Dans un contexte national marqué par une instabilité économique et financière croissante, où les taux d’intérêt s’envolent et la spéculation domine, la question de la continuité de l’action publique devient centrale. Pour Hervé Tonnaire, Directeur des Outre-mer et Directeur régional Pacifique à la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC), Banque des Territoires dispose des atouts nécessaires pour agir de manière robuste et contracyclique et dispose de moyens pour maintenir et adapter ses outils de financement au service des territoires. Dans cet entretien exclusif pour Outremers 360, il détaille comment l’institution continue d’investir même quand les marchés vacillent et annonce le lancement du fonds d’investissement à impact dédié aux Outre-mer.
La CDC, un acteur résilient et contracyclique
Depuis plus de deux siècles, la Caisse des Dépôts, établissement public, se distingue des banques commerciales par sa capacité à agir de manière contracyclique. Là où d’autres acteurs financiers spéculent ou préfèrent se retirer face à l’incertitude, elle soutient l’investissement public. « La Caisse des Dépôts reste un acteur résilient, solide, robuste. Cette résilience repose sur une gouvernance établie depuis deux siècles, qui met l’institution à l’abri des vicissitudes. Nos directeurs généraux, par exemple, signent un mandat de cinq ans, ce qui assure une visibilité et une stabilité rares. Dans un contexte où l’actualité se succède à un rythme effréné et où chaque nouvelle chasse l’ancienne, cette stabilité est un atout stratégique pour manœuvrer et agir de manière réfléchie. », explique Hervé Tonnaire.
Ses ressources, notamment issues du livret A, sont sécurisées et indépendantes des fluctuations de marché. Cette stabilité permet à la CDC de proposer aux collectivités des financements sur des durées inédites, jusqu’à 60 ans pour le projet liés à l’eau et 80 ans pour ceux relatifs au foncier, à des taux très faibles, entre 0,5 % et 1,3 % selon la nature des projets. « Nous avons choisi de financer dans des conditions très concessives. C’est un outil quasi unique en France », précise Hervé Tonnaire.
« L’idée, c’est de jouer un rôle contracyclique. Dans un contexte où il y aura moins de financement public par la dépense budgétaire et fiscale et où les taux bancaires remontent, beaucoup vont être déstabilisés. Nous, on peut apporter une réponse. L’objectif premier, fixé par le directeur général, c’est d’éviter que l’investissement public, dans nos axes prioritaires, s’effondre. Après, un prêt est un prêt et il faudra rembourser, mais les modalités sont adaptées et c’est un endettement sain liés à des projets, de l’investissement et à taux bas . Aujourd’hui, nous recevons de nombreuses demandes de prêts des collectivités, parce que nous avons cette capacité d’intervention. On ne peut pas intervenir en Outre-mer avec en pratiquant des marges excessives d’où le rôle de la ressource en livret A pour nos prêts » Concrètement, la Caisse des Dépôts applique des marges différenciées selon la nature des projets qu’elle finance. Pour les initiatives liées à l’écologie, à la transformation du territoire ou à la lutte contre le changement climatique, la marge appliquée est de 0,50 %. Autrement dit, si le taux du Livret A est de 1,7 %, le financement proposé aux collectivités s’élève à 2, 2 %. Pour les projets de cohésion sociale, principalement le logement et l’accompagnement des publics fragiles, la marge est légèrement supérieure, à 0,60 %. Cette approche permet de conjuguer des financements accessibles et stables tout en orientant les ressources vers les priorités publiques et sociales.
Et il faut le rappeler, la CDC ne se limite pas à prêter. Elle propose aussi du conseil, intervient directement ou via des financements, accompagne des études et agit en investisseur direct. Elle est actionnaire dans 26 sociétés d’économie mixte (SEM) en Outre-mer et intervient aux côtés d’acteurs privés, notamment dans la mobilité liée à la transition énergétique et dans des infrastructures stratégiques, prenant des risques en fonds propres pour devenir un partenaire de long terme.

