Regards sur les Outre-mer avec Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation BNP Paribas

Regards sur les Outre-mer avec Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation BNP Paribas

Journalistes, écrivains, personnalités du monde audiovisuel, influenceurs, figures de la société civile, sportifs, médecins, bénévoles... Ils viennent de tous horizons et partagent un lien profond avec les Outre-mer. À travers la série Regards des Outre-mer, Outremers 360 vous invite à explorer les parcours inspirants de ces personnalités, qui, par leur engagement et leur talent, incarnent la richesse et la diversité de nos territoires et contribuent à la compréhension de ce qu'est véritablement l'archipel France. 

Cette semaine, Outremers 360 a rencontré Isabelle Giordano, une femme à la carrière remarquable qui incarne l’engagement pour la culture, la diversité et la mixité sociale. D'origine italienne et guadeloupéenne, elle évoque avec humour le « choc des spaghettis et des accras de morue », témoignant ainsi de sa richesse culturelle. En tant que journaliste et ancienne directrice d’UniFrance, Isabelle Giordano a toujours été une ardente défenseure de la diversité dans les médias et le monde culturel, un combat qui trouve tout son sens face aux problématiques d’Outre-mer, souvent négligées dans ces domaines.

Actuellement déléguée générale de la Fondation BNP Paribas et présidente du comité Pass Culture, elle dirige également l’association Cinéma Pour Tous, intégrée au collectif L’Ascenseur. Son parcours témoigne de son profond désir de partage et de transmission. Au cours de notre échange, Isabelle Giordano a partagé sa vision inspirante et ses convictions sur le rôle essentiel de la culture et de l'éducation dans la transformation de notre société.

Isabelle Giordano ©Fondation BNP Paribas

La voix de la diversité

Lorsqu’on interroge Isabelle Giordano sur son parcours, elle ne manque pas d’humour et se qualifie d’« institutrice ratée ». Pourtant, son chemin est véritablement marqué par une volonté profonde de transmission : « Le fil rouge de tous ces différents métiers que j’ai pu exercer, c'est certainement l'envie de transmettre », confie-t-elle. Convaincue que l’éducation est le meilleur levier pour transformer la société, elle a également œuvré pour promouvoir le cinéma français à l’étranger. Aujourd'hui, elle occupe le rôle de mécène à la Fondation BNP Paribas, un poste qu'elle considère comme essentiel dans la lutte contre les inégalités sociales. Pour elle, « essayer d'avoir un effet de transformation pour améliorer le quotidien des individus » est une priorité indiscutable.

Isabelle Giordano insiste sur l’importance de la diversité, la percevant comme un moteur essentiel du progrès social. « Il y a plus de créativité dans le milieu artistique, plus de cohésion sociale dans les quartiers, et plus de performance dans les entreprises quand il y a de la diversité et de la mixité sociale », explique-t-elle, mettant en avant les effets bénéfiques de ces facteurs sur notre société. Dans cette optique, elle a fondé l’association Cinéma Pour Tous, qui vise à faire découvrir le septième art à ceux qui y ont peu accès, notamment dans les quartiers défavorisés. Elle partage avec enthousiasme les résultats de son initiative : « Je vois à chaque fois les bénéfices de ce brassage, de ce mélange et surtout de l'accès à la culture et au savoir chez les jeunes. Ça leur ouvre des fenêtres, des horizons, ça ouvre l'esprit d'une manière absolument incroyable. » Pour elle, le pouvoir de la culture est immense et constitue la pierre angulaire de ses engagements depuis plus de trente ans.

Son action ne se limite pas à la promotion de la culture. Isabelle Giordano a toujours cherché à donner une voix aux diversités, que ce soit à la radio ou à la télévision. Elle souligne l'importance d’une couverture médiatique complète de l'actualité des Outre-mer et déplore la représentation limitée accordée aux succès des Outre-mer, souvent évoqués uniquement en période de crise. « On en parle quand ça va mal, lors des grèves ou pour calculer le nombre de bénéficiaires du RSA. Mais quand il y a des réussites, que ce soient des entreprises ou des jeunes qui se démarquent, je m'étonne qu’on n’en parle pas davantage », conclut-elle, soulignant ainsi la nécessité de mettre en lumière les initiatives positives qui émergent de ces territoires.

