Ces navires immergés cachent encore de nombreux mystères sur l’histoire des territoires ultramarins. Les archéologues sous-marins enquêtent au plus près des épaves pour en connaître davantage sur la fréquentation maritime des siècles passés, sur les batailles navales ou sur les mouvements de populations à travers l’histoire.
Si le mythe du trésor enfoui reste ancré dans tous les esprits, la probabilité de tomber sur une malle remplie d’or au fond d’une épave est plutôt rare. Mais ce que les archéologues sous-marins découvrent au fil des prospections s’avère bien plus précieux. Ils cherchent des petits bouts d’histoire pour recomposer la grande. « Le trésor, c’est l’épave en elle-même ! Lorsqu’on retrouve des éléments du mobilier ou du navire, on peut faire de l’histoire à partir d’un site archéologique sous-marin », s’enthousiasme Jean-Sébastien Guibert, enseignant chercheur à l’Université des Antilles.
Près de 8 000 épaves sont répertoriées dans les eaux françaises et plusieurs centaines gisent dans les fonds ultramarins. Il est toutefois difficile d’établir un chiffre précis puisque de nombreux navires sont connus grâce aux archives sans avoir été identifiés formellement. « Le potentiel est grand, il existe des milliers d’épaves non répertoriées », assure Frédéric Leroy, responsable des façades maritimes ultramarines au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM). Ce service, créé par André Malraux en 1966, rassemble les archéologues en charge d’étudier les épaves françaises.
Parmi les plus célèbres vestiges ultramarins, on peut citer l’Anémone, une goélette de la Marine royale datant de la période de la Restauration, qui a sombré dans la Baie des Saintes (Guadeloupe) en 1824. En Martinique, l’épave Le Roraima, un cargo de 120 mètres de long, coulé en 1902, repose au fond de la Baie de Saint-Pierre. À l’embouchure du fleuve Maroni, en Guyane, les archéologues continuent les recherches des vestiges du navire du Leusden, sur lequel près de 700 esclaves ont perdu la vie dans la nuit du 1er au 2 janvier 1738.

Des enquêteurs du passé
Chaque année, une centaine de fouilles sous-marines sont menées en France, dont une vingtaine dans les Outre-mer selon la DRASSM. Ces campagnes de recherches permettent de recueillir des informations sur les circonstances du naufrage mais aussi sur la vie à bord, l’équipage ou sur les mouvements de populations à travers l’histoire. « Les épaves révèlent parfois un instant de la vie d’un ensemble de personnes qui allait d’un point A à un point B et qui s’est figé dans le temps lors du naufrage, indique Frédéric Leroy. Contrairement à un site archéologique terrestre où plusieurs périodes d’occupation se succèdent, sur un bateau le temps s’arrête lorsque le bateau coule et les éléments contenus à l’intérieur sont figés ».
Entre 2006 et 2013, le Groupe de recherche en archéologie navale a mené quatre campagnes de fouilles sur l’île de Tromelin pour en savoir davantage sur les survivants malgaches du naufrage de l’Utile. Cette flûte de la Compagnie française des Indes orientales s’est échouée en 1761 sur l’île de Sable (aujourd’hui nommé Tromelin) avec dans ces cales une cargaison illégale d’esclaves. Les fouilles sous-marines de l’épave, couplées aux recherches terrestres sur les lieux de vie des naufragés, ont permis d’exhumer 1 500 objets : « des restes de faune ont donné de précieux indices sur l’alimentation des naufragés ; les os de deux individus ont fourni des informations sur les naufragés eux-mêmes. C’est donc une organisation sociale originale qui a été redécouverte grâce aux fouilles archéologiques », décrit l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives).
Des techniques d’investigations proches de la police scientifique
Comme sur terre, les archéologues sous-marins cherchent des éléments leur permettant de confirmer les témoignages existants afin de reconstituer le puzzle de l’histoire. « On peut chercher des éléments et des objets d’architecture navale comme une poulie, une ancre, du leste, des canons… Tout ce qui peut constituer l’armement d’un navire selon la période à laquelle il naviguait », décrit Frédéric Leroy. « Les techniques d’investigation sont assez proches de celles de la police scientifique, y compris par les prélèvements que nous faisons. Lorsqu’on retrouve des vestiges humains, on peut demander des analyses ADN ».
Les épaves livrent aussi de précieuses informations sur les flux d’hommes et de marchandises qui se sont déroulés dans les territoires ultramarins lors des siècles passés. « Quand on s’intéresse à la fréquentation maritime des Antilles, on peut étudier la fréquentation navale et militaire, en provenance d’Europe, et on peut se pencher sur les flux maritimes à l’échelle locale. On a des références en archives pour lesquelles nous cherchons encore les épaves afin d’en savoir un peu plus sur le cabotage de cette période », détaille Jean-Sébastien Guibert, président de l’association Archéologie Petites Antilles.
En 1902, lorsque la Montagne Pelée (Martinique) entre en éruption, des dizaines de navires alors ancrés dans la baie de Saint-Pierre sombrent sous les eaux. Voiliers en bois ou en acier, navette à vapeur ou démineur américain métallique… Ces navires immergés témoignent de la fréquentation maritime de la Martinique au début du siècle.
L’archéologue Jean-Sébastien Guibert étudie depuis 2021 les vestiges du Lyon, un navire marchand lancé initialement sous le nom de Beaumont, datant du XVIII siècle. Situé dans une crique de l’île Antigua, ce navire est unique : « Le Lyon est le seul que nous avons retrouvé de la Compagnie française des Indes orientales, c’est un site exceptionnel, il n’en existe pas d’autre. Grâce à cette épave, nous pouvons documenter la construction navale de l’époque »
« Un devoir de mémoire »
De nombreux passionnés participent aussi aux fouilles menées sur les épaves. En Nouvelle-Calédonie, l’association Fortunes de mer Calédoniennes effectue des recherches pour faire vivre le patrimoine maritime de l’île du Pacifique. « Nous avons répertorié, grâce aux archives, près de 600 épaves, des petits canaux aux plus gros avions. Mais nous en avons formellement identifié 90 », décrit Philippe Houdret, président de l’association. Pour ce Calédonien, ces recherches représentent un « devoir de mémoire » : « Retrouver ces navires permet de comprendre ce qu’il s’est passé il y a 50, 100 ou 150 ans, c’est essentiel pour notre histoire ». En 1998, les bénévoles de l’association ont retrouvé la trace du Tacite, un trois-mâts échoué en 1873.

L’immensité du territoire maritime français, du Pacifique aux Antilles en passant par l’Océan indien, rend la tâche des archéologues difficile. « Comme dans tous les domaines de recherche, il y a des vides, regrette Jean-Sébastien Guibert. Certaines zones sont plus complexes à étudier, comme la côte Atlantique de la Guadeloupe ou de la Martinique, car les conditions en mer sont plus difficiles ».
Si les épaves constituent un trésor pour le patrimoine culturel maritime, elles sont aussi menacées par les pilleurs. « Il peut s’agir de plongeurs, qui récupèrent des objets sur le site et qui participent à la destruction du vestige ou de pillages organisés avec d’importantes compagnies malintentionnées », s’inquiète l’archéologue. Pour lutter contre les vols ou les destructions, les agents du Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines effectuent un important travail de veille sur les réseaux sociaux. « On reçoit régulièrement des messages pour nous alerter », assure Frédéric Leroy qui rappelle qu’un simple objet récupéré peut causer d’importants dégâts sur un site archéologique sous-marin.
Marion Durand.