« Nos Mémoires » : Une mini-série documentaire sur les « résurgences contemporaine » de l’Histoire coloniale française

« Nos Mémoires » : Une mini-série documentaire sur les « résurgences contemporaine » de l’Histoire coloniale française

Sortie le mois dernier sur Spotify, « Nos Mémoires » est une mini-série documentaire qui raconte les résurgences contemporaines - politiques, environnementales ou sociales - de l’Histoire coloniale française. Elle fait appel à cinq autrices et auteurs de cinq territoires, anciennement ou toujours français. Interrogé par Outremers360, Thibaud Delavigne, producteur de cette mini-série, explique la démarche de « Nos Mémoires ». 

Cette production Spotify Original en association avec L’Officine, une agence de production de documentaires et fictions, s’intéresse à cinq territoires et surtout, cinq faits historiques qui surgissent encore aujourd’hui dans les relations entre ces territoires et l’Hexagone : les tirailleurs sénégalais, le chlordécone en Martinique, le déracinement des enfants du Vietnam, ex-Indochine, les essais nucléaires en Polynésie et l’indépendantisme guyanais.

Pour raconter ces histoires, L’Officine et son cofondateur Thibaud Delavigne ont fait appel à cinq autrices et auteurs de ces territoires, « concerné(e)s par le sujet », « parce qu'ils ont un lien personnel » ou une « proximité » avec celui-ci. On retrouve ainsi les récits du Sénégalais Karfa Diallo, fils de tirailleur et fondateur de l'association « Mémoires et partages » ; de l’auteure et journaliste à RCI Martinique Léa Mormin-Chauvac, qui a notamment a co-écrit une bande dessinée sur les sœurs Nardal ; de Louis Raymond, journaliste dont le père fut parmi les « milliers d’enfants originaires d’Indochine à avoir été rapatriés en France » ; de l’auteure tahitienne Titaua Peu (Mutismes, Pina), « voix importante de la littérature tahitienne » actuelle et dont l’« histoire militante et artistique très liée aux essais nucléaires » ; et enfin de Lauriane Nembrot, journaliste à TV5MONDE et France Télévisions qui « a baigné dans une ambiance familiale qui évoquait souvent la question de l'indépendance ».

« La colonisation française a laissé des marques profondes qui sont encore visibles aujourd’hui » peut-on entendre en introduction de chaque documentaire. Si les autrices et auteurs dénoncent ces résurgences contemporaines de l’Histoire coloniale française, en faisant appel à des témoins directs de cette histoire, la mini-série documentaire donne toutefois à entendre la résilience des peuples et leur volonté farouche à obtenir justice, vérité, reconnaissance et respect.

À écouter ici

Pour en parler, Outremers360 a contacté Thibaud Delavigne, auteur, journaliste et producteur de podcasts, co-fondateur avec Antoine Jaunin de L’Officine, qui travaille « sur des sujets de fond, des enquêtes, en prenant le temps » :

 Pour cette mini-série documentaire, vous avez décidé de parler de l'Histoire coloniale française, à travers plus précisément cinq territoires et faits coloniaux français. Pourquoi ce choix ? Que souhaitez-vous apporter à l'Histoire avec cette démarche ? 

Tout cela naît d'une méthode de travail, disons... obsessionnelle. Mon quotidien, quand je n'écris pas ou que je ne suis pas en tournage, c'est d'être plongé dans des bouquins, des blogs, des archives, des pages Wikipédia. Je passe mon temps à chercher des témoignages, des récits qui dévoilent des vies et des parcours incroyables qui s'inscrivent dans les zones d'ombre de l'Histoire, notamment française. C'est la matière première. 

En 2020, j'avais envie de travailler sur la colonisation française sur le continent africain. A force de recherches, je tombe sur un dossier confidentiel écrit au début du 20ème siècle et qui raconte le système colonial de l'intérieur. Ce rapport était réputé disparu mais a refait surface grâce à une historienne. C'est le point de départ d'une série, un docu-fiction qui s'appelle « Le Rapport Brazza ».

