A partir de son vécu fait de critiques, pressions et menaces de mort, la journaliste et écrivaine guadeloupéenne Christine Kelly nous livre dans son dernier ouvrage « Libertés sans expression » paru aux éditions du Cherche-Midi, son témoignage et sa vision du journalisme qui fait l'objet aujourd'hui d'attaques quotidiennes. Un véritable cri d'alarme sur les menaces qui pèsent sur la liberté d'expression et par extension sur notre démocratie.
Doit-on fixer des limites à la liberté d'expression ? Cette liberté dont la presse est porteuse voire même constitutive et dont les journalistes sont les garants et les dépositaires, est-elle menacée ? Le journaliste doit-il s'effacer devant le citoyen et afficher en toute circonstance sa neutralité ? Peut-on informer sans prendre position ? Non, ce ne sont pas des sujets de philo, ni du bac de français en cette période d'examens, mais quelques unes des problématiques que pose la journaliste Christine Kelly dans son dernier ouvrage « Libertés sans expression » paru début juin aux éditions du Cherche-Midi.
A partir de son expérience personnelle et de son parcours, la journaliste et écrivaine guadeloupéenne nous livre sa vision du journalisme aujourd'hui au coeur des critiques et témoigne de attaques quotidiennes contre la liberté d'expression. Et elle sait de quoi elle parle. A 52 ans, elle possède un pédigree long comme le bras dans le monde des médias à faire pâlir de jalousie ses consoeurs et confrères.
Après avoir débuté à Archipel 4 en Guadeloupe, elle rejoint RFO Guadeloupe en tant que présentatrice, puis devient journaliste à RFO. Après un passage à Chérie FM et Sud Ouest, elle intègre la rédaction de LCI où elle assurera la présentation du journal pendant 9 ans. Puis ce sera le CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) de 2009 à 2015. Après le CSA, elle deviendra chroniqueuse dans l'émission TPMP de Cyril Hanouna avant d'accéder à la présentation de l'émission "Face à l'Info" sur Cnews, chaîne où elle co-anime également "La belle histoire " en compagnie de l'historien Franck Ferrand et du journaliste Marc Menant.
Première femme noire à présenter le JT d'une chaîne nationale
Parallèlement, elle se met à l'écriture et est l'auteure d'un certain nombre d'ouvrages, parmi lesquels "L'affaire Flactif", une enquête sur la tuerie du Grand-Bornand retraçant le meurtre de Xavier Flactif, un entrepreneur d'origine guadeloupéenne et de sa famille en avril 2003. Elle commet également une biographie sur François Fillon intitulé "François Fillon, le secret de l'ambition" en 2007.
C'est dire que celle qui peut se targuer aujourd'hui d'avoir eu un parcours hors du commun – raconté dans son livre "Invitée surprise " paru en 2015 aux éditions du Moment – en étant la première femme noire à présenter le journal télévisé d'une chaîne nationale (LCI), la première personnalité issue des outre-mer et la plus jeune également à être nommée au CSA, peut à dessein s'épancher sur le sujet de la liberté d'expression en général et singulièrement sur les dangers qui pèsent sur ce pilier de la démocratie.
Menacée dans sa chair
Une liberté d'autant plus chère aux yeux de Christine Kelly que la sienne – celle liée à son métier de journaliste - est menacée jusqu'à dans sa chair. En effet, depuis qu'elle a accédé à la présentation de l'émission "Face à l'Info" et qu'elle a du donner la réplique – servir la soupe pour certains – au sulfureux polémiste Eric Zémmour, Christine Kelly a vu se déchaîner un tombereau de haine au point qu'elle a fait l'objet de menaces de mort et qu'elle "bénéficie" d'une garde rapprochée, ne pouvant se déplacer sans être entourée de deux gardes du corps.
Une situation qu'elle décrit certes comme difficile à vivre, mais supportable. Le pire pour celle qui est devenue l'une des figures de proue de Cnews, étant de voir qu'en France de nos jours, ce métier de journaliste peut conduire à mettre sa vie en danger. "Nous sommes à l'heure où l'inversion des valeurs abîme la société : se trouvent paradoxalement menacés ceux qui sont des remparts contre les différentes formes de censure", se désole t-elle, soulignant les remarques racistes et les mises à l'écart dont elle a fait l'objet pour avoir "fréquenté " sur le plateau de "Face à l'Info" des gens politiquement incorrects et osé traiter des sujets considérés comme tabous.
Un seul credo : la liberté d'informer
Victime de procès en illégitimité, assignée identitairement, bref vouée aux gémonies, Christine Kelly s'élève contre ces diktats et ces injonctions morales à se positionner et qui s'attachent aux apparences physiques. Elle refuse que son identité guadeloupéenne qu'elle chérit par ailleurs, soit un "drapeau" encore moins un "fardeau". Elle ne veut pas davantage que son combat en faveur des familles monoparentales qu'elle mène au sein de sa fondation "K d'Urgences" puisse interférer sur son travail, privilégiant un seul credo : la liberté d'informer.
"Libertés sans expression" est finalement un cri d'alarme pour signifier qu'en France aussi, pays des droits de l'homme, la liberté d'expression, ce bien si précieux, est en sursis et pourrait à terme disparaître si rien n'est fait pour la sauvegarder. Une preuve par le vécu de Christine Kelly que les nouveaux intégrismes sont en train de saper les fondements de notre démocratie. Un sujet brûlant qui se pose aujourd'hui avec un peu plus d'acuité et sur lequel nous invite à réfléchir celle qui vient d'annoncer une prise de distance avec l'antenne pour des "petits soucis de santé".
E.B.
"Libertés sans expression"
Editions du Cherche-Midi
160 pages