INTERVIEW. Économie : « Nous avons besoin de visibilité » déclare Patrick Vial-Collet, président de la CCI de Guadeloupe

INTERVIEW. Économie : « Nous avons besoin de visibilité » déclare Patrick Vial-Collet, président de la CCI de Guadeloupe

©Outremers360 (archives)

Sans langue de bois et avec beaucoup de pragmatisme, le président de la CCI de Guadeloupe, Patrick Vial-Collet, fait le point sur l’année 2020 marquée par la crise sanitaire et économique du Covid-19, et dresse des perspectives incertaines pour 2021. « Le problème de ces perspectives, c’est que nous avons besoin de visibilité », explique-t-il, envisageant une « hécatombe » dans certains secteurs. Il s’exprime également sur le sauvetage de la compagnie Corsair, une nécessité selon lui, pour éviter un duopole et une hausse des prix dans un contexte déjà difficile dans les entreprises du tourisme. INTERVIEW. 

Outremers360 : L’année 2020 a été très particulière : quel bilan en tirez-vous et comment la CCI s’est mobilisée pour les entreprises guadeloupéennes ? 

Patrick Vial-Collet : Nous avons fait beaucoup d’informations et beaucoup de suggestions à ceux qui étaient chargés de gérer la crise. Il s’agit bien sûr de l’État, dans le cadre de l’État déconcentré du préfet de Guadeloupe et du Conseil régional compétent sur le développement économique. Nos propositions c’est : Comment éviter le maximum de fermeture d’entreprises ? Comment éviter les licenciements ? Comment traverser la crise ? Que faire pour être économiquement vivant une fois que le covid aura disparu ?

Il s’agit notamment de maintenir nos forces de production, nos emplois au-delà de la période covid. Pour se faire, il y a eu deux outils de l’État. Le premier, c’est l’activité partielle qui revient en quelque sorte à nationaliser les emplois du secteur privé pendant la période de la crise et l’inactivité.

Le deuxième, c’est le Prêt garanti par l’État (PGE) : permettre aux entreprises d’emprunter les recettes qu’elles n’ont pas faites, jusqu’à 25% de leur chiffre d’affaires de référence de l’année précédente.

Ces deux outils sont importants : le premier pour diminuer les charges du personnel, le deuxième pour payer de la trésorerie hors charges du personnel transférés à l’État dans une certaine limite, puisque les salaires très importants restent à charge. Cela a permis d’éviter le naufrage de beaucoup d’entreprises.

Concernant la Région Guadeloupe, il y a eu des prêts rebond, des aides aux petites entreprises, des crédits faits rapidement pour permettre aux très petites entreprises de traverser la crise. Les très petites entreprises étaient davantage aidées par la Région que par l’État.

On enregistre jusqu’à 140 jours d’inactivité dans certains secteurs, sur 365. Des fermetures forcées en raison des décisions du gouvernement, je pense aux restaurateurs, aux boîtes de nuit, à l’événementiel, et avec toutes les conséquences que ça peut avoir sur des économies très dépendantes du tourisme. Pour la Guadeloupe, c’est plus d’un milliard d’euros versé dans l’économie à travers les consommateurs, des touristes.

Tout ça fait qu’on arrive plus ou moins en vie au 31 décembre. Pour autant, les entreprises pensaient que le Covid-19 allait disparaître avec 2020 et il faut bien voir la réalité en face : il est encore bien présent en 2021, de nouvelles souches sont désormais connues et le pire est à craindre.

Vous parlez du tourisme justement. Est-ce que la fréquentation actuelle suffit à amortir la crise ? 

Depuis le jour où les motifs impérieux ont été levés, le 15 décembre, les Français métropolitains peuvent venir en Outre-mer avec les contraintes sanitaires puisque les restaurants sont ouverts au maximum avec six couverts, les bars et boîtes de nuit restent fermés et bien sûr les gestes barrières sont toujours présents.

