Évacuée en une petite phrase « le foncier n’est pas le problème » par Ivan Martin directeur de la DGTM, la question nous semble pourtant au cœur des problèmes en Guyane. Dans ce pays détenu à 94% par l’État et où la population ne cesse de grossir, il faut plus de terres pour l’autonomie alimentaire comme pour l’autonomie énergétique.
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Avec les accords de 2017, un engagement de rétrocession de 20 000 et 400 000 ha a été pris. Il se heurte à un conflit autour des chiffres et à un problème culturel : chez les amérindiens, le droit coutumier ne reconnait pas la propriété privée et seules les communautés peuvent acquérir des droits (souvent d’usage plus que de propriété). En ce qui concerne le choix des zones de rétrocessions foncières aux agriculteurs et aux peuples autochtones, la problématique est donc compliquée. On attend les conclusions des trois groupes de travail mis en place par le ministre Jean-François Carenco.
Mais sans attribution foncière et sans règles prédéfinies, à quoi bon cultiver un sol ingrat, ou fournir des débris végétaux pour la biomasse ? L’agriculture a besoin de nouveaux installés avec une exploitation de taille suffisante pour mener une vie décente. L’INRAE Antilles-Guyane, dont le centre en Guadeloupe est sous la responsabilité d’Harry Ozier Lafontaine se mobilise sur cette question : 4 000 ha sont en cours d’aménagement pour être déforestés et pour alimenter les projets de biomasse (5M de tonnes avec 50 000 tonnes/an), tout en permettant l’installation d’un projet agro écologique.
« Nous nous livrons à une expérience de défrichement à faible impact, de compensation écologique grâce à des arbres multi espèces (5 ou 6 espèces de tachigali commercialisables) replantés pour une jachère active, une réhabilitation des sols, et in fine pour la biomasse. Puis nous allons y expérimenter sur les 150 ha d’abattis limitrophes, du pâturage, du maraichage en vue d’un système sylvopastoral avec des gens qui ont une vision agro forestière. »
Mais l’idée principale est le test sur des zones dégradées « des plantes de services » ou de couverture, des légumineuses fixatrices d’azote accompagnés d’amendements organiques. Une fois les sols régénérés ils devraient permettre la culture des fruitiers du café, du cacao.
« Nous cherchons la pertinence dans la différence, en trouvant la bonne place entre les réglementations européennes et les réalités tropicales », nous explique Harry Ozier Lafontaine. « Nous avons trois défis à relever : faire face aux changements climatiques, retrouver de la sécurité alimentaire avec la reconquête des produits locaux, sauvegarder notre biodiversité et la relier à des filières agricoles nouvelles et plus autonomes, en mettant les petits agriculteurs au cœur du processus. Donc, d’abord faire l’inventaire de nos richesses : racines, légumineuses, toutes les sortes de protéines dont aura besoin le monde, ensuite faire une analyse multicritères : habitudes de consommation, capacités de transformations…, et enfin évaluation des coûts et des contraintes environnementales avant de créer nos bases de données et de lancer les projets. Pour cela nous avons choisi l’agro biodiversité. L’idée est de développer sur un même espace de 4/5 ha, toutes sortes de cultures, de la polyculture et de l’élevage.Nous tentons de recréer des surfaces foncières, de réhabiliter des friches, de créer des jardins familiaux. Nous cherchons surtout comment mieux produire sur ces petites surfaces. Les fruits, les légumineuses et les oléagineux de l’Amazonie, leur biodiversité, est peu valorisée hors du contexte amazonien ».
L’exemple de Monsinery
Le 14 février 2023, lors de la commission française d’attribution foncière de la préfecture, la commune de Montsinery recevait 400 ha gratuit du domaine privé de l’État (prochaine commission 9 Novembre prochain). Alors que nous étions sur les terres de Montsinery-Tonnegrande à l’écoute des conseillers municipaux, le maire Patrick Lecante était à Paris en réunion pour l’OFB où il déclarait devant les ministres Sarah El Haïry et Christophe Béchu : le drame de la Guyane « était sa nature « vierge » immense. Mais « L’enfer vert » est aujourd’hui un atout majeur pour notre pays. Nous avons des ressources, nous avons les volontés, il nous manque du capital et un cap, clair et ambitieux. Il nous manque des exemples de réussite pour emmener la Guyane vers le chemin de la valorisation économique de la biodiversité. Il nous manque peut-être aussi un intérêt de la part de l’État. Le temps presse ; nous sommes prêts. »
Si demain la Guyane veut atteindre son autonomie alimentaire et énergétique, elle devra répondre aux objectifs que lui fixe Paris et l’Europe. La commune de Montsinery l’a compris. Elle tente d’associer les demandes d’approvisionnements de sa centrale BEM (Bio-Énergie Monsinery) avec la création de filières. Dès le 1er novembre 2023, la centrale fonctionnera à partir d’une ressource endogène (des grumes) avant de se fournir chez des agriculteurs et de récupérer ce qui peut l’être avant brulis des abattis. Mais on évoque aussi la ressource brésilienne. Ira-t-on chercher chez le voisin la déforestation évitée chez soi ?
Même si des friches ont été aménagées, des cultures de canne plantées pour de la bagasse, les « déchets verts » seront insuffisants. Alors il faudra envisager de laisser quelques terres aux plantations industrielles qui font grincer des dents. On ne retrouvera pas de toute façon la forêt primaire. A-t-elle d’ailleurs existé ? Les ordres de reforestation des sites industriels donnent naissance avec difficultés à de nouveaux sites forestiers, l’expérimentation est intéressante, et l’on a compris qu’il fallait éviter les erreurs du « plan vert » avec la plantation d’une mono-espèce (pins) venue d’ailleurs.
Dominique Martin Ferrari