Orpaillage clandestin en Guyane : quel avenir pour l’opération Harpie ?

Opération de l’armée de l’air au-dessus de la forêt guyanaise ©Forces armées en Guyane

Orpaillage clandestin en Guyane : quel avenir pour l’opération Harpie ?

Voilà quatorze ans que dure l’opération militaire Harpie, censée décimer l’orpaillage clandestin en Guyane. Malgré cela, on estime qu’environ 12 000 mineurs illégaux, dans leur grande majorité brésiliens, parviennent encore à extraire et exfiltrer cinq à dix tonnes d’or hors du territoire par an, ce qui représente une perte de 250 à 500 millions d’euros. Alors quel intérêt à long terme de la force armée Harpie sur le terrain ? Deux chercheurs, un militaire et un géographe, viennent de se pencher sur la question.

Dans une note conjointe publiée par l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et l’Institut des Amériques, le colonel Emmanuel Durville, ancien chef d’état-major interarmées des Forces armées en Guyane de 2018 à 2020, et François-Michel Le Tourneau, géographe, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Amazonie brésilienne et de la Guyane, examinent sans ambages la question de l’orpaillage clandestin dans la collectivité. L’intitulé de leur étude est clair : « Avantages et limites de l’utilisation des forces armées dans la répression d’une activité illégale. L’opération Harpie et l’orpaillage clandestin en Guyane française ».

On ne reviendra pas sur le modus operandi de l’orpaillage clandestin, maintes fois détaillé. Comme d’autres, les auteurs y voient un système technique, économique, social et même culturel. Pour eux, il démontre aussi l’importance des enjeux portés par la lutte contre ce fléau qui sont « écologiques, économiques et sociaux bien sûr, mais aussi de souveraineté ».

Un mot simplement sur les impacts environnementaux des systèmes d’extraction et des systèmes logistiques. « Les systèmes alluviaux sont responsables de déforestation sur les chantiers et ils émettent d’immenses quantités de sédiments qui obscurcissent les eaux des rivières et en modifient totalement l’écologie. Les zones détruites mettent très longtemps à se régénérer car les sols y ont été totalement lessivés et privés d’éléments nutritifs. En ayant recours massivement au mercure, systèmes primaires et secondaires participent à la pollution des eaux et à l’empoisonnement des populations locales lorsque ce mercure pénètre la chaîne alimentaire », relève le rapport.

Depuis 2008, les Forces armées de Guyane sont engagées en soutien de la gendarmerie nationale dans la lutte contre l’orpaillage clandestin, dans le cadre de l’opération dénommée donc Harpie (du nom d’un aigle des forêts tropicales). « Harpie est une mission difficile, menée avec détermination dans un environnement exigeant : 9 soldats y ont perdu la vie entre 2008 et 2021, dont trois au cours d’actions de combat », détaillent les analystes. Ces derniers rappellent les « caractéristiques exceptionnelles » de la Guyane. Superficie proche de celle du Portugal, recouverte à 95% de forêt tropicale, infrastructure essentiellement concentrée le long du littoral, à peine 30.000 habitants vivant dans l’intérieur, climat très éprouvant, liaisons terrestres, aériennes, et télécommunications compliquées. Bref, l’opération Harpie est un véritable défi logistique.

Alors que faire, pour une mission qui coûte 70 millions d’euros par an à l’Etat alors que des centaines de sites poursuivent leurs activités illégales ? Le rapport propose des pistes classées en deux catégories : « les interventions directes en Guyane française et les interventions indirectes fondées sur des négociations avec les pays voisins ». Concernant le premier point, les auteurs envisagent entre autres un corps de « rangers » rattaché à une administration nationale ou locale, qui disposerait de pouvoirs relatifs aux activités minières illégales, à l’exemple de la police administrative générale ou des agents de l’Office national des forêts. Ce corps pourrait prendre le relais de l’opération Harpie ou les épauler. Il faudrait toutefois que cette force dispose de moyens aériens et fluviaux, ce qui représenterait encore un investissement conséquent.

Deuxième point, impliquer les États voisins dans le cadre d’une coopération régionale destinée à s’attaquer à l’orpaillage sur l’ensemble du plateau des Guyanes. Il s’agirait notamment de proposer des solutions qui semblent avantageuses aux pays concernés. « Un premier axe pourrait se centrer sur les questions de légalité et de trafic. Le mercure, par exemple, est une substance qui fait l’objet de contrôles au niveau international. Une meilleure coopération sur ce sujet pourrait la rendre moins facilement accessible et compliquer la vie des orpailleurs », souligne l’étude. Par ailleurs, la France pourrait argumenter que les transferts financiers opaques des orpailleurs entre Suriname et Brésil représentent une perte conséquente de ressources fiscales pour ces pays, et proposer des solutions pour un meilleur contrôle des transactions, suggèrent les auteurs.

PM