Patrick Vial-Collet (au centre) en visite aux entreprises de Guadeloupe en plein confinement, en mai dernier ©CCI de Guadeloupe

Patrick Vial-Collet (au centre) en visite aux entreprises de Guadeloupe en plein confinement, en mai dernier ©CCI de Guadeloupe

On a eu effectivement une très forte demande sur les 15 derniers jours, plus précisément du 21 décembre au 4 janvier. Ça fait du bien, ça permet quand on a la tête sous l’eau sans oxygène, de prendre un peu d’air mais nous sommes très loin d’une saison touristique normale. Nous allons d’ailleurs terminer janvier aux alentours de -40% (de chiffre d’affaires pour les entreprises du tourisme, ndlr), en prévision pour février nous aurons -30%, et nous sommes sur une tendance pour la haute saison qui va se terminer à peu près à -40%. Je rappelle que la tendance de perte de chiffre d’affaires pour 2020 est fixée à -50% pour les meilleures, et jusqu’à -80% pour d’autres.

Est-ce que le tourisme local sauve un peu ce secteur ? 

Pour juillet et août 2020, avec les motifs impérieux sur la métropole, tout a été concentré sur le tourisme régional. Juillet et août, c’est la période où les habitants des Antilles françaises sont très friands des croisières. Mais les croisières étant suspendues, tout naturellement et avec une bonne dynamique de propositions et communication envers les voyageurs, on a pu récupérer sur la Guadeloupe et la Martinique une bonne partie de ces vacanciers. Sur ces deux mois, ça a permis d’atténuer la diminution du trafic. C’est une bonne chose.

On pourrait dire que sur l’année 2020, je retiendrais deux dates qui donnent l’espoir : juillet et août où on a réussi à faire un niveau d’occupation intéressant, et du 20 décembre au 4 janvier qui a été le bol d’air de la fin d’année. Pour le reste, c’est la catastrophe. Et deux mois et demi sur 12 mois, ça laisse 9 mois et demi de situation catastrophique, dont 4 mois complètement fermés.

Ça laisse apparaître des perspectives assez pessimistes pour 2021 ?

Le problème de ces perspectives, c’est que nous avons besoin de visibilité. D’abord de savoir comment s’estompe le virus. On nous a annoncé un vaccin : le vaccin de tous nos espoirs. Celui qui, compte tenu de l’efficacité et de la vitesse de vaccination, pourrait nous faire voir la fin du Covid. Mais on apprend qu’il y a une lenteur à la vaccination, sans compter le scepticisme dont font part beaucoup de Français -pour ma part j’irais me faire vacciner-. Je pense qu’il n’y a pas d’autres alternatives pour l’instant que d’accélérer le processus de vaccination pour permettre un retour à la normal et sauver nos économies.

Pour l’instant, nous n’avons aucune autre perspective, nous avançons au jour le jour, nous nous adaptons, nous nous préparons à une éventuelle 3ème vague, à des motifs impérieux. On voit bien qu’en métropole, il y a des zones en rouge qui fleurissent et il est clair que si nous passons encore par un confinement, en Guadeloupe ou dans l’Hexagone, notre activité va se réduire à néant.

Est-ce qu’à ce jour vous avez des chiffres concrets sur le nombre d’entreprises en faillite ou sur une éventuelle augmentation du chômage en raison de la crise sanitaire ? 

Selon moi, les entreprises ne sont pas encore en faillite grâce au PGE. Lorsqu’on vous donne de la trésorerie, vous n’arrivez pas à respirer mais on vous met sous respirateur artificiel. Ça fonctionne. Vous avez de la trésorerie, elle diminue, vous faites des pertes, mais pour l’instant vous pouvez payer. Le problème va se poser en fonction de la date des remboursements des prêts, c’est-à-dire dans les 12 mois suivants la date où le prêt a été pris.

