Serge Letchimy, président de la collectivité de Martinique, insiste pour que le créole devienne langue officielle

Serge Letchimy, président de la collectivité de Martinique, insiste pour que le créole devienne langue officielle

Le président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique a refusé d'obéir à une requête du préfet, lui demandant de retirer la délibération de l'assemblée locale du 25 mai, qui consacre le créole comme langue officielle de l'île « au même titre que le français ».

Serge Letchimy, le chef de l'exécutif local, s'oppose à une requête du préfet de l'île dans le cadre du contrôle de la légalité, car « ce refus est un acte de marronnage, une déclaration de dissidence dans le débat contemporain mais historique que nous ouvrons entre droits naturels imprescriptibles et droits à l'égalité », a-t-il annoncé dans une lettre au préfet datée du 19 août. « Doit-on s'ignorer, s'effacer, jouir de l'artificialité de l'égalité, et se taire dans une république qui ne réussit pas à conjuguer diversité et unité ? » s’est-il interrogé.

Le 25 mai dernier, trois jours après les célébrations du 175e anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Martinique, les élus de l'Assemblée de Martinique ont adopté un texte dont l'article 1er fait du créole la langue officielle de la Martinique au même titre que le français. Déjà, des élus martiniquais pointaient du doigt l’inconstitutionnalité de la délibération, soulevant un précédent corse : en mars dernier, le tribunal administratif de Bastia a censuré un texte stipulant que « la langue et les débats de l’Assemblée de Corse sont le corse et le français ».

Garant du contrôle de la légalité des délibérations des collectivités locales, Jean-Christophe Bouvier, préfet de Martinique, a donc demandé le 25 juillet au président de l'organe exécutif de la CTM de retirer cet article, lui rappelant que « le premier alinéa de l'article 2 de la Constitution du 4 août 1958 dispose que : « La langue de la République est le français » ». Pour le préfet, la délibération « est entachée d'illégalité » justifiant sa demande de « bien vouloir procéder à son retrait », rappelant que, d’après la Constitution, « les langues régionales appartiennent au Patrimoine de la France ».

Le président du conseil exécutif de la CTM a également anticipé la saisine du tribunal administratif par le préfet : « Je nous sais d'ores et déjà condamnés par les institutions judiciaires qui ne reconnaîtront pas la légitimité de ce combat. Pourtant, c'est avec dignité, que j'assumerai cette condamnation », indique-t-il dans son communiqué. Or, pour Serge Letchimy, « l’État gagnerait à la pleine reconnaissance des différences locales, acte qui ne remet pas en cause l'appartenance de la Martinique à la République ».

« Opposer le français au créole est une laborieuse posture fabriquée entre liberté et égalité. C'est une position désuète qui enferme au lieu de fraterniser dans l'unité de la République » a-t-il aussi estimé. « La langue créole, cet impensé pour certains, nous dessine, nous définit, nous attache à un lieu et à un moment, petitement ou largement circonscrit. Notre langue, ce lien puissant qui nous unit, porte en elle le champ des possibles d'une manière nouvelle, pour la République, de concevoir ses liens avec la Martinique ».

Depuis son retour au pouvoir en juin 2021, l’ancien député PS Serge Letchimy a manifesté à plusieurs reprises son intention de changer les relations entre la France et les Outre-mer et singulièrement la Martinique. Il est, rappelle-t-on, parmi les instigateurs de l'Appel de Fort-de-France de mai 2022 qui a conduit à l'ouverture de congrès des élus en Martinique, Guadeloupe et Guyane. Des rencontres durant lesquelles ont été évoqués de possibles changements institutionnels pour ces territoires. En février 2023, la collectivité de Martinique a aussi adopté le drapeau rouge-vert-noir, symbole des mouvements indépendantistes, comme emblème régional.

L’exemple du Tahitien

En Polynésie française, « la langue tahitienne est un élément fondamental de l'identité culturelle : ciment de cohésion sociale, moyen de communication quotidien, elle est reconnue et doit être préservée, de même que les autres langues polynésiennes, aux côtés de la langue de la République, afin de garantir la diversité culturelle qui fait la richesse de la Polynésie française » peut-on lire dans le statut d’autonomie de la Collectivité d’Outre-mer, dont les langues, tahitien en tête, apparaissent comme étant les mieux maintenues dans l’usage quotidien.

Si « le Français est la langue officielle » et que « son usage s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics » ; « le tahitien, le marquisien, le paumotu et le mangarevien » sont aussi considérées comme « les langues » de la Collectivité. « Les personnes physiques et morales de droit privé en usent librement dans leurs actes et conventions ; ceux-ci n'encourent aucune nullité au motif qu'ils ne sont pas rédigés dans la langue officielle » indique l’article 57 du statut d’autonomie de la Polynésie.

En outre, la « langue tahitienne est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et primaires, dans les établissements du second degré et dans les établissements d'enseignement supérieur », son enseignement peut être remplacé par l’enseignement d’une autre langue polynésienne. Enfin, « l'étude et la pédagogie de la langue et de la culture tahitiennes sont enseignées dans les établissements de formation des personnels enseignants ».

Avec AFP