Interview exclusive.Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du Plan chlordécone IV : « On ne peut pas revenir en arrière, mais nous devons aller de l’avant pour protéger les populations »

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Interview exclusive.Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du Plan chlordécone IV : « On ne peut pas revenir en arrière, mais nous devons aller de l’avant pour protéger les populations »

Ce début de semaine a marqué le lancement du portail www.chlordecone-info.fr, un site qui centralise pour la première fois l’ensemble des informations et dispositifs liés à la pollution à la chlordécone aux Antilles. Son objectif : répondre à une forte attente de transparence et d’accès à des données fiables, en proposant aux citoyens des outils pratiques pour mieux comprendre les risques, tester leur environnement, protéger leur santé et accéder aux dispositifs d’indemnisation ou de soutien. À l’occasion de ce lancement, Edwige Duclay, directrice de projet chargée de la coordination du Plan chlordécone IV, a accordé un entretien à Outremers360 où elle dresse un état des lieux complet.

 

Outremers360 : Pouvez-vous rappeler quelle est votre mission dans le déploiement du Plan chlordécone IV ?

Edwige Duclay : En tant que directrice de projet en charge de la coordination du Plan chlordécone IV, rattachée au directeur général des Outre-mer et au directeur général de la Santé, ma mission consiste à coordonner la mise en œuvre de ce plan qui comporte une cinquantaine d’actions. Cela signifie travailler avec neuf ministères impliqués au niveau national et, au niveau local, avec les préfets et les agences régionales de santé en Martinique et en Guadeloupe. Mon rôle est de faciliter la mise en œuvre, d’impulser, de coordonner, de rendre des comptes régulièrement, mais aussi d’être à l’écoute des associations, des élus, des citoyens. Mon objectif est que ce plan soit concret et opérationnel.

Quelle est la particularité du portail www.chlordecone-info.fr ?

Edwige Duclay :  Dès 2021, lorsque la stratégie chlordécone IV a été lancée, une demande forte est apparue : plus d’informations, plus de transparence, un accès facilité. Les habitants voulaient savoir : comment faire tester mon sol gratuitement ? Quels sont les risques de contamination ? Comment me protéger ? Quels dispositifs existent pour être indemnisé ? Ce portail a été conçu pour répondre à ces attentes. Il rassemble des informations claires, accessibles à tous, sur les contrôles mis en œuvre, les solutions concrètes, les démarches à suivre. L’idée est de donner à chacun les moyens d’agir.  Il a été co construit avec les nombreux partenaires engagés : les chlor'acteurs  (services de l'Etat, agences régionales de santé, associations, experts scientifiques ,...) : c'est un outil en commun.

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Où en est la stratégie chlordécone aujourd’hui ?

Edwige Duclay : Cela fait un peu plus de quatre ans que je suis en poste. Le Plan IV marque une véritable accélération par rapport aux précédents. L’ambition, c’est d’informer les populations, de protéger leur  santé, et de prendre en charge les impacts de cette pollution. Lorsqu’on a de la chlordécone dans le sang, ce n’est pas une fatalité : on peut l’éliminer en modifiant son alimentation. Réduire l’exposition alimentaire est la priorité. Les contrôles de l'Etat ont été renforcés dans les points de vente, mais aussi sur les circuits informels, comme les ventes de bord de route.

Depuis 2023, l’État prend en charge le surcoût du traitement de l’eau potable par charbons actifs en Martinique et en Guadeloupe. Résultat : 100 % de conformité en Martinique, 97,4 % en Guadeloupe. Chacun peut gratuitement faire tester son jardin, ses œufs, ses légumes racines. Et chacun peut aussi mesurer son taux de chlordécone dans le sang. Depuis 2021, près de 60 000 analyses ont été réalisées. Les agences régionales de santé déploient ce dispositif. Selon les résultats, des recommandations alimentaires sont faites. Et si le taux est élevé, la personne est accompagnée par des professionnels de santé et de nutrition. En quatre à six mois, on peut diviser par deux son taux si l’on ne consomme plus d’aliments contaminésUn effort particulier est fait pour les femmes enceintes : En Guadeloupe, les sages-femmes ont été formées pour proposer un test de chlordécone. Cela permet un accompagnement personnalisé afin de réduire l’exposition. Depuis 2024 deux centres régionaux de pathologie professionnelle et environnementale ont ouvert, l’un en Martinique et l’autre en Guadeloupe, rattachés aux CHU. Ils permettent une prise en charge pluridisciplinaire des personnes très exposées, et en particulier les travailleurs agricoles.