Comment faire pour que les entreprises remboursent sur 5 ans des prêts représentant 25% de leur chiffre d’affaires ? Il faut faire au moins 5% de résultats nets alors qu’au moment où il faudra rembourser les prêts, les entreprises seront encore en période covid. Ce qui leur faudrait ce n’est pas de rembourser les prêts mais réemprunter de l’argent. C’est à ce moment-là qu’on verra le niveau de l’hécatombe. Il y aura beaucoup, beaucoup de morts d’entreprises.

Je pense que cela sera sans précédent, pas dans tous les secteurs. Mais dans ceux de la nuit, de l’événementiel, le tourisme, l’aérien : je pense que ce sera l’hécatombe.

Paradoxalement, vous faites partie du consortium ultramarin ayant sauvé la compagnie Corsair. N’est-ce pas un risque justement en pleine crise économique dans le secteur aérien, et alors même que cette compagnie était en difficulté ? 

C’est le contraire. Nous n’avions pas d’options. À l’origine, cinq compagnies desservent la ligne transatlantique : Air France, Air Caraïbes, Corsair, XL Airways, Level. XL Airways a disparu par faillite, Level n’a plus aucune intention de revenir sur ce marché. Si Corsair disparaissait, il ne resterait plus que deux compagnies : un duopole entraînant une diminution de l’offre et une augmentation des tarifs. Dans ces conditions, personne, en Outre-mer et à Paris, ne pouvait imaginer un duopole.

C’est pour cela que nous avons décidé avec un consortium, de réunir des fonds privés et publics, allant de Mayotte aux Antilles-Guyane. Il s’agissait d’associer un ensemble de partenaires privés et publics dans un sauvetage d’intérêt collectif. Sans cela, le redémarrage de l’économie touristique n’aurait pas été possible.

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Alors oui, cette opération comporte un risque. Mais le risque majeur pour nous n’est pas notre capacité à faire fonctionner la compagnie dans des conditions de concurrence normale, le risque c’est la durée de la crise, c’est-à-dire combien on va prendre pour maîtriser le covid et pour qu’une grosse partie de la population soit vaccinée.

Vous avez annoncé le déplacement du siège en Guadeloupe, et l’ouverture d’une ligne entre Lyon et Marseille vers La Réunion et Mayotte, le tout dans une stratégie de recentrage de la compagnie sur les Outre-mer. Quels sont vos autres projets ? 

Je ne dévoilerais pas des choses sur lesquelles les nouveaux actionnaires n’ont pas encore eu le temps d’échanger. Mais déjà nous serons beaucoup plus agiles sur les départs depuis les provinces de façon générale, nous avons supprimé le vol vers New York, nous maintenons le vol sur le Canada en période estivale, nous maintenons l’île Maurice également et bien sûr, Mayotte et la Martinique. Nous allons surtout faire en sorte d’être plus proches des consommateurs : développer des vols dès que possible avec des avions qui sont moins gourmands en fioul et plus adaptés à nos capacités.

Je rappelle que nous avons 5 Airbus A330Neo qui vont rentrer dans la flotte Corsair : 4 en 2021, et 1 en 2022, portant notre flotte à 9 Airbus. Ce sera une flotte rénovée que tout naturellement nous déploierons au départ de la métropole vers les destinations des Antilles, de l’Outre-mer et d’Afrique puisque nous pensons aussi renforcer notre destination Abidjan. Nous allons réellement renforcer nos destinations actuelles, et peut-être entrevoir de nouvelles routes avec ces 9 avions.

Justement en parlant de nouvelles routes et d’Outre-mer : à une époque, Corsair allait jusqu’en Polynésie française… 

Nous n’excluons rien, mais je ne vous donnerais pas davantage d’informations pour l’heure. L’ouverture d’une ligne, c’est quelque chose qui se prépare et lorsqu’on l’annonce, cela veut dire que tout est prêt. Sinon, on évite de faire des effets d’annonce.