C’est reparti pour l’École Supérieure de Théâtre de l’Union (ESTU), qui se prépare à sillonner les territoires ultramarins afin de, peut-être, découvrir les comédiens et comédiennes de demain. Depuis la création de sa Plateforme pour la formation à l’art dramatique dédiée aux Outre-mer en 2018, plus de 2 500 jeunes ont déjà été sensibilisés au théâtre. L’objectif de cette nouvelle mission : repérer la future promotion ultramarine qui rejoindra l’institut situé près de Limoges en 2026. Les enjeux, eux, ne changent pas : favoriser l’accès à la formation théâtrale pour des jeunes encore trop souvent sous-représentés dans cette filière.
« Les jeunes des Outre-mer qui aspirent à devenir comédien·nes sont sous-représenté·es dans les écoles nationales d’art dramatique. » C’est ainsi qu’est présentée, sur le site internet de l’École Supérieure de Théâtre de l’Union, l’origine de sa Plateforme Outre-mer. L’une des 12 écoles supérieures d’art dramatique habilitées à délivrer le Diplôme National Supérieur Professionnel de Comédien (DNSPC) vise, à travers cette action, une meilleure égalité des chances entre les futurs comédiens originaires des Outre-mer et ceux issus de l’Hexagone.
« Quand on veut intégrer une école supérieure d'art dramatique, il faut en général avoir suivi une formation initiale en art dramatique, souvent en conservatoire. Or, dans les Outre-mer, il n’existe que deux conservatoires : un à La Réunion et un en Guyane », précise Héloïse Belloir, responsable de la Plateforme pour la formation à l’art dramatique dédiée aux Outre-mer. « Il y en a un en Nouvelle-Calédonie, mais le théâtre n’y est pas proposé. En Polynésie française, il s’agit d’un conservatoire essentiellement axé sur les arts traditionnels. »

Outre le manque d’infrastructures dédiées au théâtre, la distance et les coûts liés au parcours sont également d’autres freins relevés par l’École Supérieure de Théâtre de l’Union (ESTU). « C’est un véritable parcours du combattant que très peu de jeunes ont les moyens de mener seuls », poursuit Héloïse Belloir. « Chaque concours peut durer plusieurs jours, avec un, deux, parfois trois tours. Il faut revenir à chaque étape, payer l’avion, l’hébergement, les repas, trouver quelqu’un pour jouer la scène avec vous… C’est à tout cela que nous avons voulu trouver des solutions. »
Une classe préparatoire qui change des trajectoires
Depuis 2018, plus de 2 500 jeunes ont été sensibilisés au théâtre à travers l’organisation de stages et d’ateliers dans les différents territoires ultramarins. Parmi eux, près de 30 jeunes originaires de Guyane, de Nouvelle-Calédonie ou encore de Mayotte ont intégré la classe préparatoire de l’ESTU, à Saint-Priest-Taurion. Pendant neuf mois, ces jeunes ultramarins apprennent à vivre ensemble, à travailler pour se préparer aux concours les plus exigeants.

Le programme est en effet structuré autour des concours des écoles nationales d’art dramatique : scènes classiques, textes contemporains, monologues, parcours libres, vidéos face caméra, maîtrise des alexandrins… tout est travaillé, avec précision et rigueur. « Ce qu’on propose ici, c’est une formation complète, oui, mais c’est aussi une année de transformation. Il faut qu’ils soient prêts à tout affronter : un jury parisien, une panne d’enceinte, une question déstabilisante sur leur choix de texte. On les prépare à ça, techniquement. Mais surtout, on les prépare humainement. C’est un niveau de travail colossal. Mais ici, on n’a jamais dit que ce serait facile. On leur dit que c’est possible. »
Ce possible s’ancre aussi dans les gestes du quotidien. « Quand ils arrivent, certains n’ont pas de carte Vitale, pas de mutuelle. Il faut les aider dans leurs démarches pour la sécurité sociale, pour la CAF… Il faut penser à tout. On ne peut pas faire semblant de ne pas voir ça. Ce ne sont pas juste des élèves. Ce sont des jeunes qui ont tout quitté : leur famille, leurs habitudes de vie, leur territoire… À des milliers de kilomètres de chez eux, certains découvrent le froid… On les accompagne pour qu’ils puissent tenir debout dans tous les sens du terme. »
Des ponts, pas des privilèges
À ceux qui parlent de « voie parallèle », Héloïse Belloir répond sans détour : « Ce qu’on construit ici, ce ne sont pas des raccourcis, ce sont des ponts. On ne demande pas aux écoles de baisser le niveau. On travaille pour que ces jeunes aient les clés, qu’ils arrivent aux concours avec les mêmes outils, mais surtout leur propre voix. On ne forme pas des comédiens “d’Outre-mer”, on forme des artistes. Point. »
Néanmoins, les enjeux dépassent la seule sélection aux concours. Pour la responsable de la Plateforme, il est aussi question d’apporter de nouvelles narrations, et de les rendre visibles. « On parle d’un champ artistique qui doit se renouveler, se réinventer. Or, si les jeunes des Outre-mer n’ont pas accès aux écoles, ils restent aux marges. On les empêche, symboliquement, d’écrire l’histoire du théâtre contemporain. Et ça, c’est inacceptable. » Dans cette logique, de solides liens ont été créés entre les acteurs locaux, dans une filière à peine émergente dans certains territoires, et les responsables de la Plateforme Outre-mer. « On est d’accord pour se dire qu’il ne s’agit pas d’apprendre à ces jeunes à jouer Molière. Il s’agit de leur permettre de jouer ce qu’ils sont. Et de comprendre que cela a une valeur artistique. Pas folklorique. Artistique. Universelle. »

Depuis le lancement de la Classe Préparatoire Intégrée dédiée aux Outre-mer, près de 75 % des élèves ont intégré une école supérieure d’art dramatique, qu’elle soit nationale ou régionale. Un chiffre qu’Héloïse Belloir, refuse d’ériger en indicateur unique. « Ce n’est pas une fabrique à taux. Ce qu’on regarde, ce sont des jeunes qui prennent confiance, qui découvrent leur capacité à porter une parole sur scène, et dans la vie. Certains choisissent d’autres chemins après, mais ce sont leurs chemins. Et c’est ça qui compte. »
À la rentrée 2026, une nouvelle promotion de 10 jeunes intégrera la CPI de l’École Supérieure de Théâtre de l’Union. C’est pour préparer cette prochaine rentrée, que l’équipe de la Plateforme Outre-mer repartira sur le terrain avec la Nouvelle-Calédonie, comme première étape. Un premier concours est prévu en octobre 2025. D’autres étapes suivront, entre fin 2025 et début 2026, en Guadeloupe, Guyane, La Réunion, Mayotte et Polynésie française, où des stages et concours de sélection seront également organisés.
Abby Saïd Adinani