Si certaines épaves ont une grande valeur archéologique, toutes ne sont pas dignes d’intérêt. Pire encore, certaines représentent un danger pour l’environnement. En se dégradant dans le milieu naturel, les navires échoués ou les bateaux hors d’usage abîment la faune et la flore et produisent des microplastiques.
Un article réalisé par Marion Durand.
Sa coque rouge n’est plus. Les peintures se fondent à présent dans la rouille. L’épave du Tresta-Star, échouée au sud de La Réunion depuis le passage du cyclone Batsirai en février 2022, fait tristement partie du paysage du Tremblet. Le pétrolier mauricien, accroché à la falaise de lave du Piton de la Fournaise, est voué à y rester pour une durée inconnue. Du moins jusqu’à ce que l’épave se « dégrade naturellement » selon les mots de la Préfecture de l’île. Son démantèlement a été jugé trop dangereux et « sans bénéfice net » en matière environnementale par les expertises.
Pourtant, ce navire de 74 mètres de long repose au cœur du Parc national de La Réunion, bien inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2010. L’enlèvement de l’épave, par la mer, la terre ou les airs, est un « scénario techniquement infaisable », justifie Jérôme Lafon, directeur adjoint de la Direction de la mer Sud-océan Indien. « Ce n’est pas une question économique mais une question de sécurité et de santé pour les travailleurs qui interviendraient sur l’épave » en cas de retrait.
Laisser ce navire se disloquer est-il réellement sans danger ? Jérôme Lafon assure que « l’impact environnemental principal est visuel » et les conséquences pour la faune et la flore aux alentours de l’épave sont « extrêmement limitées ». « On a procédé à des opérations de dépollution, nous avons retiré les hydrocarbures et le mobilier susceptible de générer des déchets ».
Les écologistes ne sont pas de cet avis. Dans un récent communiqué, Europe Écologie Les Verts Réunion regrette le choix des autorités : « À défaut de pouvoir obtenir la récupération et le recyclage de cette épave par son propriétaire, reste encore la solution de la couler dans une zone à déterminer pour que ses cavités servent d’habitat de substitution aux espèces pélagiques ». De son côté, la Préfecture répond qu’il est impossible de couler l’épave puisqu’elle ne peut être déplacée.
Dans ce type d’incident, la responsabilité du retrait incombe aux propriétaires des navires mais il n’est pas toujours facile de les identifier. La Préfecture de La Réunion est à présent en lien avec le propriétaire du Tresta-Star, dont l’assureur a remboursé une partie des dépenses allouées à la dépollution du navire.
Une pollution microplastique dans les lagons
Plusieurs spécialistes s’accordent à dire que les épaves historiques immergées ne représentent plus un danger environnemental mais les navires contemporains qui s’échouent sur nos côtes ultramarines sont, quant à eux, une source de pollution pour les lagons et les océans. « Le problème avec ces bateaux, notamment ceux constitués de plastique ou de polyester, c’est qu’ils se dégradent au fil des mois et des années. Ce plastique se transforme en microparticules voire en nanoparticules, et entre dans le réseau trophique marin », décrit Gipsy Tramoni, responsable scientifique de l’Asso-Mer en Martinique. « Ces particules contaminent ensuite les poissons, les langoustes, les crabes ou d’autres espèces qui se retrouvent ensuite dans nos assiettes ».
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Nathalie Huet, ingénieur de recherche, chargée de la conservation préventive et de la gestion du mobilier au sein du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm), pointe les aspects positifs et négatifs de ces épaves. « Un navire immergé, à condition d’être entièrement dépollué, peut devenir un récif artificiel où s’implantent de nombreuses espèces. Les épaves sont des lieux fermés et protégés, propices à la ponte des poissons ». À travers le monde, des bateaux sont régulièrement coulés volontairement pour créer ces récifs artificiels.
« La majorité des bateaux sont recouverts d’un antifouling (une peinture antisalissure composée de biocides qui empêchent la prolifération de micro-organismes sur la coque, NDLR), qui contient des molécules comme le plomb. Lorsque l’épave se dégrade, des métaux lourds sont stockés autour du bateau », précise Nathalie Huet. « Mais l’impact global du plomb est très localisé, par rapport à l’ensemble des navires qui naviguent sur la planète, l’impact général est très négligeable ».

Le fléau des bateaux abandonnés
Outre la pollution dégagée par la carcasse du bateau et les hydrocarbures pouvant s’échapper des cuves, les bateaux s’échouent parfois sur des zones sensibles. « Certains écosystèmes peuvent en pâtir, comme les herbiers, les récifs coralliens ou les gorgones », ajoute Gipsy Tramoni.
