Nommé commandant de la Gendarmerie Outre-mer, le général Pierre Poty a accordé sa première interview à Outremers360. Un entretien durant lequel il déroule ses priorités pour l’année 2025, et au-delà, entre la lutte contre la criminalité organisée, le renforcement de la coopération régionale, le rapprochement des forces de gendarmerie avec les populations locales et la prévention de la délinquance.
Ancien commandant de la Gendarmerie de Guyane puis de La Réunion, le général Pierre Poty était, jusqu’en début janvier, commandant en second de la Gendarmerie Outre-mer. Des terrains et des enjeux qu’il connaît donc, ce qui permet à l’institution une forme de stabilité au lendemain d’une année sensible sur le front de la sécurité, en Nouvelle-Calédonie, en Martinique ou à Mayotte, et marquée par le défi des Jeux olympiques.
Ses priorités pour les Outre-mer, le général Pierre Poty les veut en adéquation avec « les priorités du général Hubert Bonneau », directeur général de la Gendarmerie nationale, « qui est vraiment issu de l'opérationnel ». « Ça me convient parfaitement parce que dans les Outre-mer, c'est notre quotidien et on gère finalement quasiment que des problématiques opérationnelles ». La première de ces priorités -sans que cela n’induise un ordre d’importance puisqu’elles s’articulent entre elles- c’est la lutte contre la criminalité organisée, « souvent associé à une criminalité violente ».
« On pense prioritairement au trafic de stupéfiants, mais vous avez aussi du trafic d'armes, beaucoup dans les Antilles. Et puis, parfois aussi du trafic d'êtres humains qui peut prendre plusieurs formes. Une forme qu'on a l'habitude de voir, par exemple à Mayotte, qui va être liée à l'arrivée de migrants. Ces migrants n'arrivent pas par hasard, ils arrivent parce qu'il y a des filières d'immigration présentes, aux Comores mais aussi à Mayotte. Et puis, le trafic d'êtres humains, c'est aussi la prostitution ».
Cette criminalité organisée « s'inscrit dans un bassin de délinquance et concerne des pays limitrophes ». Ce qui implique, pour lutter, la nécessité de « poursuivre le développement de relations opérationnelles de proximité avec des forces de police des pays voisins ». « C'est absolument indispensable » insiste le général Poty. « On ne peut pas lutter contre la criminalité organisée si on ne le fait pas en coordination avec nos camarades des pays voisins. Ces pays voisins sont parfois des pays en difficulté économique, confrontés à une difficulté sociale importante où il peut y avoir de la corruption. Il faut qu'on puisse apporter une aide et un appui aux forces de sécurité des pays limitrophes, mais qu'en même temps, on soit capable aussi de coopérer sur le plan opérationnel ».
Le général Poty évoque pour exemple « l’attaché de sécurité intérieure qui a été mis en place à Sainte-Lucie », il y a environ un an. « Un progrès remarquable, indispensable parce que ça permet d'avoir une présence permanente, d'avoir de l'information qui remonte et de mettre en place des canaux de coopération qui soient vraiment opérationnels et efficaces ».
Le nouveau commandant de la Gendarmerie Outre-mer entend aussi « trouver une meilleure efficacité judiciaire ». « On n'est pas mauvais, on a des bons taux d'élucidation, mais on travaille souvent un peu en réaction ». En d’autres termes, il s’agit pour le général Poty « de travailler sur le renseignement criminel de manière plus efficace, de façon à essayer d'anticiper et en tout cas d'avoir une bonne connaissance des réseaux criminels sur nos différents territoires ». Le caractère insulaire de la plupart des territoires représente un avantage certain pour développer le renseignement criminel. Mais le général Poty cite l’exemple de la Guyane pour illustrer son propos.
En Guyane, « on a vraiment travaillé depuis deux ans sur les factions armées brésiliennes, des groupes paramilitaires créés au Brésil et qui ont commencé à s'installer » dans le département voisin. « Quand on travaille juste sur un homicide, on peut être amené à identifier l'auteur des faits. Mais si on ne restitue pas cet homicide dans l'organisation criminelle des factions armées brésiliennes, on passe à côté de l'essentiel, parce que cet homicide a été commandité pour une raison qui nous appartient de découvrir, mais dans le cadre de l'action des factions armées brésiliennes. La connaissance de ces factions est absolument indispensable pour pouvoir résoudre plus rapidement des faits qui sont commis, mais aussi essayer d'empêcher que d'autres se commettent. L'objectif, c'est bien de démanteler ces structures » détaille le général qui entend ainsi « passer d'une logique de traitement d'un fait au démantèlement d'une structure criminelle ».
