Comment réunir pour un cours des élèves éparpillés sur des dizaines de kilomètres ? Depuis bientôt un an, ceux de la 6e D du collège Gran Man Difou de Maripasoula, au cœur de la Guyane amazonienne, expérimentent la classe par écrans interposés.
Difficile de faire plus enclavé que Maripasoula. Faute d'une route les reliant au réseau du territoire, ses quelque 10 000 habitants ne peuvent y arriver ou en sortir que par avion ou par pirogue. Circonstance géographique aggravante, la commune de l'ouest guyanais s'étend le long des berges du fleuve Maroni, à la frontière du Suriname, entre un bourg et plusieurs villages amérindiens.
Jusqu'à la rentrée 2023, lorsque les enfants de ces lointains hameaux atteignaient l'âge d'entrer en 6e, ils n'avaient d'autre choix que de s'installer à l'internat du collège du bourg pour toute l'année scolaire. Certains étaient hébergés par des membres de leurs familles. Grâce au dispositif « Guyane connectée », doté d'un budget de 18 millions d'euros sur cinq ans, les élèves « isolés » de 6e D du collège Gran Man Difou ont pu poursuivre leur scolarité sans déménager.
Ce jour-là pour la classe, c'est l'heure du cours de maths de Josué Popou. Huit élèves sont assis face à lui, les 30 autres les ont rejoints depuis les villages (ou « écarts ») Kayodé, Antecume Pata et Taluen via un système de caméras et de micros. « Ce n'est pas si facile », commente le professeur, même si le dispositif s'est amélioré avec le temps. Aujourd'hui, il peut interroger un élève de Kayodé ou de Taluen, l'envoyer résoudre un problème au tableau et corriger sa réponse en direct.
« Ça ne se fait nulle part ailleurs », souligne avec une pointe de fierté le recteur de l'académie de Guyane, Philippe Dulbecco. « La qualité de l'enseignement à distance est équivalente à celle de l'enseignement en présentiel », assure-t-il. Dans leurs villages désormais connectés, les élèves sont encadrés dans leur langue maternelle wayana par des assistants pédagogiques. « On traduit pour les élèves lorsqu'ils ne comprennent pas les mots du professeur » dit Asaukili Zenaïde, qui exerce à Taluen.
Rester au village
En cas de contrôle, Josué Popou distribue énoncés et questions via l'une des pirogues-taxis qui sillonnent le Maroni. Les élèves planchent sous la surveillance des assistants, qui renvoient ensuite leurs devoirs au professeur pour correction. « Mathis, tu m'entends ? », demande le professeur d'anglais. Sa voix parvient un peu saturée aux élèves d'Antecume Pata, à environ une heure de pirogue du bourg de Maripasoula.
Sur le tableau du bâtiment tout neuf relié au collège, les mots de l'enseignant apparaissent sur un tableau, comme s'il les écrivait devant ses élèves. « Je préfère rester ici », assure l'une d'elles, Taïssa Alakasilu, « je suis près de ma famille, ils sont contents ». Le lien est plus difficile avec ses camarades de classe, qu'elle croise rarement. « Des rencontres entre élèves sont organisées », s'empresse de préciser le recteur, « une semaine à la rentrée, plus une semaine par trimestre ».
Les parents se félicitent de l'arrivée de « Guyane connectée ». Okineike Maténau habite Pidima, l'un des villages les plus éloignés du bourg et qui n'est pas relié au collège. Mais sa fille aînée peut suivre les cours dans l'annexe d'Antecume Pata, à une vingtaine de minutes seulement de navigation. « Elle part tous les jours à 6h30 et rentre à 18h00, sa sœur fera pareil en septembre », se réjouit son père. Fort de ses premiers succès, le projet est appelé à se développer dès la rentrée 2024 en étant étendu aux élèves d'une classe de 5e du collège de Maripasoula.
Le recteur annonce aussi que deux autres villages, Apagui et de Monfina, seront connectés au collège. Et de l'autre côté de la Guyane, sur le fleuve Oyapock frontalier du Brésil, les villages de Trois-Sauts et de Trois-Palétuviers (est) doivent être reliés de la même façon au collège de Saint-Georges. Avant d'autres, promet déjà Philippe Dulbecco.
Avec AFP