Pour célébrer ses 51 ans d’existence, Malavoi, le groupe légendaire martiniquais vient de sortir « Masibol », un album de 10 titres, reflet de son identité musicale et de son authenticité toujours préservées. Retour sur la longévité exceptionnelle d’un groupe emblématique qui aura fortement marqué, avec Kassav, l’histoire de la musique antillaise et caribéenne.
Fin des années 60. Pendant que dans l’Hexagone on n’en finit pas de panser les plaies et les problématiques générées par la révolte estudiantine et ouvrière de mai 68, en écho, la Martinique doit faire face à une période de tensions politiques et sociales ainsi qu’aux velléités contestataires de sa jeunesse. Une jeunesse victime d’un chômage endémique et qui ne se voit offrir pour toute perspective que l’exode massif vers l’Hexagone symbolisé par la mise en place du fameux Bumidom.
Fin des années 60, c’est aussi l’époque des bals et des paillotes où les jeunes et les moins jeunes martiniquais – peut-être en forme de catharsis – vont s’encanailler les week-ends aux sons et aux rythmes de la cadence, de la biguine, de la mazurka, de la valse créole, du compas haïtien et de la salsa cubaine ou portoricaine. On parle à cette époque d’orchestres et ceux du moment se nomment Rico-Jazz, Calebasse, Ensemble Abricot, l’ancêtre de la Perfecta, ou encore Los Caribes.
C’est dans ce contexte politico -socioculturel qu’apparaît le groupe Malavoi, nom tiré d’une variété de canne à sucre souple et robuste à la fois et d’une rue de l’île de Gorée au Sénégal, célèbre pour avoir été un des hauts lieux de la traite négrière. Malavoi a été créé par Mano Césaire, Jean-Paul Soïme et Christian de Négri, trois amis, dont certains avaient joué au sein d’un groupe d’écoliers du lycée Schoelcher appelé « Les Marry Lads » et fréquenté l’école de musique Colette Frantz à Fort-de-France. Débute alors, à l’instar de Kassav plus tard, l’aventure la plus ambitieuse de la musique antillaise de ces cinquante dernières années.
Une identité musicale propre
Au début, Malavoi reprend de vieux airs antillais des années 50 et leur insuffle une nouvelle énergie avec une puissante section de cordes constituée de quatre violonistes, dont Césaire, Soïme et de Négri ainsi que d’une section rythmique avec Denis Dantin à la batterie et Marcel Rémion à la basse. Malavoi se forge alors une identité musicale qui devient sa marque de fabrique.
Très vite le succès est au rendez-vous. Le public redécouvrant cette musique traditionelle revue et corrigée à la sauce Malavoi qui y mêle allègrement sonorités venues d’Afrique, du Brésil avec la bossa-nova, des Caraïbes et du jazz américain. Une couleur musicale dont s’écartera un temps le groupe pour se sacrifier aux modes du moment qui imposent des musiques de danse en se dotant d’une section cuivre avec deux trombones et un saxophone. Une période brève toutefois pour le grand bonheur des puristes.
L’arrivée du pianiste Paulo Rosine qui succède à Alain Jean-Marie sera un tournant pour le groupe. Sous sa férule, Malavoi prendra une autre dimension, sans jamais perdre son âme, s’affranchissant des modes et revenant aux fondamentaux axés sur une section cordes qui a fait son originalité et son essence. D’autant qu’aux diverses voix qui se relayaient comme chanteurs s’est imposée celle mélodieuse et sensuelle de Ralph Thamar, l’une des plus belles voix des Antilles.
Une renommée qui dépasse les frontières des Antilles
Avec lui, en 1978, Malavoi sort un album éponyme « Malavoi » et le succès est immédiat. Mais chose rare, en dépit du succès, le groupe décide de faire une pause pour se regénérer, trouver d’autres sources d’inspiration et se reconstruire, lassé sans doute par les nombreuses sollicitations et l’impression de tourner en rond.
La pause va durer 3 ans. En 1981, c’est par un grand concert donné à Fort-de-France, là où tout a commencé, que Malavoi fait son retour sur la scène publique. A sa tête désormais se trouve Paulo Rosine, devenu chef d’orchestre qui a profité de ses 3 ans d’absence publique pour organiser et dynamiser un groupe, dont la renommée a dépassé le cadre des Antilles.
Dans la foulée, un nouvel album voit le jour en 1983 « Zouel » qui comprend notamment le titre « Caressé moin » signé et interprété par la journaliste martiniquaise Marijosé Alie. Un titre devenu un classique de la chanson antillaise. A partir de là, c’est le tourbillon. Les tournées et les prestations dans les festivals s’enchaînent à un rythme effréné. Le groupe est demandé partout dans l’Hexagone (Printemps de Bourges, festival Jazz à Vienne….), mais également à l’étranger (Brésil, Colombie pour le festival caribéen de Cathagène).
Départ du chanteur Ralph Thamar
Au cours de cette même année, Malavoi se voit décerner le Maracas d’Or qui récompense un artiste ou un groupe de la diaspora noire et signe la musique du film de la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy « Rue Cases nègres ». Un film qui connaîtra un immense succès tant au niveau du public qu’auprès des critiques.