J'avais ensuite envie de poursuivre mes recherches en élargissant le spectre. J'en ai discuté avec les équipes de Spotify qui étaient partantes et c'est cela qui amène à la production de « Nos Mémoires ». Après, il y a une démarche, un objectif avec ces productions, c'est de créer des ponts. Je suis intimement, profondément persuadé que l'Histoire doit être regardée sans idéologie. Il se passe des choses qui ont des impacts profonds et c'est important d'en être conscient. Cela permet de mieux préparer l'avenir. 

Comment s'est fait le choix des territoires et pays concernés ? Et à travers ces pays, pourquoi le chlordécone, les essais nucléaires, le « rapatriement » d'enfants d'Indochine, les tirailleurs sénégalais et l'indépendantisme guyanais ? 

La France a déployé sa politique coloniale un peu partout sur la planète, il était donc important que la série incarne cela. Quant au choix des sujets, c'est un mélange d'intuitions de ma part et d'envies des auteurs. Il était très important que les sujets choisis aient des impacts contemporains. C'est ça que l'on veut montrer : la colonisation s'inscrit dans l'Histoire et a des conséquences aujourd'hui. 

Concernant justement les autrices et auteurs choisis pour raconter ces Histoires : pourquoi les avoir choisis, elles et eux particulièrement ? Ont-ils un point commun, un fil rouge qui relie les faits coloniaux racontés dans ces cinq documentaires ? 

Alors, le casting des auteurs s'est fait d'abord sur le talent des uns et des autres. Ensuite, nous voulions que pour chaque épisode, les auteurs soient concernés par le sujet. Ou bien parce qu'ils ont un lien personnel avec le sujet, comme pour Karfa Diallo et l'histoire de son père tirailleur ou de Louis Raymond dont le père est un enfant rapatrié d'Indochine. Mais aussi une proximité avec le sujet, Léa Mormin-Chauvac travaille sur le chlordécone depuis longtemps, Titaua Peu a une histoire militante et artistique très liée aux essais nucléaires, Lauriane Nembrot a baigné dans une ambiance familiale qui évoquait souvent la question de l'indépendance. 

Quel est l'apport de Spotify dans ce travail ?

D'abord, la confiance et le culot de proposer une série sur un sujet qui n'est que rarement abordé et fait souvent fuir les décideurs. Ensuite, des moyens de production. Enfin, une incroyable force de frappe dans la diffusion. Sans oublier l'accompagnement humain tout au long de la production de la série.  

Une dernière question : avez-vous d'autres projets en lien avec les Outre-mer ? 

Alors, en ce qui concerne les Outre-mer, c'est encore un peu tôt pour en parler mais oui, c'est dans les tuyaux. Sinon, nous sortirons au printemps 2024 une série de fiction qui a pour cadre le Sahara en 1962, la colonisation française en Algérie, les essais nucléaires...  

Résumé des épisodes :

Sénégal - Fils de tirailleur - un épisode écrit par Karfa Diallo avec Charlie Dupiot

Les tirailleurs, ce sont plus de 300 000 hommes originaires d’Afrique de l’Ouest qui ont combattu dans les rangs de l’armée française entre 1857 et 1962. Ils ont versé leur sang pour le pays colonisateur. Parmi eux, Abdoulaye Diallo. Son fils Karfa nous raconte comment, malgré ses décorations et ses blessures, son père a lutté jusqu’à sa mort pour obtenir la pension à laquelle il avait droit. Cette incroyable injustice, la France met du temps à la réparer.

L’auteur : Karfa Diallo

Karfa Diallo, 52 ans, est né au Sénégal, à Thiaroye, en banlieue de Dakar. Il vit désormais à Bordeaux où il a fondé l'association « Mémoires et partages » : il propose, entre autres, des parcours mémoriels dans la ville de Bordeaux, autour de l'histoire de l'esclavage et de la colonisation.

Martinique - L’île empoisonnée - un épisode écrit par Léa Mormin-Chauvac

En 1974, les ouvriers agricoles martiniquais se mettent en grève et l’île s’embrase. Les manifestants réclament notamment l’interdiction du Chlordécone, un pesticide qu’ils considèrent comme nocif, massivement utilisé pour la culture de la banane et de la canne jusqu’à la fin des années 90. Aujourd’hui, près de 90% des martiniquais ont des traces de chlordécone dans le sang et ce dossier empoisonne les relations entre les Antilles et l’hexagone. Cet épisode raconte le combat fondateur de la lutte contre le chlordécone et ses conséquences contemporaines.

