La contestation en Guadeloupe « est une manifestation conjoncturelle d'une crise structurelle », explique Pierre-Yves Chicot, maître de conférence à la faculté de droit de Pointe-à-Pitre et avocat, estimant comme d'autres experts qu'il ne faut pas prendre ce mouvement social à la légère.
Partie de l'obligation vaccinale des personnels hospitaliers et des pompiers, la crise a largement dérivé depuis vers d'autres motivations, pas toujours lisibles, mais que l'universitaire attribue à plusieurs facteurs. Elle est d'abord liée selon lui au « sous-emploi » et à « l'augmentation de la pauvreté » depuis le début de la crise Covid.
Le Département avait alerté fin 2020 : chaque jour un millier de demandes de RSA était formulé auprès de ses services. Selon l'Insee, le taux de chômage s'établissait à 17% en 2020 et touchait un jeune de moins de 29 ans sur trois. Un tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté. « La situation ne s'est pas améliorée et de plus le coût de la vie augmente », estime Pierre-Yves Chicot, notamment l'essence dont le tarif dépasse 1,70 euro pour le sans plomb.
« Il y a aussi une question de santé mentale », déclare l'universitaire, rappelant une statistique donnée par l'Insee début novembre, selon laquelle un Antillais sur six souffre de symptôme de dépression. « Cette crise résume le mal-être économique et social de la Guadeloupe, et notamment pour sa jeunesse : celle qui ne sait pas lire, pas écrire, qui quitte l'école en 3e, et qui ne voit pas d'opportunité pour elle », résume Pierre-Yves Chicot, faisant références aux jeunes qui tiennent les barrages routiers, un peu partout dans l'île. « Vaccin ou pas vaccin, ces moment-là sont ceux qui permettent à ces jeunes-là d'exister, c'est leur moment », souligne l'universitaire.
Barrages « sous-traités »
Pour Patricia Braflan Trobo, sociologue guadeloupéenne, « nous sommes face à une grève catégorielle », d'une « minorité », et bien loin de rassembler toute la Guadeloupe. « On parle beaucoup des grandes grèves de 2009, mais à cette époque, la mobilisation concernait tout le monde, (autour de la vie chère, NDLR). Aujourd'hui, ce sont une infime partie des soignants qui refusent la vaccination contre le Covid (85% sont vaccinés selon l'ARS, ndlr) et tentent de rallier une population à leur cause », dit-elle.
Les barrages ont, selon elle, été « sous-traités » à des jeunes, en dehors de toute base militante, par des organisations syndicales qui n'étaient pas, « dès le début », en « nombre suffisant pour soutenir une grève totale et se sont laissées déborder ». « Les organisations militantes contre l'obligation vaccinale ne se préoccupent pas des jeunes. Cela fait des mois qu'elles défilent sans avoir jamais parlé d'emploi, d'eau ou de tout autre problème », assure Patricia Braflan Trobo.
Mais la plateforme de revendications a fini par s'élargir et aujourd'hui les organisations syndicales en sont arrivées à demander « la résolution de tous les conflits en cours » mais aussi un rattrapage de politiques publiques inopérantes depuis des années, malgré de l'argent injecté par l'Etat : l'eau, les déchets, l'éducation.
Elles ont aussi bousculé le rôle des élus locaux qui restent désavoués par l'abstention aux élections, et que les syndicats accusent de courber l'échine devant la verticalité des décisions parisiennes. « Il se pose la question de la place de l'élu local au sein de la République, mais ça n'est pas une question de colonialisme », explique Jocelyn Sapotille, président de l'association des maires de Guadeloupe, dans les colonnes de France Antilles. L'obligation vaccinale « concerne tout le monde, aussi bien la France que la Guadeloupe » rappelle-t-il.
En France hexagonale, près de 70% de la population est vaccinée. La Guadeloupe, bien que frappée par une vague épidémique très violente cet été, peine à dépasser les 35% de personnes au parcours vaccinal complet. Selon des sociologues, l'opposition aux vaccins reflète aussi la défiance de la population envers les autorités depuis le scandale du chlordécone.
Considéré comme perturbateur endocrinien et cancérogène probable, ce pesticide interdit en France en 1990 est resté autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, provoquant une pollution importante et durable.
Avec AFP.