques et culturelles
Malgré des avancées sur d’autres dossiers de restitution dans le monde, la question des outre-mer reste délicate. Selon Corinne Toka Devilliers, la précédente ministre de la Culture Rima Abdul Malak, avait montré un certain intérêt pour la cause, bien qu’aucune demande similaire n’ait jamais été faite auparavant par une région française. « Cela a causé un peu de panique autour de la table, car c’est un enjeu politique aujourd’hui. Reconnaitre ce passé, c’est aussi potentiellement ouvrir la voie à d’autres demandes similaires. Beaucoup de départements d’outre-mer attendent qu’un premier exemple soit donné pour mettre en lumière leur propre histoire. » Elle déplore cependant l’attitude de la ministre démissionnaire Rachida Dati, qui semble plus réticente à avancer sur ce dossier : « Nous espérons vraiment qu’à l’avenir, dans un an ou deux, une nouvelle proposition sera faite pour que le travail puisse commencer et que ces restes soient reçus dignement, comme il se doit. »
Un combat mémoriel
Au-delà du juridique et du politique, cette démarche revêt une importance symbolique pour les peuples autochtones de Guyane. Corinne Toka Devilliers insiste sur le fait que ce combat dépasse les frontières de l’Hexagone : « Nous devons faire bloc autour de cette demande. Aujourd’hui, d’autres pays sont très favorables à nous aider, en partageant leurs expériences. Il y a vraiment une mouvance autour de l’histoire, de la mémoire et de la réparation du passé colonial. »
Afin de renforcer cette dynamique, l’association a également sollicité une rencontre avec les députés des outre-mer. « Actuellement, nous avons le soutien de Mériana Reid Arbelot, députée de Polynésie, qui a accepté de nous recevoir. Il est désormais impératif d’entrer dans la partie politique, car la restitution sera une décision gouvernementale. Nous devons faire porter notre demande au plus haut, en France et à l’international. »
Un lieu de mémoire en Guyane
En parallèle de cette démarche, l’association Moliko Alet+po souhaite à terme construire un caveau derrière le mémorial d’Iracoubo, inauguré récemment, afin de transformer ce site en un lieu de pèlerinage. Ce projet témoigne de l’importance de ce combat pour les Guyanais, qui cherchent à honorer dignement leurs ancêtres et à réintégrer ces fragments de leur histoire dans le tissu culturel local. La restitution des restes humains des Kali'na est un enjeu à la fois mémoriel et politique, qui continue de poser de nombreuses questions sur la relation de la France avec son passé colonial.