Les Outre-mer, terrain d’action privilégié
Les Outre-mer constituent un terrain d’action privilégié pour la CDC, qui y déploie ses trois priorités stratégiques : transition écologique, cohésion sociale et souveraineté territoriale. L’objectif : renforcer la résilience des territoires à travers des projets structurants, qu’il s’agisse de production d’énergie ou de matériaux comme le polycarbonate. Ces initiatives prennent tout leur sens lors des crises, comme celle du Covid, qui a perturbé le transport maritime et les chaînes d’approvisionnement. Pour Hervé Tonnaire, directeur des Outre-mer, il s’agit d’un véritable enjeu de souveraineté : permettre aux territoires de développer un tissu économique solide, moins dépendant et capable de résister aux chocs.
C’est ainsi qu’à Mayotte, une enveloppe exceptionnelle de 600 millions d’euros a été mobilisée, dont plus de 100 millions déjà engagés, incluant un fonds spécifique de soutien aux entreprises locales. « Dans ces 100 millions, nous avons prêté à la Société immobilière de Mayotte, pour les 3 000 logements impactés. Nous avons aussi prêté à la collectivité départementale et à des communes », précise Hervé Tonnaire.
La CDC intervient également sur des priorités transverses : gestion de l’eau, traitement des déchets et développement du logement social. La gestion des déchets, par exemple, constitue un enjeu central en Martinique et à Mayotte. « Entre les études, les autorisations et la construction, il faut compter cinq ans. Pendant cette période, il n’y a pas de recettes. C’est précisément là que nos prêts différés peuvent jouer un rôle décisif », souligne Hervé Tonnaire.
Dans le logement social, chaque territoire a ses spécificités. À Mayotte, où la démographie explose, à La Réunion, en Guyane ou encore en Polynésie qui est marquée par de fortes inégalités sociales, le logement social agit comme un véritable amortisseur social. « En Polynésie, il n’y a ni RSA ni assurance chômage. Le logement social peut devenir un amortisseur social dans un territoire qui en est dépourvu », insiste Hervé Tonnaire. Aux Antilles, la CDC soutient les bailleurs fragilisés par la crise, afin de préserver l’équilibre économique du secteur.
Chaque année la CDC consacre 100 millions d’euros à la réhabilitation et à la rénovation des logements ultramarins, un soutien qui profite directement au secteur du BTP local.

Un fonds à impact pour soutenir l’économie locale
Pour accélérer la transformation des modèles économiques ultramarins, la CDC soutient la création d un fonds d’investissement à impact, dont elle financera 30 %. Contrairement aux fonds classiques visant 15 à 20 % de rentabilité, ce fonds acceptera des taux plus modestes de 5 à 7 %. « Nous voulons soutenir l’émergence d’acteurs locaux, créer de l’activité, contribuer à baisser la vie chère et, surtout, créer de l’emploi », explique Hervé Tonnaire.
La logique est claire : l’économie ultramarine doit s’ouvrir aux grands enjeux contemporains, transition énergétique, numérique, intelligence artificielle. Le fonds d’impact permettra aux acteurs déjà installés de jouer un rôle social actif et de participer à la lutte contre le chômage. « Il y a des modèles économiques qu’il faut certainement améliorer, pour sortir parfois de certaines logiques trop figées. Et en même temps, il faut se demander si ce ne sont pas justement des groupes déjà installés qui peuvent jouer un rôle. C’est pour cela que nous leur proposons le Fonds d’investissement à impact : pour leur permettre de faire évoluer ces modèles. Ces groupes, qui disposent d’un rôle social important, d’une légitimité et d’une véritable puissance de feu, peuvent contribuer à faire progresser l’économie. »
Face à un contexte économique instable qui fragilise particulièrement les populations les plus vulnérables, Hervé Tonnaire souligne la nécessité d’une responsabilité partagée : « L’État n’aura plus les mêmes moyens. Il faudra que les acteurs privés installés prennent leur part de responsabilité citoyenne, en contribuant à créer de l’emploi local. C’est un enjeu de cohésion sociale. Pour moi, c’est une vraie conviction, et pas seulement une formule de circonstance. Je pense sincèrement qu’on ne s’en sortira pas autrement ».
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