Les bateaux hors d’usage (BHU) ont aussi un impact sur la faune et la flore. Depuis fin 2019, l’association pour la plaisance éco-responsable (Aper) a démantelé 8 570 bateaux en France, du petit dériveur au grand catamaran, dont 105 en Martinique (seul centre opérationnel dans les Outre-mer). « Il existe peu d’études sur l’impact environnemental de ces BHU sur l’environnement, la pollution principale est visuelle mais les composites résistent dans le temps et il est important de retirer tous les produits dangereux des bateaux », explique Ivana Lazarevic, déléguée générale de l’association. Le démantèlement est gratuit, seuls les coûts de transport sont à la charge du propriétaire.
Les bateaux abandonnés sont un problème auquel sont confrontés de nombreux territoires d’Outre-mer. « Il y a une forte concentration de bateaux en Martinique. Parfois, les propriétaires ne les utilisent plus mais les laissent au mouillage. En cas de houle ou de cyclone, ils se détachent et finissent dans la nature », regrette la responsable scientifique à l’Asso-Mer. En Nouvelle-Calédonie, le Cluster maritime (organisation qui rassemble les acteurs calédoniens du domaine maritime) est engagé depuis 2018 dans l’enlèvement, la dépollution et la déconstruction des épaves. Son directeur, Philippe Darrason, estime que plus de 6 000 bateaux de plaisance seront en fin de vie dans les quinze prochaines années.
« Le fond de la mer ne peut pas être une poubelle »
Ivana Lazarevic se veut rassurante : « Il y a aujourd’hui un stock historique de bateaux abandonnés, lorsqu’on l’aura nettoyé, la pollution causée par ces BHU diminuera. Je ne suis pas certaine que cette pratique perdure dans le temps. La conscience écologique de chacun pousse les propriétaires à adopter les bons gestes ».
La Polynésie est elle aussi engagée sur la voie du démantèlement et n’a plus recours, depuis plusieurs années, à l’immersion des navires abandonnés ou des épaves. « Le fond de la mer ne peut pas être une poubelle à disposition de propriétaires de navire ignorant les enjeux environnementaux », justifie la Direction polynésienne des affaires maritimes (DPAM). Plusieurs opérations de retraits ont ainsi été menées par la DPAM et le Port automne et d’autres navires seront prochainement retirés des lagons grâce à l’aide financière du Fonds d’intervention maritime de l’État. Près de 70 propriétaires de bateaux ont été mis en demeure de retrait, selon la DPAM, et une vingtaine de navires ont été déconstruits dans les vingt dernières années.

Munitions, explosifs ou produits chimiques sous la mer
Au fond des mers, de nombreuses épaves referment, encore aujourd’hui, des cargaisons dangereuses, des armes ou des combustibles. Durant les grands conflits mondiaux, des bateaux ont disparu en mer, d’autres ont été coulés volontairement. Ces navires ont emporté avec eux des explosifs, des munitions ou des armes chimiques, comme le mentionne un rapport de la Convention Ospar en 2008. « Les territoires ultramarins n’ont pas été directement le théâtre de ces conflits et nous ne recensons pas d’épaves dangereuses», précise Frédéric Leroy, conservateur en chef du patrimoine au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines.
« L’archipel des Kerguelen a servi de zone de relâche pour des navires corsaires allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Pour tenter d’endiguer l’utilisation des Kerguelen dans une ‘guerre de course moderne’, des mines avaient été posées par un navire britannique dans divers secteurs pour empêcher les corsaires allemands, poursuit le responsable des façades maritimes ultramarines au sein du Département. Certaines de ces mines constituent potentiellement encore un danger pour ces territoires protégés des Terres australes et antarctiques françaises. »
Pour Frédéric Leroy, « il existe quelques épaves qui méritent une attention » dans les territoires ultramarins, selon le chargement qu’elles transportaient, « mais rien de comparable avec les eaux métropolitaines et les pollutions croisées des deux conflits mondiaux ». De nombreuses épaves sont inconnues des services en charge de leur surveillance, il est difficile de localiser les navires potentiellement dangereux ou ayant des cargaisons toxiques.
Mais l’impact écologique des épaves d’hier comme celui des navires d’aujourd’hui ne doit pas être minimisé pour protéger la faune et la flore des Outre-mer et d’ailleurs.
Marion Durand.