C’est en 2020 que le docteur Christine Barul, épidémiologiste spécialisée en santé au travail, a fait le choix de revenir en Guadeloupe. Après un parcours scientifique brillant dans l’Hexagone et au Canada, elle retourne sur son île natale, animée par le désir de contribuer au développement de la recherche dans les Antilles françaises. Depuis, elle s’est imposée comme une figure incontournable dans l’étude des expositions professionnelles et des cancers. Lauréate du prestigieux Prix L'Oréal-Unesco pour les Femmes en Science, distinguée par le concours « Talents de l’Outre-Mer », la jeune femme milite pour davantage de recherches, notamment sur des questions très spécifiques aux territoires insulaires.
Lorsqu’il y a 4 ans, Christine Barul a décidé de retourner en Guadeloupe, c’était un projet de vie mûrement réfléchi. L’épidémiologiste venait de passer plusieurs années en dehors de son territoire et souhaitait mettre en avant les réalités socio-professionnelles spécifiques, nécessitant notamment des recherches urgentes sur les risques professionnels et leurs effets à long terme sur la santé. « J'ai toujours su que je voulais contribuer au développement de la recherche ici, mais le chemin n’a pas été facile », confie-t-elle.
Dès son arrivée, elle se consacre à la mise en place d’études innovantes répondant aux besoins urgents de santé publique de la région. Actuellement, elle se consacre à des recherches qui examinent l'impact des expositions professionnelles sur la survenue et la progression du cancer. « C’est un programme de recherche qui vise à évaluer les différentes expositions dans l'environnement professionnel et leur influence sur la santé des travailleurs », explique-t-elle. L'un des projets phares de son travail est l'étude sur le lien entre les expositions professionnelles aux pesticides et l'incidence du cancer en Guadeloupe. Cette étude est essentielle pour comprendre les risques spécifiques auxquels sont confrontés les travailleurs agricoles de l'île, souvent exposés à de multiples agents toxiques.
Parallèlement, elle travaille également sur les facteurs influençant la progression du cancer de la prostate, une maladie qui touche particulièrement les hommes antillais. « Les taux d’incidence sont considérablement plus élevés dans les Antilles françaises que dans d’autres régions, et il est crucial de comprendre pourquoi la maladie progresse différemment ici ». Ce programme de recherche ambitieux s'étendra sur une quinzaine d'années et bénéficie de collaborations internationales, notamment avec des équipes de recherche à Montréal, à Rennes et à Londres.
Un parcours semé d’embûches
Si aujourd'hui Christine Barul a réussi à se réinstaller en Guadeloupe et à y poursuivre sa carrière scientifique, ce retour ne s’est pas fait sans mal. Après avoir effectué ses études et recherches dans l’Hexagone et au Canada, revenir dans son île natale relevait de la gageure. « J'ai dû trouver un financement qui me permettait de revenir et montrer que je pouvais apporter une plus-value en intégrant les spécificités ethniques, culturelles et professionnelles des Antilles dans mes travaux », explique-t-elle.
L'un des défis majeurs a été de contribuer à faire reconnaître l'importance de la santé au travail dans un contexte ultramarin. Grâce à son programme de recherche innovant, qui prend en compte les réalités locales, elle prévoit de souligner l'impact de ces spécificités sur les risques de maladies comme le cancer. Son retour a aussi été motivé par une volonté de contribuer au développement scientifique de la Guadeloupe, tout en étant proche de sa famille.
Depuis, elle a été distinguée à plusieurs reprises. En 2022, elle remporte le Prix L'Oréal-Unesco pour les Femmes en Science, qui lui permet non seulement d'obtenir une reconnaissance internationale, mais aussi de bénéficier d'un soutien financier crucial pour le développement de ses projets de recherche. En décembre 2023, c’est à l’occasion de l’événement à l’initiative du CASODOM, « Talents de l'Outre-Mer », qu’elle est distinguée. Une distinction qui renforce encore son engagement à contribuer au rayonnement de la science dans les territoires ultramarins.
La résilience face aux défis
Depuis toute petite, Christine Barul n’a jamais pris le chemin de la facilité. Issue d’une famille modeste, elle a dû se frayer un chemin par la seule force de sa détermination. « Pour mon père, une fille d’ouvrier n'avait pas à faire de grandes études, mais l'école était pour moi un lieu où je me sentais valorisée, où je pouvais développer ma curiosité », se rappelle-t-elle. Encouragée par certains professeurs à poursuivre des études, elle découvre peu à peu son intérêt pour la science et décide de poursuivre dans ce domaine, mais à certaines conditions. « Je ne me voyais pas dans un laboratoire avec des éprouvettes », confie-t-elle en riant.
Finalement, c'est en intégrant un Master de santé publique à Bordeaux qu'elle découvre sa passion pour l'épidémiologie et se lance dans une carrière scientifique. Tout au long de son parcours, les difficultés qui se sont présentées à elle ne l’ont jamais découragée. « J’étais loin des miens… Souvent, je me suis retrouvée être la seule femme, ou encore la seule femme noire, et cela implique quelque part de travailler 10 fois plus pour être reconnue… Parfois, notre travail n’est pas reconnu à la hauteur de nos efforts. Je me suis rendu compte, par exemple, à quel point aux États-Unis et au Canada, avoir de l’ambition et faire preuve d’innovation étaient valorisés, à la différence de la France », regrette-t-elle.
Aujourd'hui, même si le docteur Christine Barul envisage l'avenir de la recherche en Guadeloupe avec optimisme, elle reste consciente du chemin à parcourir. Pour elle, l'un des enjeux majeurs est de former et de soutenir la nouvelle génération de chercheurs. « Il est crucial que les jeunes chercheurs ultramarins osent postuler à ce genre de postes à haute responsabilité et croient en eux. Il faut être conscient de son excellence et ne pas en avoir peur », insiste-t-elle. Elle espère également que ses travaux contribueront à une meilleure reconnaissance des risques professionnels dans les territoires ultramarins et que cela mènera à des politiques publiques adaptées. « Les spécificités locales doivent être prises en compte dans les recherches sur la santé au travail. C'est un domaine crucial pour la prévention et l'amélioration des conditions de vie des travailleurs ».
Au-delà de tous ces combats, c’est bien vers la jeune génération que la Guadeloupéenne souhaite se tourner, en l’encourageant notamment à persévérer dans les sciences. « Il est important de montrer que tout est possible, même en venant d'un petit territoire comme la Guadeloupe. Si je peux être un modèle pour quelqu'un, alors j'aurai accompli quelque chose de grand ».
Abby Said Adinani