A la fin des années 80, notoriété grandissante aidant, se posera pour les membres du groupe la question de leur passage au statut de professionnels. Les musiciens ayant quasiment tous une activité professionnelle annexe. Un choix cornélien à même de diviser le groupe. Seul cependant, le chanteur Ralph Thamar cèdera aux sirènes du show-bizness pour se lancer dans une carrière solo. Les autres membres du groupe faisant le choix de continuer à évoluer dans le registre initial et garder leur statut d’amateurs éclairés de la musique.
Si le départ du chanteur attitré de Malavoi a pu ébranler le fonctionnement du goupe, il n’affectera pas pour autant son équilibre identitaire, ni sa popularité auprès du public, d’autant qu’il intégrera très rapidement deux nouveaux chanteurs et pas des moindres en les personnes de Pipo Gertrude et Tony Chasseur, retrouvant ainsi sa fonction de groupe formateur. Avec ces deux nouveaux chanteurs, Malavoi continuera à parcourir le monde ( Nouvelle-Orléans, Québec, Japon, Europe…) et à être les ambassadeurs de la musique antillaise.
Disparition de Paulo Rosine, l’âme du groupe
Au début des années 90, le groupe est à son apogée. C’est le moment choisi pour son charismatique leader, Paulo Rosine, de proposer au public « Matébis », un concept musical dans lequel les grands noms de la musique antillaise reprennent leurs compositions ou des standards traditionnels sur des arrangements de Malavoi. Ainsi, Edith Lefel, Jocelyne Béroard, Tanya Saint-Val, Viktor Lazlo, Sylviane Cédia ou encore Kali, Dédé Saint-Prix, Philippe Lavil, Alan Cavé et les chanteurs haïtiens Beethova Obas et James Germain répondront à l’appel et partiront même en tournée avec ce concept. En 1992, c’est à l’Elysée devant François Mitterrand, alors président de la République et Abdou Diouf, président du Sénégal que le groupe est appelé à interpréter ses meilleurs succès.
Un an plus tard, en 1993, c’est la sidération avec la disparition de Paulo Rosine, l’âme du groupe qui a su imprimer son style et son talent. Une perte immense. Cependant, si la disparition de ce dernier se fera cruellement sentir et que le deuil sera difficile à faire, Malavoi parviendra toutefois à faire face. Jean-Paul Soïme reprend les rênes et le groupe repart en tournée.
En 1998, sous sa direction, sort l’album « Marronages » pour célébrer le 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage. Suivra l’année d’après « Flèch Kann ». En 2000, Malavoi reçoit le Grand Prix Sacem de la musique traditionnelle. En 2006 retour au bercail pour l’enfant prodige Ralph Thamar. Un retour terni quelques mois plus tard avec la mort de Jean-Paul Soïme, l’un des fondateurs du groupe et éminence grise.
Malavoi symphonique
Nouvelle traversée du désert. Mais Malavoi est aussi un état d’esprit qui survit au-delà des hommes qui l’incarnent. Deux ans après le groupe retrouve le chemin des studios sous la houlette de Ralph Thamar et de Nicol Bernard, l’un des derniers membres historiques. De cette collaboration naîtra l’album « Pep là ».
En 2012, Malavoi célèbre ses plus de 40 ans d’existence avec un grand concert à l’Atrium de Fort-de-France entouré d’une pléiade d’invités. Dans ce cadre, il se produira ensuite au Zénith de Paris avec les trois principaux chanteurs qui ont jalonné son parcours (Ralph Thamar, Pipo Gertrude et Tony Chasseur) réunis pour la première fois et accompagné également d’un orchestre symphonique de 49 musiciens dirigé par la violoniste Anne Gravoin à l’époque compagne du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Ce grand moment de musique sera consigné en CD et DVD sous le titre générique « Malavoi symphonique ». En 1993, nouveau coup dur pour la formation martiniquaise qui perd un de ses membres fondateurs et pilier en la personne du violoniste Christian de Négri.
Une institution qui perdure
Aujourd’hui, en dépit de ces absences et manques, l’institution Malavoi perdure encore. Envers et contre tout. Pépinière de talents, laboratoire, école de formation, il continue à dispenser et à transmettre son savoir, son identité musicale, son état d’esprit et à rester fidèle à ses fondamentaux.
Plus de 50 ans après, l’aventure se poursuit pour le groupe martiniquais qui signe un nouvel opus baptisé « Masibol », expression créole qui désigne des « Famn Djok », des « Fanm Douboutt », bref des « femmes-courages ». Celles qui ont marqué la culture noire, mais aussi ces combattantes qui, au sein de familles monoparentales très courantes aux Antilles, malgré les affres de la vie, parviennent à éduquer et à élever leurs enfants dans des conditions décentes.
Ce nouvel album de 10 titres est constitué de compositions et d’arrangements de feu Paulo Rosine, des oeuvres de Nicol Bernard, dont deux coécrites avec Roland Brival, écrivain peintre-sculpteur et musicien. Il comprend notamment des hommages à Loulou Boislaville et à Guy Vadeleux.
L’album a été enregistré en Martinique sous la direction musicale de Marc Escavis avec au chant Ralph Thamar. Un album qui fleure bon l’authenticité et l’identité musicale de Malavoi, groupe constitutif de l’histoire de la Martinique et qui représente un pan entier du patrimoine culturel antillais voire caribéen.
EB.
« Masibol’
Malavoi
Chant : Ralph Thamar
Aztec Musique