L’autrice : Léa Mormin-Chauvac

Journaliste à RCI Martinique, auteure, Léa Mormin-Chauvac est née en 1993 à Aix-en-Provence. Elle a étudié les sciences sociales à Toulouse et le journalisme à Sciences Po Paris. Passée par Libération et France Culture, elle est membre du comité éditorial du trimestriel féministe la Déferlante. Entre la Martinique et l’Hexagone, elle travaille principalement sur ces deux champs, féminismes et études décoloniales. Avec l’illustratrice Raphaëlle Macaron, elle a coécrit une bande dessinée sur les sœurs Nardal publiée dans la Déferlante. Elle est également co-auteure d’un documentaire de 52 minutes sur Paulette Nardal produit par Morgane Productions et qui doit être diffusé sur France 5 en 2023.

Vietnam - Les enfants oubliés - un épisode écrit par Louis Raymond

En 1975, Néjame Aboubakar n’est qu’un enfant quand il arrive à l'orphelinat de Salvert, à côté de Poitiers. Il ne parle pas un mot de français et doit s’intégrer au plus vite dans un pays qu’il ne connaît pas mais dont il est citoyen de par les circonstances de la colonisation. Comme lui, ils sont des milliers d’enfants originaires d’Indochine à avoir été rapatriés en France. Parmi eux, le père de Louis Raymond. Cet épisode raconte l’assimilation à marche forcée, la perte de la culture et de la langue. C’est aussi l’histoire de la transmission d’une génération à l’autre de la mémoire contrariée du déracinement et de l'exil.

L’auteur : Louis Raymond

Journaliste, diplômé de l’ENS, Louis tient notamment depuis quelques années un blog très suivi appelé « Les Cahiers du Nems », une revue électronique qui a pour but de parler des cultures de l’Asie orientale (Japon, Chine, Taïwan, Corée du Sud, Corée du Nord, Vietnam et autres pays d’Asie du Sud-Est) et des diasporas asiatiques en se tenant loin des idées préconçues.

Polynésie - Le mirage nucléaire - Un épisode écrit par Titaua Peu

Entre 1966 et 1996, la France procède à 193 tirs atomiques en Polynésie Française pour développer son arsenal nucléaire. Du déversement de la manne financière des essais nucléaires, en passant par le discours officiel selon lequel la bombe est propre, jusqu'à la prise de conscience lente mais irréversible que le développement promis n'est qu'un funeste présage : voilà l'histoire que raconte cet épisode.

L’autrice : Titaua Peu

Née en 1975 en Nouvelle-Calédonie, Titaua est une écrivaine tahitienne dont les écrits sont centrés sur la société polynésienne, l’impact de la colonisation, et la place des femmes dans cette société. En 2003, son premier roman Mutismes, sur le « néocolonialisme nucléaire », fait d’elle la plus jeune auteure tahitienne publiée. Brisant le tabou du silence sur les réalités de sa société, elle est une voix importante de la littérature tahitienne du XXème – XXIème siècle.

Guyane - Atteinte à la sûreté de l’État - Un épisode écrit par Lauriane Nembrot

La Guyane, c'est à 8 000 kilomètres de l'Hexagone. À chaque crise sociale, une idée revient : l'indépendance. Cet épisode raconte comment la lutte indépendantiste a marqué l'histoire de la Guyane et comment l'État français a systématiquement et violemment réprimé celles et ceux engagés dans ce combat. À ce jour, le statut administratif de la Guyane fait toujours débat. Et les luttes passées nourrissent les questionnements d'aujourd'hui.

L’autrice : Lauriane Nembrot

Journaliste, diplômée de l’ESJ et d’études politiques, Lauriane travaille aujourd’hui sur le terrain notamment à TV5Monde et France Télévisions. Originaire de Guyane, elle a vécu à Cayenne, Lille et Paris.