« La troisième priorité, c'est la logique de proximité ». Une logique que le général Pierre Poty appelle « l'intelligence territoriale » : « c'est-à-dire la compréhension du territoire sur lequel on évolue. Ça suppose d'avoir une bonne connaissance des territoires, des gens, des attentes de la population ». Le commandant de la Gendarmerie Outre-mer défend ainsi l’intégration des gendarmes au sein des populations afin « d’assurer un service de sécurité qui soit complètement adapté à ce dont elles ont besoin ».
« Par définition et par construction, le gendarme est proche de la population. Pour autant, il faut qu'on entretienne cette proximité parce que c'est un gage d'efficacité opérationnelle. Cette proximité n'est pas hors sol. La connaissance des personnes, des lieux, des attentes de la population, c’est important. Et ça, ça alimente aussi l'efficacité opérationnelle dans le domaine de la police judiciaire, dans le domaine du ciblage des patrouilles ». Le général Poty cite des exemples d’expérimentations, mises en place dans des quartiers sensibles de Saint-Martin ou La Réunion, sillonnés par de petites unités au contact direct des habitants.
« Au bout d'un moment, ils connaissent absolument tout le monde. Ils règlent les problèmes du quotidien de la population. Ça renforce encore ce lien de confiance parce qu'ils s'aperçoivent que finalement, nous sommes à leur service ». Une « proximité utile et efficace » défend le général Poty. « Ça démontre que dans ces quartiers qui sont parfois réputés perdus, on peut amener les gens à accepter de revenir un peu dans la société, y compris ceux qui s'y mettent en marge. Ça ne régule pas tout, mais en tous cas, ça met en place un lien de proximité et de confiance avec ces populations ».
Enfin, l’autre objectif que le général Poty tient en ligne de mire, c’est la prévention contre la délinquance. Un sujet sur lequel la Gendarmerie « doit être un fédérateur des énergies ». « Les Outre-mer, c'est la jeunesse. Ce sont souvent des territoires très dynamiques sur le plan de la natalité, où on a une forte proportion de jeunes, mais où il y a peut-être le moins de perspectives pour eux. Il faut faire l’effort sur cette jeunesse parce qu'une jeunesse qui est désespérée, perdue, qui a l'impression d’être délaissée, va basculer soit dans la délinquance, soit dans la dénonciation de l'organisation de la société ».
Pour le commandant de la Gendarmerie en Outre-mer, la jeunesse des territoires « a besoin de trouver sa place ». « La prévention de la délinquance, c'est avant tout être capable de donner des perspectives, des projets et un espoir à cette jeunesse qui est fougueuse, prête à s'engager ». Lorsqu’il était commandant de la Gendarmerie à La Réunion, le général Poty avait notamment créé les cadets, en collaboration avec l’Académie, qui identifiait les jeunes en début de « dérive ». Ces derniers intégraient la Gendarmerie, sur un temps donné, dans le cadre d’une sorte de stage.
« On faisait de la cohésion, on expliquait un certain nombre de choses, des valeurs, on inculquait le travail en groupe ». Une notion importante qui permet aux jeunes en difficulté de passer « d’un terrain individuel à un groupe où chacun à sa place à trouver ». « Et on y a intégré ce qu'on appelait les actions de service : nettoyer une plage qui était sale, enlever des espèces invasives dans le parc national, distribuer des repas avec la Croix-Rouge ». À la clé, un diplôme attestait du contrat rempli pour ces jeunes, revalorisés, dans le cadre d’une cérémonie solennelle.
« Il y a des jeunes viennent me voir, et me disent : « Vous savez, c'est la première fois de notre vie qu'on nous a dit que ce qu'on faisait, c'était bien » », confie le général. « Ce sont des gamins de 17-18 ans, à qui on a dit qu’ils étaient des ratés, des nuls, qui ne feraient rien de leurs vies ». « On ne va pas sauver le monde. Mais chacun, à sa place, on peut faire une part et ces petites actions-là sont importantes. Je souhaite que les « COMGEND » s'inscrivent dans cette logique aussi de prévention de la délinquance », insiste le général Poty qui appelle de ses vœux à une action « collective », rassemblant la Gendarmerie, l’Éducation nationale, les bailleurs sociaux ou encore la justice, pour construire ces perspectives pour les jeunes.