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Outremers360 : Et concernant l’indemnisation des victimes ?

Edwige Duclay : Les travailleurs agricoles exposés aux pesticides, dont la chlordécone, peuvent développer des maladies comme le cancer de la prostate, certains cancers du sang ou la maladie de Parkinson. Depuis fin 2020, ils peuvent être indemnisés via le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides. Cela concerne aussi leurs enfants s'ils ont été exposés avant la naissance. Pour les accompagner, nous finançons l’association Phyto-Victimes, qui a ouvert une antenne en Martinique et en Guadeloupe. Elle aide gratuitement les victimes, qui le souhaitent, à constituer leur dossier. Mais ce dispositif est encore trop mal connu. Nous avons donc lancé des campagnes radio, distribué des flyers dans les cabinets médicaux, mais il faut continuer à mieux informer. La communication est essentielle. Des campagnes d’information ont été lancées et, grâce à un accord-cadre signé avec l’Association des maires de Martinique, des animations sont organisées dans les communes : conférences, ateliers de jardinage, interventions sur les marchés et dans les écoles.

Qu’en est-il des impacts socio-économiques ?

Edwige Duclay : La pollution à la chlordécone affecte aussi les pêcheurs et les éleveurs. Des zones d’interdiction de pêche ont été mises en place, obligeant certains pêcheurs à aller plus loin. Pour les soutenir, une aide financière spécifique a été instaurée depuis 2022. Les citoyens sont encouragés à acheter leur poisson auprès de pêcheurs professionnels respectant les zones d'interdiction de pêche, identifiés  par un macaron. Les éleveurs bovins sont également concernés, car leurs animaux peuvent être contaminés. Désormais, des analyses de sol et d’eau, ainsi que des prises de sang gratuites pour le bétail, permettent de mieux prévenir les risques. Des solutions techniques existent pour réduire la contamination, voire décontaminer les animaux. Une prime allant de 160 à 200 € par animal est versée aux éleveurs respectant les protocoles, afin de compenser les surcoûts.

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La défiance des citoyens reste forte…

Edwige Duclay : Oui, la défiance est réelle et compréhensible. Mais le Plan chlordécone n’est pas seulement porté par l’État : nous travaillons avec des associations indépendantes, des collectivités, des organismes de santé. L’idée, c’est de mettre à disposition des solutions concrètes, d’être transparents sur ce qui avance et sur ce qui reste à faire. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, mais nous devons aller de l’avant. La colère et la défiance, nous les entendons. Mais nous encourageons chacun à travailler ensemble pour atteindre l’objectif : zéro risque chlordécone pour les Martiniquais et les Guadeloupéens.

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Où en est la recherche sur la dépollution des sols ?

Edwige Duclay : Le budget recherche est conséquent : 40 % du budget total du plan doté de 130 millions d’euros. Plusieurs pistes sont explorées : séquestration, destruction chimique ou biologique, phytoremédiation. Mais aucune solution n’est encore opérationnelle, même si des résultats sont prometteurs t en laboratoire. Un colloque scientifique est prévu en 2026. Ce sera un point d’étape important, mais cela ne veut pas dire que nous aurons déjà une solution opérationnelle. L’un de nos défis est de tester ces solutions grandeur nature et de vérifier qu’elles ne créent pas d’autres dangers.

Le portail chlordecone-info.fr permettra-t-il de suivre toutes ces évolutions ?

Edwige Duclay : Tout à fait. Nous voulons qu’il devienne un site de référence, un réflexe pour les habitants, les enseignants, les professionnels de santé, les journalistes. Il a été testé avec un panel de citoyens en Martinique et en Guadeloupe, et évoluera selon les retours.  Nous voulons aussi l’enrichir avec des vidéos, des témoignages. Une chaîne YouTube dédiée à la stratégie chlordécone est ouverte . Ce portail doit être vivant, s’adapter, évoluer. Nous travaillons déjà sur une version 2, avec une newsletter et d’autres fonctionnalités. Je souhaite qu’à l’horizon 2027, nous puissions dire que nous avons avancé : que chacun soit mieux informé, mieux protégé, des professionnels soutenus, et  aussi une recherche qui progresse. J'espère à terme, que la transparence permettra de regagner une partie de la confiance et de tendre vers le "zéro chlordécone".