Dans une interview exclusive accordée à Outremers360, le directeur général de la SARA, Olivier Cotta, répond au rapport de l’IGF sur la régulation du coût des carburants aux Antilles-Guyane. Il regrette un rapport basé « sur une période non représentative », « s’appuyant sur des erreurs économiques flagrantes » et défend les « solutions durables » avancées par la SARA « qui répondent aux véritables besoins énergétiques de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique ». « Nous restons déterminés à défendre notre modèle économique et notre rôle stratégique dans la région ».
Outremers360 : Pourquoi parlez-vous d'un rapport « obsolète » ?
Olivier Cotta : Il s'agit d'un rapport qui a 3 ans, basé notamment sur une période non représentative (très fort ralentissement de l’activité en raison de la crise COVID, cumulé au « Grand arrêt » de la raffinerie qui a lieu réglementairement tous les 6 ans) et s’appuyant sur des erreurs économiques flagrantes.
De plus, depuis début 2022, la situation a évolué : l'impact mondial de la guerre entre l'Ukraine et la Russie a confirmé l’absolue nécessité de garantir une autonomie de production des carburants ; et des relations se sont établies avec les Collectivités locales et l'Administration pour travailler de concert sur l’avenir énergétique de nos territoires, avec un partenaire industriel régional hautement qualifié et force de propositions.
Selon ce rapport plus de la moitié des volumes de carburants routiers mis à la consommation depuis 2018 sont importés. On a envie de vous demander à quoi sert la raffinerie. Ne faudrait-il pas finalement tout importer pour éviter ces surcoûts qui conduisent à des « prix chers » ? C’est une demande qui ne date pas d’hier et surtout en Guyane.
Cette suggestion est un raccourci simpliste car il fait référence à une période très particulière. En effet, un grand arrêt réglementaire a débuté en période pré-Covid fin 2019 pour être réalisé en période Covid, notamment pour améliorer les capacités de productions au regard des évolutions des normes environnementales. Avec accord de l'État, près de 50 millions d'euros ont été investis par les actionnaires de la SARA pour pérenniser le fonctionnement de l'entreprise.
Aujourd'hui, toutes nos équipes sont mobilisées pour maximiser la production locale. Il est crucial de noter deux points importants. D’une part, aucune raffinerie au monde ne peut répondre à 100 % des besoins d'une région. Le raffinage est un équilibre entre plusieurs types de produits (gazole, essence, kérosène, etc.) et implique nécessairement une part d'importation. D’autre part, la Guyane a demandé en février 2007 à bénéficier de carburants conforme aux normes européennes, ce qui nécessite un soutien industriel local comme celui de la SARA pour assurer cet approvisionnement de qualité.
Le rapport parle d’une formule des prix « pertinente » mais d’un manque de contrôle de l’administration sur vos coûts. Pourquoi ne pas communiquer ces chiffres ?
Nous sommes très transparents sur nos coûts. Nos comptes sont audités par l'Administration deux fois par an, conformément aux règles du décret Lurel. La structure détaillée des prix est publiée mensuellement par les Préfectures et nous produisons également une infographie mensuelle pour décomposer les prix des carburants. Très peu d'entreprises offrent un niveau de transparence aussi élevé.
Le rapport parle d’une baisse sur le sans plomb de 14 à 18 centimes. Que pensez-vous de ce chiffre ? Et que répondez-vous à cette proposition de scénario ? Le rapport parle même d’une activité similaire à la SRPP à La Réunion.
Une réduction des prix de 14 à 18 centimes par litre est une proposition irréaliste qui non seulement ne tient pas compte des réalités économiques locales mais signifierait des dépenses excédentaires de fonctionnement d’au moins 150 millions d’euros par an !!! Une telle réduction entraînerait des pertes significatives pour la SARA et compromettrait notre capacité à maintenir l'emploi local et à investir dans la transition énergétique. Comparer notre situation à celle de La Réunion est trompeur, car nos réalités géographiques, économiques et logistiques sont très différentes.
La SARA est régie par le décret Lurel : ce décret est-il perfectible ou faut-il l'abandonner et passer à un autre système ?
Le décret Lurel garantit l'accès aux carburants aux normes européennes et à des prix compétitifs en Guyane, Guadeloupe et Martinique, ce qui est essentiel pour maintenir la continuité territoriale. Cependant, avec l'évolution vers une Transition énergétique, certaines dispositions pourraient être ajustées pour mieux répondre aux enjeux actuels. Nous avons déjà proposé des ajustements constructifs et attendons les conclusions du CIOM pour avancer sur ces questions.
Quelle seraient les conséquences de l'arrêt de l’activité de raffinage et sa transformation en dépôt ?
Les conséquences seraient dramatiques. L'activité de raffinage ne peut pas être arrêtée sans conséquences sur les activités de stockage : le modèle des trois territoires a été construit de façon imbriquée et optimal en intégrant une raffinerie et 4 terminaux.
Ça serait d'abord une catastrophe d'abord au niveau social. On parle de 700 familles, un bassin de population aux Antilles-Guyane qui serait concerné par des pertes d'emplois directes et indirectes. Les salariés de SARA, mais aussi nos entreprises sous-traitantes.
C'est ensuite une catastrophe au niveau économique. On parle de 40 millions d'euros que la SARA injecte chaque année dans les différents partenariats, contrats qu'elle gère avec les entreprises et l'économie locale.
C'est une catastrophe également au niveau de l'autonomie énergétique. En cas de phénomènes météorologiques, de grèves ou de crises internationales majeures, la SARA produit des carburants de qualité dans les normes européennes et en quantité suffisante. Et nous le faisons depuis 50 ans sans faille.
Et enfin, ça serait une catastrophe pour la recherche, pour l'innovation technique et technologique. La SARA est l'une des seules entreprises aujourd'hui à pouvoir investir et à réfléchir avec nos jeunes, nos chercheurs, nos équipes, nos ingénieurs, aux solutions de demain pour la transition énergétique vitale à nos territoires.
Quels pourraient-être les perspectives pour la SARA, alors que le rapport ne semble pas convaincu par un avenir lié au raffinage, ni même par une activité de biocarburants.
Nous avons une vision ambitieuse pour l'avenir de la SARA, qui inclut non seulement le maintien de nos capacités de raffinage, mais aussi le développement de projets innovants dans les énergies renouvelables, comme les biocarburants. Nous avons engagé des discussions constructives avec les autorités locales et nationales sur ces projets, qui pourraient générer des centaines d'emplois dans les décennies à venir. Il est regrettable que le rapport ne prenne pas en compte ces perspectives positives.
Quelles sont vos propositions à vous SARA, indépendamment de ce rapport pour faire baisser de manière plus significative les prix des carburants ?
Nous avons proposé plusieurs ajustements, notamment une plus grande flexibilité dans la gestion de la formule des prix et l'intégration de nouveaux produits dans le mix énergétique. Nous avons également souligné l'impact des Certificats d'Économie d'Énergie (C2E), une taxe qui ajoute actuellement 6 à 7 centimes par litre et pourrait doubler d'ici 2026. Ces mesures permettraient de réduire les coûts tout en soutenant la transition énergétique.
Quelles suites réservez-vous à ce rapport ?
Ce rapport ne nous détournera pas de notre mission. Nous continuerons de collaborer avec les collectivités locales et l'État pour trouver des solutions durables qui répondent aux véritables besoins énergétiques de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique. Nous restons déterminés à défendre notre modèle économique et notre rôle stratégique dans la région.