Dans un courrier adressé à la ministre de la Mer Annick Girardin, les parlementaires de Martinique alertent sur « la dégradation des conditions d’exercice de la pêche traditionnelle antillaise et à l’effondrement de la production », en raison de la pollution au chlordécone. Soulignant une « profession (…) gravement menacée », les parlementaires listent des « propositions » notamment fiscales pour « assurer le désendettement de cette filière ». Leur courrier ci-dessous.
Madame la Ministre,
Notre attention a été récemment appelée par les marins-pêcheurs de Martinique, dont la profession est aujourd’hui gravement menacée.
Afin de respecter les zones côtières interdites à la pêche en raison de la pollution des eaux au chlordécone, l’effort de pêche sur le plateau continental s’est reporté vers des zones plus éloignées, générant des coûts supplémentaires considérables, notamment en matière d’achat de carburant et d’équipements de sécurité. Ce report s’est ainsi accompagné d’une nette dégradation de la production et de la rentabilité de l’activité́.
Le Système d’informations halieutiques de l’IFREMER estimait la production des pêcheurs professionnels de Martinique à 1420 tonnes en 2009 pour un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros. En 2017, la production n’était plus que de 783 tonnes pour un chiffre d’affaires de 9 millions d’euros, soit une baisse de production de 55 % et une baisse de chiffre d’affaires de 6 millions d’euros par an.
Il est donc indéniable que la pollution au chlordécone a directement contribué à la dégradation des conditions d’exercice de la pêche traditionnelle antillaise et à l’effondrement de la production. La plupart des entreprises se sont ainsi retrouvées dans l’incapacité d’honorer le versement des cotisations sociales qu’elles prélèvent pour le compte des organismes sociaux. À ce jour, le niveau d’endettement social des marins-pêcheurs martiniquais s’élève à 1,81 millions d’euros pour l’URSSAF et 1,7 millions d’euros pour l’ENIM. L’ensemble des dettes sociales de la filière pêche est estimé à 3,51 millions d’euros, intérêts moratoires et majorations de retard compris.
Plus grave encore, il résulte de cette situation, une incapacité des professionnels à bénéficier des différents mécanismes d’aide publique nationaux et européens, pourtant indispensables à la modernisation des embarcations et des équipements et plus largement à la reprise de l’activité. La flotte de pêche martiniquaise comptait il y a quelques années plus d’un millier d’embarcations. Aujourd’hui, elle ne compte que 567 navires armés à la pêche, dont 550 navires armés à la petite pêche côtière, 9 navires à la pêche côtière et seulement 8 navires destinés à la pêche au large.
Ces moyens sont clairement insuffisants. Ils ne permettent pas aux professionnels de répondre à la demande et de pérenniser leur activité. À ces insuffisances matérielles, s’ajoute la nécessité de se conformer aux dispositions réglementaires de sécurité, modifiées par l’arrêté du 20 mai 2020. En effet, ce dernier dispose que les embarcations non pontées de quatrième catégorie, d’une longueur inférieure à 12 mètres peuvent naviguer jusqu’à 20 milles nautiques des terres, à la seule condition d’être équipées notamment d’une radio, d’une balise de détresse et d’un radeau de sauvetage. Ces conditions de sécurité qui peuvent paraître anodines, contraignent les marins-pêcheurs martiniquais à engager d’importants frais de mise en conformité, au détriment, une fois de plus, de la rentabilité. Dépourvu d’aide et contraint à des frais conséquents, l’ensemble du secteur se retrouve ainsi pris dans un cercle infernal qu’il est impératif de briser.
Compte-tenu de ces éléments, nous attirons votre attention sur les demandes légitimes de la profession et les propositions d’ores et déjà formulées par les administrations en charge de leur accompagnement, pour assurer le désendettement de cette filière :
- Une exonération des cotisations CSG et CRDS est demandée, ainsi que l’abandon des intérêts moratoires et majorations de retard dus à l’URSSAF et à l’ENIM.
- L’abandon de 80 % de la dette URSSAF à l’issue du plan d’apurement, sous réserve du respect du plan accordé.
- L’accompagnement individualisé des professionnels de la pêche dans leurs démarches d’apurement des dettes auprès de l’URSSAF et de l’ENIM sur une durée harmonisée de 5 ans.
- L’adaptation aux réalités professionnelles de l’arrêté du 20 mai 2020 portant modification de l’arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires (division 227).
- La possibilité d’accéder, dès la signature des plans d’apurement des dettes, aux aides financières publiques, tant européennes que nationales, qui permettront de moderniser les outils de production et de pérenniser l’activité.
Nous, parlementaires de la Martinique, sommes pleinement mobilisés dans le cadre de ce dossier. Nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de notre considération distinguée.
Les parlementaires de Martinique
Serge Letchimy, Député de la 3ème circonscription
Josette Manin, Députée de la 1ère circonscription
Manuella Keclard-Mondesir, Députée de la 2ème circonscription
Jean-Philippe Nilor, Député de la 4ème circonscription
Catherine Conconne, Sénatrice de Martinique
Maurice Antiste, Sénateur de Martinique