Outremers 360 poursuit sa série sur les personnalités emblématiques qui ont marqué l’histoire des Outre-mer. Nous nous intéressons aujourd’hui à la brillante carrière politique du Kanak Rock Pidjot, qui, évoluant de l’autonomisme à l’indépendantisme, fut successivement conseiller général, conseiller territorial, vice-président du Conseil du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, puis député de juin 1964 à avril 1986. Le premier Kanak à entrer à l'Assemblée nationale.
Rock Pidjot (ou Roch selon ses biographies), est né le 8 novembre 1907 dans la tribu de la Conception (commune du Mont-Dore) en Nouvelle-Calédonie d’un père kanak originaire de Pouébo et d’une mère française. D’abord chef coutumier de sa tribu, il entame une carrière politique en mai 1946 en créant l'Union des indigènes calédoniens amis de la liberté dans l'ordre (UICALO) suite à l’abolition du code de l’indigénat la même année qui attribue la nationalité française aux Kanaks.
D’obédience catholique et cornaquée par les missionnaires, avec des adhésions réservées aux seuls Mélanésiens, l’UICALO milite pour une plus grande participation de ces derniers dans la vie socioéconomique et politique, et surtout leur accession au suffrage universel. L’objectif est également de lutter contre l’influence grandissante dans les tribus du Parti communiste calédonien créé en janvier 1946.
Naissance de l’Union calédonienne
En juillet 1951, lors des élections législatives, l’UICALO de Rock Pidjot et une autre formation d’inspiration protestante, l'Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF), soutiennent la candidature de Maurice Lenormand, un ingénieur et pharmacien né dans l’Hexagone installé en Nouvelle-Calédonie et mariée à une Kanak. Candidat sans étiquette, Lenormand fait notamment campagne pour l’amélioration du statut des autochtones et l’instauration d’un droit coutumier indigène. Il est largement élu.
Dans la perspective des élections au Conseil général de février 1953, il forme une liste commune avec les deux organisations qui l’ont soutenu, intitulée l’Union calédonienne (UC), avec pour slogan « deux couleurs, un seul peuple ». Il est élu et devient vice-président du Conseil général. Vainqueur dans la 4e circonscription, Rock Pidjot entre alors dans l’assemblée locale.
Trois ans plus tard, en mai 1956, c’est le congrès fondateur de l’UC qui veut se transformer en véritable parti politique, aujourd’hui le plus ancien parti politique de l’archipel. Rock Pidjot en devient le président. Au mois de juin, la loi-cadre Defferre donne plus d'autonomie aux Territoires d'Outre-mer en transformant leurs conseils généraux en assemblées territoriales dotées de plus de compétence. Des conseils de gouvernement sont également institués. Par ailleurs, les Kanaks accèdent finalement au suffrage universel en 1957. Rock Pidjot est élu conseiller territorial de 1957 à 1979 et fait partie du Conseil de gouvernement, régi par l’UC, comme ministre de l’Économie rurale puis comme vice-président de 1962 à 1964.

En juin 1964, la carrière de Rock Pidjot prend un nouvel essor. Devenu suppléant du député Maurice Lenormand lors des législatives de novembre 1962, il lui succède durant une élection partielle, Lenormand ayant été condamné à une peine d’inéligibilité au mois de mars suite à sa participation à une bagarre à Nouméa. Pidjot devient le premier Kanak à entrer à l’Assemblée nationale. Il siège dans le groupe Centre démocratique jusqu’en avril 1967, puis dans Progrès et démocratie moderne jusqu’en 1973 (IIIe et IVe législature). D’avril 1973 à avril 1978, il appartient aux Réformateurs démocrates sociaux (Ve législature). Toujours président de l’UC, il déclare à la fin de son mandat : « Je déposerai sur le bureau de l’Assemblée nationale un statut d’autonomie interne qui donnera aux Calédoniens le pouvoir de gérer eux-mêmes leurs propres affaires ».
De l’autonomie à l’indépendance
Réélu sous la VIe législature, il siège comme non inscrit jusqu’en mai 1981 puis comme socialiste jusqu’à son dernier mandat de député qui prend fin en avril 1986. Entre-temps, ses opinions politiques ont évolué. D’autonomiste, il se rallie à la nouvelle tendance indépendantiste de l’UC, incarnée par une jeune génération dont fait partie un certain Jean-Marie Tjibaou. Sous l’impulsion de ce dernier, l’UC forme, avec le Parti de Liberation Kanak (Palika, premier parti indépendantiste), le Front de Libération Nationaliste Kanak et Socialiste -FLNKS-, en 1984.
Pendant les années 80, où les tensions entre opposants et partisans de l’indépendance sont à leur comble sur le Caillou, Rock Pidjot s’affirme ouvertement comme indépendantiste au Parlement. En 1986, âgé de 79 ans, il ne se représente pas aux législatives et se retire de l’UC, dont Jean-Marie Tjibaou devient le président. Deux ans plus tard, les « événements » arrivent à leur paroxysme avec la prise d’otage et l’assaut dans la grotte de Gossanah à Ouvéa en mai 1988. Un épisode tragique de l’histoire contemporaine calédonienne mais qui eut pour issue la signature de l’accord de Matignon.
Rock Pidjot, lui, retourne dans sa tribu de la Conception, où il s’éteint le 23 novembre 1990. Quarante-six ans après son premier mandat à l’Assemblée nationale, Emmanuel Tjibaou devient, en juillet 2024, le deuxième député kanak à siéger au palais Bourbon. La famille Pidjot est quant à elle bien ancrée dans la vie politique calédonienne et au sein du mouvement indépendantiste. Charles Pidjot, son neveu, est un des signataires de l’accord de Nouméa (1998), tandis que l’actuel chef de la tribu de Saint-Louis, représentant au Congrès et lui aussi signataire de l’accord de Nouméa, Rock Wamytan, n’est autre que son petit-fils.
Enfin, on ne saurait évoquer la figure de Rock Pidjot sans parler de celle de son épouse, Scholastique Pidjot née Togna (1914 – 1984), qui eut une certaine influence sur son mari, concernant notamment la situation des Calédoniennes. Elle fonda en 1971 le « Mouvement des femmes pour un souriant village mélanésien », qui participa en 1975 à l’organisation de Mélanésia 2000, le premier festival des arts mélanésiens, à Nouméa. Elle entreprit également un énorme travail de conscientisation pour lutter contre les ravages de l’alcoolisme sur le territoire.
PM
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