La brouille entre France et Azerbaïdjan s'exporte sous de nouvelles latitudes. Depuis plusieurs mois, une organisation pilotée à Bakou fédère des indépendantistes d'Outre-mer autour de la « lutte contre le néocolonialisme » de Paris, qui dénonce une ingérence étrangère.
Quelques drapeaux azerbaïdjanais brandis pendant la crise en Nouvelle-Calédonie ont rendu visibles les liens, a priori surprenants, entre des activistes kanak, guyanais, antillais ou polynésiens décidés à rompre avec Paris, et le pays du Caucase dirigé d'une main de fer par Ilham Aliev.
C'est début juillet 2023, dans la capitale azerbaïdjanaise, que leur partenariat prend forme avec la création du Groupe d'initiative de Bakou (GIB), dont la profession de foi dépeint un Outre-mer français à feu à et sang -des Antilles en proie à « un génocide par substitution », des ressources « pillées » en Guyane...- et appelle à « amplifier (les) luttes jusqu’à l'émancipation totale (des) peuples ».
Au fil de réunions à Bakou, New York ou Genève, ce groupe actif sur les réseaux sociaux va agréger des mouvements indépendantistes d'Outre-mer mais aussi le parti corse Nazione, en ciblant exclusivement les « méfaits du système néocolonial français ». Ce tropisme relève « peut-être d'une coïncidence mais (...) ce n'est pas de la faute du Groupe d'initiative si ces colonies sont françaises », se justifiait dans une vidéo en février Abbas Abbasov, directeur général azerbaïdjanais de cette structure au statut ambigu.
Si le GIB s'affiche en plateforme non-gouvernementale, ses liens avec Bakou sont attestés par le chef de l'État azerbaïdjanais lui-même. « Le Groupe d'initiative de Bakou est notre enfant », déclarait en janvier, dans une vidéo sous-titrée en français, le président Aliev, en promettant de contribuer au « processus de libération des colonies françaises ».
« Rétorsion »
La montée en puissance de cette structure a accompagné l'escalade diplomatique entre Bakou et Paris qui a culminé lors du conflit du Haut-Karabakh fin septembre. La France avait alors apporté un soutien inconditionnel à l'Arménie, grand rival de l'Azerbaïdjan, et les frictions n'ont cessé de s'accumuler depuis.
En novembre, la France a vu la main de Bakou derrière une opération de désinformation liée aux JO et l'a plus récemment accusé d'ingérence pendant les émeutes en Nouvelle-Calédonie, des allégations rejetées par Bakou. « Sur les Outre-mer, nous constatons une activité extrêmement forte de ceux qui veulent nuire à la France », a insisté fin mai le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, avançant l'hypothèse d'une « rétorsion » face aux positions de Paris sur le Karabakh.
Ces frictions laissent de marbre les mouvements indépendantistes associés au Groupe d'initiative de Bakou. « On sait que l’Azerbaïdjan a son agenda géopolitique, mais ce qui nous intéresse c'est de nous libérer du joug colonial. Le reste ne nous concerne pas », affirme à l'AFP Jean-Jacob Bicep, secrétaire général du parti indépendantiste guadeloupéen UPLG. Le dirigeant n'ignore pas que l'Azerbaïdjan est régulièrement mis à l'index pour ses atteintes aux libertés mais refuse toute « leçon » : « L’Arabie Saoudite n'est pas championne des droits de l’homme et pourtant la France lui vend des armes. »
« Dépendance »
Même approche chez le président polynésien Moetai Brotherson, dont le parti indépendantiste Tavini Huiraatira a rejoint le GIB. « Le militant indépendantiste que je suis vous dira qu’il ne voit pas où est le problème (…). Si vous avez une voiture japonaise, est-ce que cela veut dire que vous soutenez la chasse à la baleine ? », disait-il mi-mai.
En réalité, ces mouvements espèrent profiter de la caisse de résonance du Groupe d'initiative de Bakou pour internationaliser leur combat. « Il y a un enjeu de poser la question du droit à l'autodétermination à son juste niveau, c'est-à-dire devant les Nations unies », expliquait le parti corse Nazione, cité fin mai sur France Bleu. Ses dirigeants, tout comme les indépendantistes guyanais et martiniquais, n'ont pas répondu aux sollicitations de l'AFP.
Ce compagnonnage fait des vagues chez ceux qui ne souhaitent pas rompre avec la France. « Qu'est-ce qui justifie qu'aujourd’hui on aille s'acoquiner avec une dictature ? Je ne comprends pas : on parle d’une indépendance vis-à-vis de la France et à côté de ça on veut créer une autre dépendance », observait fin mai Édouard Fritch, chef du principal parti d'opposition polynésien.
Une chose est sûre : l'action du Groupe d'initiative de Bakou cible un point faible de la France en la renvoyant à son passé colonial et aux difficultés sociales de ses territoires en Outre-mer. « C'est le propre de ces opérations par « proxy » qui visent à utiliser une vulnérabilité d'un pays pour l'amplifier et servir ses intérêts propres », analyse Maud Quessard, spécialiste des guerres informationnelles à l'Irsem, qui prévient : « Avec peu de moyens, on peut être très efficace. »
Avec AFP