Promouvoir les talents ultramarins

La Fondation BNP Paribas a pris un virage significatif en 2022 en soutenant le « Grand Projet Banlieue », élargissant ainsi son impact aux territoires des Outre-mer. Isabelle Giordano, déléguée générale de la Fondation, souligne l'importance de cette initiative, née en réponse à la crise des banlieues en 2006. Ce programme vise à soutenir les associations de proximité, qui apportent un soutien vital aux quartiers en difficulté. « Au cours des trois dernières années, une dizaine d'associations ultramarines ont reçu une aide financière précieuse, facilitant le vivre-ensemble, le soutien scolaire et l’apprentissage des savoirs », déclare-t-elle. Pour elle, la reconnaissance médiatique de ces efforts est une victoire : « Nous avons eu la chance d’avoir un article dans France Antilles. »

La Fondation ne se limite pas à ces initiatives, elle se consacre également à la promotion de jeunes talents, en particulier ceux issus des Outre-mer. Parmi les projets récents, le mécénat du projet Hip Hop Turgot à Paris mérite une attention particulière. Ce programme accompagne des danseurs, dont plusieurs viennent des Outre-mer : « C’est un mécénat récent qui soutient des danseurs du lycée Turgot à Paris, dont plusieurs sont originaires des Outre-mer. Nous en sommes très fiers. L'une de ces danseuses apparaît d'ailleurs dans le film Ni chaîne ni maître, un film d'actualité qui mérite une plus grande visibilité. J'invite les lecteurs à le découvrir, car il mérite d'être davantage mis en avant. »

Isabelle Giordano souligne également l'importance du cinéma dans la transmission de l’histoire, notamment celle de l’esclavage. En évoquant un débat avec Pierre-Yves Bocquet de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, elle reprend les propos de ce dernier qui rappelait que « nos jeunes, qu’ils soient originaires d’Afrique, d’Algérie, du Maroc, de Guadeloupe ou de Martinique, doivent connaître leur histoire ». Et d’ajouter : « Connaître notre passé est essentiel pour mieux vivre ensemble. » Selon elle, le rôle des journalistes est crucial dans cette mission pédagogique : « Pierre Tchernia disait que « les journalistes sont des instituteurs souriants », et je pense qu’il est fondamental de conserver cette dimension pédagogique. Nous ne sommes pas là pour donner un avis ou prendre parti, mais pour apporter du savoir et transmettre. » Et d’ajouter : « Il est crucial de montrer que la promotion des talents est possible. Quand on y croit et qu’on les soutient, tout devient possible. »

Toutefois l’évolution de la visibilité des talents ultramarins reste encore très lente. Ce manque de reconnaissance en France contraste fortement avec l’accueil réservé à ces artistes à l’international : « J'ai le souvenir d'avoir lu une interview de Kassav qui affirmait être plus connu à New York qu’à Paris. Leurs concerts à l’étranger étaient extrêmement célébrés, fêtés et reconnus, mais beaucoup moins en France. », souligne-t-elle. Avec son amie, la réalisatrice Euzhan Palcy, elle partage ce sentiment de stagnation par rapport à des pays comme l’Angleterre et les États-Unis en matière de reconnaissance de la diversité et de la richesse culturelle ultramarine.

Biculturalisme, une vision du monde à 360°

Isabelle Giordano exprime avec enthousiasme les bénéfices du biculturalisme, qu'elle considère comme une véritable richesse : « C'est extrêmement réjouissant d'avoir une double culture », confie-t-elle. Toutefois, elle souligne que cette compréhension prend parfois du temps, notamment dans le cadre de l'éducation des jeunes : « Les encadrants et les éducateurs doivent valoriser les différentes cultures. Avoir des classes multiculturelles est une chance qu'il faut encourager », explique-t-elle, tout en regrettant que la France ne prenne pas suffisamment en compte cette diversité.

L'interprétation d’Axelle Saint-Cirel lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques 2024, chantant la Marseillaise au Grand Palais, est un moment symbolique qui marque l'engagement de la culture ultramarine en France : « J'étais d'autant plus fière qu'elle est guadeloupéenne et fait partie d'Opera for Peace, une association que nous soutenons via notre mécénat culturel. » Cet événement souligne l'importance du soutien aux jeunes pour leur permettre de mieux comprendre leur identité. « Quand on ne sait pas d’où l’on vient, on a du mal à savoir où l’on veut aller. » précise-t-elle reconnaissant également les efforts d'historiens comme Pascal Blanchard et du groupe de recherche ACHAC, ainsi que ceux de la Fondation pour la Mémoire de l'Esclavage et de Constance Rivière au musée de l’Immigration, qui œuvrent pour faire connaître des histoires souvent méconnues, contribuant ainsi à enrichir le récit national.

