Polynésie : Face au fléau de la méthamphétamine, Moetai Brotherson propose un centre de désintoxication sur un atoll isolé et inhabité

Polynésie : Face au fléau de la méthamphétamine, Moetai Brotherson propose un centre de désintoxication sur un atoll isolé et inhabité

Invité de notre partenaire Radio 1 Tahiti, le président de la Polynésie dit travailler, dans le cadre de son plan de lutte contre la méthamphétamine, sur l’idée d’un grand centre de désintoxication à ciel ouvert. Sa cible : Anuanuraro, atoll inhabité des Tuamotu et propriété du Pays depuis son rachat en 2002. Le projet est juridiquement délicat, techniquement assez complexe pour que la maire de la commune de Hao, à laquelle l’atoll est rattaché, s’interroge sur ce choix… Mais Moetai Brotherson, lui, veut continuer de travailler sur le projet.

Une semaine après avoir dénoncé la « défaillance » -ou en tout cas l’action « insuffisante »- de l’État, le président est revenu, sur le plateau de l’Invité de la rédaction de Radio 1 Tahiti, sur la question de la lutte contre la méthamphétamine (appelée localement ice, drogue de synthèse qui connaît une expansion considérable dans la société polynésienne).

Avec, comme réponse à la procureure de la République, un message : le Pays s’investit bien dans sa part de compétences. Ou en tout cas il essaie de le faire. Car Moetai Brotherson, hormis une campagne de sensibilisation anti-ice déjà lancée dans la rue et qui doit « s’intensifier, aller dans les écoles et partout où il faut toucher les gens », parle surtout de « projets ».

Comme le projet que le chef du gouvernement baptisé « Maohi Dogs », et auquel il « tient vraiment », qui consiste à créer une filière de dressage local chiens détecteurs de drogue pour les mobiliser auprès des forces de l’ordre dans toutes les communes. Ou les projets d’associations, sur lesquelles le gouvernement -conscient de ne pas avoir la « capillarité » nécessaire pour agir efficacement dans tous les quartiers et toutes les communes- veut s’appuyer pour mettre en place des actions de prévention et d’accompagnement de terrain. 

« On peut trouver une formule » sur la base du volontariat des dépendants

Mais il s’agit surtout d’avancer dans la « prise en charge » -aujourd’hui largement défaillante, alors que c’est une compétence du Pays- des dépendants. Pour ça, la Polynésie attend depuis 2012 un pôle de santé mental, dont la construction au Centre hospitalier a buté sur divers écueils politiques, techniques ou juridiques. « Il va enfin pouvoir ouvrir, d’ici la fin de l’année », assure le président du Pays.

Ce pôle doit abriter une première unité d’hospitalisation pour le sevrage, le suivi post-cure et les consultations de jour en addictologie, qui fera office de rattrapage du retard de la sous-dotation historique de ces services médicaux en Polynésie. Mais pas de quoi assurer une prise en charge à la mesure du problème de l’ice pointe d’ores et déjà l’élu.

Alors que le nombre de consommateurs en Polynésie était estimé à 10 000 personnes en 2022, le président du Pays communique depuis quelques mois sur le chiffre de 30 000 Polynésiens concernés par des usages ponctuels ou réguliers. « Un chiffre à affiner », précise-t-il, mais qui invite quoiqu’il arrive à « de nouvelles idées ».

Et Moetai Brotherson en a une : dédier une île entière à l’accompagnement des personnes dépendantes. Et même si ce projet bute de prime abord sur des problèmes de légalité et de compétence avec l’État, cette île, le président l’a déjà choisi. « Je suis quelqu’un d’assez obstiné, je ne vais pas dire têtu, j’ai toujours cette idée un peu folle de convertir Anuanuraro en centre de désintoxication », précise-t-il. « Effectivement pour l’instant la réponse qu’on m’a opposée, c’est que c’est un centre de détention à l’air libre, et que ça reste du domaine régalien, mais je pense qu’on peut trouver une formule. Si c’est fait sur la base du volontariat, je pense qu’on peut. On continue de réfléchir ».

Anuanuraro ? « Il n’y a rien », interpelle maire de Hao

Situé à 360 kilomètres de Hao, sa commune de rattachement, Anuanuraro fait partie, avec l’île privée de Guy Laliberté, Nukutepipi (où le milliardaire a construit un complexe hôtelier très haut de gamme) et de Anuanurunga, qui avait été mis en vente par ses propriétaires en 2021, d’un trio d’atoll isolés dans le Sud des Tuamotu.

Mais sa vingtaine d’hectares de terres émergées, qui forment un carré autour d’un petit lagon, sont bien la propriété du Pays, qui l’avait racheté en 2002 à Robert Wan. Un achat pour 850 millions de francs ordonné par Gaston Flosse en pleine difficulté financière de l’empereur de la Perle, et qui avait valu à l’ancien président et à l’homme d’affaires des soupçons de détournement de fonds publics. Les deux hommes avaient été définitivement relaxés en 2017 mais l’atoll n’avait, malgré les annonces régulières de la présidence, jamais fait l’objet d’un développement hôtelier.

À défaut de touristes, des dépendants à l’ice en cure de désintox ? « Je n’ai pas compris cette annonce et je l’ai entendue en même temps que tout le monde », répond Yseult Butcher-Ferry. La maire de Hao dit « n’avoir aucun problème » avec Moetai Brotherson, « qui a de bonnes idées ». Elle soutient même « entièrement » celle d’un centre de désintoxication « pour aider nos jeunes ». Mais le choix de cet atoll sans équipements si ce n’est une piste d’aviation aujourd’hui inutilisable, a « vraiment surpris » l’élue. 

« Comment faire ? » s’interroge l’édile. « Parce qu’il va falloir toutes les structures qu’il va falloir mettre en place. Si on veut vraiment qu’on fasse quelque chose pour aider toutes ces associations qui luttent contre l’ice, il faut en parler à d’autres tavana (maires, ndlr), trouver un endroit où il y a des structures qui sont mises en place. Mais aller à Anuanuraro, je n’ai rien contre le président, mais je ne sais pas s’il connait l’atoll. Je suis passé à côté, il n’y a rien ». 

La maire compte bien aborder le sujet avec le président du Pays lors de leur prochaine rencontre. Interrogé sur les anciennes perspectives d’hôtel 5 étoiles sur l’atoll, Moetai Brotherson répond en souriant : « Ce sera un hôtel 5 000 étoiles, puisque si on lève les yeux, on en voit plein ».

 Charlie René pour Radio 1 Tahiti