Le 1er janvier 1804, Haïti arrachait son indépendance à la France après avoir battu les troupes napoléoniennes, devenant la première république noire du monde. Mais le succès de cette révolution tournera court. Le pays sera obligé de payer une énorme « dette d’indépendance » à Paris durant 127 ans, ce qui causa en partie ses difficultés économiques, alors que l’île s’engouffre actuellement dans une crise sans fin.
Haïti, dite « Perle des Antilles » pour certains, fut plutôt une usine à sucre infernale pour la majorité de ses habitants. À partir des années 1770, la partie française de Saint-Domingue (l’autre étant sous la domination des Espagnols), était devenue le premier producteur mondial de sucre et rapportait des bénéfices colossaux. Mais à quel prix. L’île comptait la plus grande concentration d’esclaves des Amériques, soit 500 000 hommes (sur une population de 523 000 habitants), autant qu’aux Etats-Unis ! Durant cette période, la traite transatlantique ramenait en Haïti environ la moitié de la totalité du trafic négrier.
C’est justement le déséquilibre démographique, 85% d’esclaves noirs contre 5,6% de Blancs, qui allait faire basculer la situation. En 1791, une grande insurrection éclate et force la France alors révolutionnaire à penser à l’abolition du système servile. Sur place, elle impose sa suppression en août 1793. En février 1794, la Convention proclame à Paris l’abolition de l’esclavage dans toutes ses colonies et le général noir Toussaint Louverture est nommé gouverneur général de Saint-Domingue. La collectivisation se substitue au système des plantations.
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Mais c’est sans compter les revirements de l’histoire et la prise du pouvoir en France par Napoléon Bonaparte en 1799. Ce dernier a une ambition : développer la Louisiane française en prenant appui sur Saint-Domingue. Face à lui, le gouverneur Toussaint Louverture qui de surcroît commerce avec les Etats-Unis, faisant fi des instructions de l’exécutif. Comptant sur l’esclavage pour développer la Louisiane et craignant de plus que l’exemple haïtien ne fasse des émules dans les autres colonies françaises, Bonaparte expédie en décembre 1801 une flotte de 50 000 hommes commandées par son propre beau-frère, le général Leclerc. Toussaint Louverture est arrêté en juin 1802 et transféré au Fort-de-Joux en France, où il décèdera quelques mois plus tard.
En dépit de la déportation de Louverture et de l’envoi d’hommes en renfort, les soldats napoléoniens sont décimés sous les coups portés par les généraux Jean-Jacques Dessalines, Henri Christophe et Alexandre Pétion, aidés providentiellement par une forte épidémie de fièvre jaune qui emporte environ un tiers des Européens. Les Français sont militairement et définitivement vaincus à la bataille de Vertières le 18 novembre 1803. Après des pourparlers d’une journée avec le capitaine-général Rochambeau, à la tête de l’armée coloniale, un accord est signé. Les Français ont dix jours pour évacuer l’île qui se proclame officiellement, le 1er janvier 1804, République d’Haïti, ancien nom du territoire au temps des Indiens caraïbes.
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Toutefois l’histoire ne s’arrête pas là. Pressé par le lobby des colons, le roi Charles X décide en 1825 de reconnaître l’indépendance du jeune État haïtien contre un montant de 150 millions de francs-or pour « dédommagements », sous peine d’un blocus total, soutenu par d’autres nations occidentales. Un montant astronomique pour l’époque, qui représentait la totalité des revenus d’Haïti sur une année. Incapable d’honorer cette somme, l’île est en plus obligée d’emprunter à la France dans des montages financiers complexes et opaques. En 1838, le roi Louis-Philippe 1er ramène la dette à 90 millions mais Haïti ne finira de rembourser les intérêts qu’en 1952 !
Et aujourd’hui ? Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, Haïti, dont la situation n’était déjà guère brillante, est tombée dans une crise sans précédent. L’Etat est en faillite et sans institutions réellement fonctionnelles. L’économie ne tourne quasiment plus et les quelque 70% de personnes vivant sous le seuil de pauvreté tentent de survivre grâce à la débrouille. La présidence est toujours vacante. Aucune élection n’a pu avoir lieu depuis 2016. Des gangs armés se finançant notamment grâce à des kidnappings contrôlent une partie du pays et environ 80% de la capitale. Devant le désarroi de la population, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé d’envoyer sur place une mission multinationale dirigée par le Kenya pour tenter de rétablir l’ordre avec ce qui reste de la police haïtienne. La mission devrait commencer son déploiement début 2024.
PM