Après son interprétation magistrale de la Marseillaise sur le toit du Grand Palais lors de la cérémonie d'ouverture des JO, la Guadeloupéenne Axelle Saint-Cirel, gagnante du concours Voix des Outre-mer, est revenue entonner sa Marseillaise à la Parade des Champions, cette fois-ci sous l'Arc de Triomphe (capture)

En tant que mécène, il s'agit de lutter contre les discriminations et l'indifférence, considérées comme tout aussi nuisibles. « Mon rôle de mécène est de soutenir des associations qui luttent contre toutes les formes de discrimination, mais aussi contre l'indifférence. Car l’indifférence fait beaucoup de mal. Elle fait autant de mal parfois que des mots, des insultes ou des propos racistes.  L'absence de représentation à la télévision, au cinéma, dans la publicité, dans les médias peut être contre-productive pour notre société et, plus particulièrement, pour la jeunesse. Notre rôle à la Fondation BNP Paribas - et c'est dans notre ADN depuis très longtemps - est de soutenir les associations qui luttent contre ce phénomène d’invisibilité. Notre objectif est de construire un meilleur vivre ensemble. »

L’importance d’un mécénat culturel engagé dépasse la simple promotion des arts pour soutenir des valeurs fondamentales : « Nous travaillons, par exemple, à promouvoir une plus grande présence féminine dans le jazz, un domaine encore très masculin, ainsi qu'à favoriser la diversité. C'est pourquoi nous soutenons Arnaud Dolmen, un musicien de jazz au talent exceptionnel.» Cette mission s'affirme clairement dans le travail de la Fondation BNP Paribas pour la promotion d'une culture riche et plurielle.

Arnaud Dolmen ©Alexandre Lacombe

« Un seul message : Prenez ma place ! »

Interrogée sur le message qu'elle souhaiterait adresser à la jeunesse, qui la considère comme un modèle, elle répond sans détour : « Je n’ai pas vraiment de conseils à donner, mais juste un message : Prenez ma place ! » Elle exprime son désir de passer le relais, de transmettre son expérience et son expertise, en mettant à disposition les contacts de son réseau. Selon elle, « aujourd'hui, avoir du pouvoir, c’est avoir un réseau ». C'est dans cette optique qu'elle s'engage dans le mentorat, notamment avec l'association Télémaque. « Je suis très fière d'avoir une filleule qui, après avoir été en terminale l'année dernière, suit maintenant des études de médecine. »

Sa connexion à ses racines est forte, illustrée par un souvenir marquant de son stage à Télé 7 jours Guadeloupe, dans les années 1987 ou 1988. « Je voulais effectuer ce stage en Guadeloupe parce que ça me permettait de mieux connaître mon pays, mes origines, et de voir ma famille. J'étais très contente de ce stage. Je ne sais pas si je suis devenue journaliste à cause de ça, mais en tout cas, ça m’a formée et j’en garde un excellent souvenir. » Elle souhaite faire valoir la richesse de cette culture, souvent méconnue. « On ne soupçonne pas à quel point il y a des artistes incroyables, une histoire fascinante et une connaissance approfondie de la nature et de l'architecture. » Cependant, elle déplore également les problèmes sociaux, les inégalités et la pauvreté qui mériteraient une couverture médiatique plus importante. Elle souligne l'importance de politiques publiques robustes, tout en insistant sur le rôle des entreprises dans l'engagement social. « Je pense qu’on porte cette responsabilité dans le secteur privé de notre capacité à transformer la société. »

Son appel à la jeunesse est sincère : « Prenez ma place et sachez que c'est possible. » Elle les encourage à croire que, quelle que soit leur origine, ils peuvent réaliser leurs rêves et contribuer à changer la société. « C'est important qu'ils croient en eux-mêmes et en leurs possibilités. »

Pour aller plus loin :

Fondation BNP Paribas : Donner le pouvoir à ceux qui agissent - Solidarité, Environnement, Culture - Fondation BNP Paribas

collectif L’Ascenseur : L'Ascenseur – Engagement et solidarité à tous les étages (lascenseur.org)

Opera for peace : Opera for Peace Leading Voices of the World

Association Télémaque : L'égalité des chances avec Télémaque (telemaque.org)

Groupe de recherche ACHAC : Accueil | Groupe de recherche Achac

Fondation pour la mémoire de l’esclavage : Page d'accueil | Fondation pour la memoire de l'esclavage (memoire-esclavage.org)

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